Les représentations de la LGV PACA
Le projet LGV PACA dont l’encadré 2 récapitule les dates importantes a fait l’objet d’un débat public en 2005 que nous avons suivi avec attention. Jeux d’acteurs et analyse des visions des uns et des autres du projet LGV PACA Pour mieux illustrer ce phénomène, nous avons dressé un tableau (cf. annexe 1) qui énonce la liste de tous les acteurs depuis 2005 et qui participent encore aujourd’hui à l’avancée du projet, avant et après le débat public qui s’est déroulé en 2005. Ce tableau pédagogique, a pour but de montrer (1) les positions de chaque décideur et ce qui constitue pour lui un enjeu territorial ; (2) les incohérences du projet ; (3) les revirements de position ; (4) l’émergence de nouveaux acteurs décisifs ; (5) l’absence de la prise en compte de points importants. C’est donc un exercice fasdidieux mais indispensable pour en dresser les constats suivants :
► Constat 1 : Plus que leurs positions, c’est leur nombre qui frappe en premier. Si en 2005 il était déjà assez conséquent, en 2010 (lors des dernières réunions) de nouveaux acteurs s’affirment, comme c’est le cas de Monaco qui passe du simple statut d’observateur à celui d’acteur à part entière. C’est le cas aussi de l’Europe qui était absente en 2005 et devient un acteur à part entière aujourd’hui. Ces deux nouveaux acteurs sont perçus comme une valeur ajoutée au projet LGV PACA car ils apportent tous les deux une nouvelle légitimité à ce projet en y participant financièrement (cf. encadré 3 : financements du projet par les acteurs). On peut aussi noter l’apparition d’un nouveau type d’acteur : le COTER (Comité territorial). On pourrait s’attendre à ce que ce nouvel acteur facilite la concertation entre les autres acteurs, ce qui pourrait favoriser l’existence d’un projet de territoire. Mais, au regard du rôle que lui a assigné le maître d’ouvrage RFF, il est difficile qu’ilpuisse jouer ce rôle. En effet, pour RFF Chaque comité territorial mettra en place les « groupes de travail », sur des sujets spécifiques et strictement liés aux enjeux de leur aire géographique de responsabilité (RFF réunion du 14 janvier 2010). Voici donc qui limite les champs d’action de ce comité, qui pourtant pourrait jouer un rôle important dans la mise en cohérence entre les enjeux de chaque acteur et atténuer ainsi les visions étroites de certains acteurs en favorisant les discussions et en facilitant les débats entre eux. Il y a donc une absence totale de confrontation des points de vue, et plus important encore, des enjeux. Il n’est donc pas étonnant que ce projet peine à se positionner comme un projet de territoire.
Constat 2 : Les acteurs ne sont pas toujours clairs dans ce qu’ils considèrent comme des enjeux de territoire. Il n’a donc pas été aisé de transcrire ce qui constitue un enjeu de territoire pour chaque acteur car très souvent les souhaits, les croyances et les intentions sont considérés comme des enjeux pour certains d’entre eux. C’est le cas généralement des associations (nombreuses dans la région comme le tableau l’illustre) qui luttent pour préserver l’environnement et le patrimoine naturel de la région. Ces associations se contentent souvent de dire « non à la LGV PACA » sans au préalable réfléchir sur la faisabilité de ce projet dans un environnement contraint et au patrimoine naturel riches. Ces associations/acteurs, souvent, et les débats l’on montré, disent non à la LGV que quand celle-ci risque de traverser directement leurs territoires (terrains agricoles, parcs naturels, massif montagneux, etc.). Ce qui peut se comprendre au regard des enjeux écologiques autour de ce projet. Mais, et c’est ce qui nous intéresse ici, la LGV PACA ne fait pas exception et comme tous les autres projets de TGV, d’autoroute ou d’aéroport, elle est confrontée à « l’effet NIMBY ».
