Salmonelles et salmonellose
En 1885, aux Etats-Unis, Theobald Smith, sous la direction du Dr Daniel Elmer Salmon, travaille sur l’efficacité d’un vaccin bactérien chez le porc et découvre ce qu’il pense être l’agent causal du choléra porcin. Il s’agit en fait d’une nouvelle espèce bactérienne, Salmonella enterica (Figures 0.1 et 0.2)
Caractéristiques bactériologiques
Salmonella est un bacille Gram négatif non sporulant, proche d’Escherichia coli, dont la mobilité propre est assurée par des flagelles péritriches (à l’exception de S. Gallinarum qui n’en possède pas) et qui est de type aéro-anaérobie. Ces bâtonnets de 2 à 3 µm de long sont des bactéries mésophiles, peu exigeantes d’un point de vue nutritionnel. Leur développement est optimal pour des températures proches de la température corporelle des animaux à sang chaud, 35 à 37°C, et un pH de 6,5 à 7,5. Leur multiplication reste assurée pour des températures de 6,7 à 41°C. Le large spectre de températures (-20 à 60°C) et de pH (4,1 à 9) auxquels elles sont capables de survivre, ainsi que leur capacité à résister à de aw (activité de l’eau) de 0,94 en font des bactéries extrêmement résistantes aux conditions environnementales même difficiles (congélation) et expliquent leur caractère ubiquiste.Les caractéristiques biochimiques spécifiques des salmonelles sont la réduction du nitrate en nitrite ; la possibilité de se contenter de citrate comme source de carbone ; pour le test des trois sucres : la fermentation du glucose mais pas du lactose, ni du saccharose ; la production de gaz à partir du glucose (à l’exception de S. Typhi) ; la synthèse de H2S en milieu triple sucre et la réaction négative au test à l’oxydase. Les caractéristiques biochimiques des différentes espèces et sous-espèces1 sont résumées dans la table 0.1 (Korsak 2004). L’isolement et la caractérisation des salmonelles se fait en 4 étapes : pré-enrichissement (afin de revivifier les souches), enrichissement sur milieu sélectif (afin de favoriser la multiplication des salmonelles au détriment de la flore compétitrice), isolement en boîte de Pétri sur milieu sélectif et enfin identification sur gélose triple sucre. La méthode est adaptée en fonction de la matrice à examiner (aliment, échantillon environnemental, etc.) et fait l’objet de normes en constante évolution. La méthode normalisée ISO 6579:2002, de détection dans les aliments est présentée sur la figure 0.3.
Nomenclature
Salmonella est une entérobactérie de la famille des Enterobacteriaceae. Le genre Salmonella comporte 3 espèces : enterica, bongori et subterranea (Le Minor and Popoff 1987), cette dernière espèce ayant été reconnue très récemment (Shelobolina, Sullivan et al. 2004). L’espèce enterica, qui possède un spectre d’hôtes très large, comprend elle-même 6 sousespèces différenciées par leur biotype : arizonae, diarizonae, enterica, houtenae, indica et salamae. Les salmonelles sont enfin subdivisées selon leurs caractères antigéniques en plus de 2500 sérovars, ou sérotypes, dont la majeure partie appartient à la sous-espèce S. enterica subsp. enterica (table 0.1). Les sérovars sont définis selon les antigènes somatiques O (de nature polysaccharidique), flagellaires H (de nature protéique), et capsulaires Vi. Ces derniers sont rares, ils n’ont été identifiés que chez 3 sérovars, Typhi, paratyphi C et Dublin. Leurs formules simplifiées peuvent être trouvées dans le tableau de Kauffmann-White (Popoff and Le Minor 1997). Les sérovars relatifs à la sous-espèce enterica, portent un nom correspondant usuellement au lieu de leur premier isolement et s’écrivent avec une majuscule et en caractère romain (et non en italique). Ainsi, le sérotype Typhimurium par exemple, s’écrit Salmonella enterica subsp. enterica sérovar Typhimurium ou de façon plus concise Salmonella Typhimurium ou S. Typhimurium. Un extrait du tableau de Kauffmann-White est présenté pour les sérotypes de la sous-espèce enterica les plus fréquemment isolés (table 0.2)L’adoption de cette nomenclature est le fruit d’un processus complexe, entre controverses et confusions, qui a donné lieu à un avis de la Commission Judiciaire recommandant d’utiliser le nouveau système présenté ici. Ce système est basé sur les nomenclatures validement publiées par l’Opinion judiciaire n°80, couplées à l’interprétation taxonomique de Le Minor et Popoff (1987) et à l’interprétation taxonomique de Reeves et al 1989 (Tindall, Grimont et al. 2005).