► Constat 3 : Malgré le nombre conséquent d’acteurs et donc d’enjeux de territoire, un enjeu commun à tous les acteurs ou presque a été relevé : la structuration de l’axe Gêne-Barcelone par la LGV PACA. En effet, par sa localisation stratégique en plein cœur de l’Europe du Sud (au sein de l’Arc méditerranéen précisément), la région Provence-Alpes-Côte d’Azur est un territoire bénéficiant d’une capacité d’extension et de diversification du cœur économique de tel-00569939, version 1 – 25 Feb 2011 95 l’Union européenne, lequel se situe encore aujourd’hui dans la partie nord, principalement dans l’axe Londres-Paris-Berlin-Milan. Dans ce contexte européen, les acteurs de la région ont affiché comme arme de persuasion lors du débat public, l’enjeu qu’augure une connexion à l’axe économique nord-européen. La ligne à grande vitesse ferroviaire devient, en l’occurrence, l’argument de choc avancé par la région qui cherche à se positionner comme un acteur économique majeur au sein de l’Europe en général, et de l’Europe du Sud plus particulièrement, en ayant pour ambition claire de redynamiser l’axe Gênes-MarseilleBarcelone. Ainsi, les acteurs ont manifesté des attentes assez fortes à l’égard de cette future ligne en revendiquant d’une part, le rapprochement des régions transalpines par l’accélération des échanges socio-économiques déjà existants, et d’autre part le désengorgement des routes sous toutes ses formes en façade méditerranéenne par la mise en place d’une alternative rail/route, valable pour le transit France-Espagne-Italie. Lors du débat public, il a également été souligné que l’intensité et la nature des échanges entre l’Italie et la France justifie des projets tels que la LGV PACA. C’est donc tout naturellement que la LGV PACA s’est présentée comme une alternative dans le choix des politiques de transport, une infrastructure perçue par les acteurs comme le meilleur outil pour intégrer la partie européenne la plus dynamique. Du reste, dans le quotidien local Nice-Matin publié le lundi 18 janvier 2010, le président de la Chambre de Commerce et de l’Industrie de l’agglomération Nice-Côte d’Azur, Dominique Estève, énonce les enjeux d’une liaison vers l’Italie en ces termes : « Une ligne vers l’Est, c’est 23 millions de clients italiens ». Par cette approche, il témoigne de la détermination de la CCI Côte d’Azur à vouloir sortir du raisonnement « franco-français » du maître d’ouvrage RFF et de valoriser une position transfrontalière. Pour les décideurs, notamment ceux des Alpes-Maritimes, il est impératif d’aller vers l’Italie, d’autant plus qu’en 2014 s’achèvera la campagne de modernisation des lignes ferroviaires nord-italiennes, permettant au « Pendolino », vs TGV en France, de rouler à 200 km/h. Toutefois, le coût d’une ligne entre Vintimille et Nice, estimé en janvier 2010 à 4 milliards d’euros, est certainement l’une des raisons pour lesquelles cette réalisation relève encore de l’utopie pour le plus grand nombre, et RFF en premier. Mais, depuis l’arrivée de deux nouveaux acteurs politiques, économiquement puissants et disposés à soutenir financièrement ce projet, à savoir la Principauté de Monaco et l’Union Européenne, RFF est disposé à approfondir les études d’une éventuelle desserte de la frontière italienne, et ceci sans véritable coopération avec les acteurs locaux italiens qui sont plus observateurs qu’acteurs à part entière.