Réservoirs
Les salmonelles sont des pathogènes intestinaux (D’Aoust 1991). Présentes dans les intestins de l’homme et des animaux – leur réservoir principal – elles peuvent, suite à une contamination fécale, survivre dans l’environnement (eau et sol) plusieurs mois (Korsak 2004). Leur ubiquité se traduit par un large spectre de réservoirs : humains (Todd, Greig et al. 2008) et animaux, mammifères (Dechet, Scallan et al. 2006; Swanson, Snider et al. 2007), volatiles (Uyttendaele, Debevere et al. 1998; Hennessy, Cheng et al. 2004; Kimura, Reddy et al. 2004; Arsenault, Letellier et al. 2007b; Arsenault, Letellier et al. 2007c), reptiles (Woodward, Khakhria et al. 1997; De Jong, Andersson et al. 2005), crustacés (Butt, Aldridge et al. 2004)… Leur capacité de survie leur permet également de persister dans des réservoirs secondaires comme les boues d’épuration (Sahlstrom, de Jong et al. 2006), les aliments d’origine animale (Haeghebaert, Sulem et al. 2003; Oliver, Jayarao et al. 2005) ou végétale (Kirk, McKay et al. 2008), les fruits et légumes (Brandl 2006)… La variété de réservoirs potentiels est ainsi illustrée par la figure 0.4, qui présente le nombre de notifications de contamination par Salmonella recensées par le système européen d’alerte rapide en 2008 par type de source, et la table 0.3, qui synthétise les facteurs de risques d’infection à Salmonella les plus fréquemment évoqués dans la littérature selon le sérotype.
Voies de transmission
La principale voie de contamination pour l’homme est alimentaire (D’Aoust 1994; Angulo, Johnson et al. 2000). Mead (1999) estime en effet que l’alimentation est, aux Etats-Unis, la cause de 95% des infections à salmonelles (Mead, Slutsker et al. 1999). L’infection résulte alors de la consommation d’aliments contaminés. Pour ceux-ci, la contamination peut être intrinsèque, comme cela peut être le cas pour les œufs (Tauxe 1997; Rabsch, Tschäpe et al. 2001), ou secondaire, suite au contact avec des matières fécales lors de l’abattage pour les aliments issus d’animaux contaminés, ou encore avec une surface ou un autre aliment contaminé lors de la préparation ou de la transformation des denrées ; on parle alors de contamination croisée. Cependant, la contamination peut également avoir lieu par contact avec des animaux infectés, notamment avec des animaux de compagnie et des NAC (nouveaux animaux de 21 compagnie) (Woodward, Khakhria et al. 1997; De Jong, Andersson et al. 2005; Swanson, Snider et al. 2007). Une équipe américaine a ainsi attiré l’attention sur la nécessité de tenir compte de ces voies de transmission non alimentaires dont l’importance serait sous-estimée selon eux (Barber, Miller et al. 2003). Une étude d’attribution récente (Evers, Van Der FelsKlerx et al. 2008) concernant Campylobacter, autre pathogène zoonotique majeur, vient à l’appui de cette idée. Il y apparait que la transmission par contact direct avec des animaux serait une voie majeure de transmission de ce pathogène. Ces derniers résultats sont cependant à prendre avec précaution en raison de fortes incertitudes liées à la méthode utilisée.
Dynamique de la contamination humaine
Les salmonelles sont à l’origine soit d’infections en apparence isolées, dites sporadiques, les plus nombreuses (Tauxe 1997), soit de phénomènes épidémiques : cas groupés ou foyers appelés encore toxi-infections alimentaires collectives (TIAC, définies comme au moins deux cas d’infection d’une même maladie survenant chez des personnes ayant partagé le même repas). Les TIAC ont évolué ces dernières décennies (Tauxe 1997), avec l’industrialisation et la globalisation des approvisionnements. Aux foyers restreints, liés à un aliment fortement contaminé consommé par un petit groupe de personnes (lors d’un rassemblement familial par exemple), se sont ajoutées des épidémies de plus grande ampleur, diffuses, pouvant impliquer plusieurs pays et des centaines de cas (Ammon and Tauxe 2007), et qui sont liées à une plus faible contamination d’aliments largement distribués. Ces dernières sont beaucoup plus difficiles à détecter. Différents facteurs jouent sur la contamination humaine : dose ingérée (Bollaerts, Aerts et al. 2008), susceptibilité de la personne (degré d’immunité) (Flint, Van Duynhoven et al. 2005), mais également virulence et pathogénicité de la souche ingérée qui dépend notamment du sérotype (Coleman, Marks et al. 2004; Weinberger, Andorn et al. 2004; Foley and Lynne 2008; Jones, Ingram et al. 2008). Ainsi, la contamination d’un aliment seule ne suffit pas à prédire les infections qui vont résulter de sa consommation. Et ceci d’autant moins que tous les aliments ne vont pas avoir la même capacité à véhiculer les salmonelles ; celle-ci varie selon leurs propriétés physico-chimiques, selon le process de fabrication mais aussi selon le mode de consommation (D’Aoust 1989). Ainsi, une mayonnaise à base d’œufs crus sera potentiellement plus « contaminante » qu’un morceau de bœuf consommé en ragoût. Globalement la relation dose-réponse (en terme d’infections), sera à considérer pour un couple sérotype-aliment (Bollaerts, Aerts et al. 2008).