Une absence totale de vision multiniveau du projet LGV
PACA Force est de constater l’absence totale de vision multiniveau et multiéchelle du projet LGV PACA car, au-delà des déclarations d’intention et des souhaits du type : La LGV PACA va structurer et relier les villes de l’arc méditerranéen, à aucun moment on a vu apparaître véritablement dans les études officielles qui ont servi de support au débat public, une vision multiéchelle/ multiniveau de ce projet. Quelles en sont les raisons ? Pourquoi cette approche aussi fondamentale a été absente pendant le débat public et l’est encore maintenant ? En premier lieu, dit être évoquée l’entrée par les transports illustrée de fait par l’argument technologique, vitesse et temps de parcours, servi aux acteurs avec en prime, la présentation de modèles, toujours les mêmes, trop compliqués pour être compris par les élus locaux, mais chère au maître d’ouvrage. C’est cette entrée qui a été privilégiée dans les études qui ont servi de support au débat public au lieu d’une entrée par le territoire où, plus que le volet technologique, ce sont les dynamiques structurelles du territoire qui guident la nature du projet. Avec une entrée par le territoire, la première question à se poser est la suivante : est-ce que c’est le TGV (dans sa forme standard) qui répond plus au besoin des territoires qui composent la région PACA, ou est-ce un TER-GV par exemple ? Du fait de la structure des villes, de leur degré d’importance en termes de population et de dynamique économique, qu’est-ce qui est le plus adapté ? faut-il choisir l’option du TGV français qui a pour objectif de faire le moins d’arrêts possibles et de desservir simplement les grandes métropoles ou celle des ICE allemands qui font plus d’arrêts dans l’objectif de desservir le plus grand nombre de territoires et donc de population ? Par ailleurs, plus que l’adaptabilité du projet LGV PACA à la réalité des territoires (fonctionnement des villes, communes, etc.), les études ont porté quasiment sur une seule échelle : l’adaptabilité du projet sur le territoire régional PACA. Or, à cette échelle la faisabilité et l’insertion du projet est trop simpliste, trop généraliste pour corresprondre réellement aux besoins des territoires, niant ainsi les hétérogénéités et les fonctionnements complexes de chaque unité spatiale. Ce qui explique peut-être pourquoi tant d’élus sont contre ce projet, même aujourd’hui en 2010. Pourtant, la richesse naturelle et culturelle de cet ensemble régional pourrait laisser penser que le maître d’ouvrage tiendrait compte de la difficulté à faire accepter un projet de ce type auprès d’acteurs qui ne comprennent pas pourquoi ils devraient sacrifier leurs vignobles, par exemple, pour rejoindre plus vite Paris. En second lieu, il faut évoquer le fait que dès le départ, le projet a été mal porté. Déclaré comme étant une branche de la LGV Méditerranée au schéma directeur en janvier 1998 (cf. encadré 2), ce qui était alors nommé jusqu’alors « la branche Côte d’Azur de la LGV Méditerranée » (avant de prendre officiellement le nom de LGV PACA) a longtemp été considéré comme le projet de Nice ou plutôt de la Chambre de Commerce de Nice-Côte d’Azur pour se rapprocher de Paris. D’ailleurs, les élus du Var et des Bouches-du-Rhône ont toujours utilisé cette position/vision comme argument pour ne pas contribuer au financement du projet et donc anéantir toute possibilité de la faisabilité d’un tel projet. Mais, au-delà des menaces financières, cette vision étroite et autocentrée des acteurs des Alpes-Maritimes a eu une conséquence plus sérieuse : la non mise en place très tôt dans le projet de « comités d’acteurs » issus de niveaux géographiques différents (quartier, ville, commune, département, région), confrontant chacun leurs visions et leurs enjeux dans le seul objectif de mettre en relief l’intérêt général et pouvant constituer un véritable contre-pouvoir. En troisième lieu, on peut évoquer l’absence d’études concomitantes portant sur l’articulation entre les réseaux de transport qui divergent certes dans leur rôle mais tout aussi complémentaires. Il s’agit des réseaux qui assurent les relations interrégionales et internationales, ceux qui permettent les relations interdépartementales et enfin les réseaux qui entretiennent les relations intercommunales. Ce type d’étude aurait été l’occasion pour le débat public de s’appuyer sur une réflexion globale d’un aménagement des territoires qui intègre les rapports entre le global et le local, car les systèmes territoriaux sont des systèmes emboîtés. Dans un article récent, et en particulier dans sa thèse, Christine Voiron-Canicio aborde cette question en partant des deux axiomes de Bunge : Tout système, à l’exception de l’univers, est un sous-système d’un autre système. Chaque chose concrète est soit un système, soit une composante d’un système. (Bunge, 1986). À partir de là il est permis de postuler qu’une unité spatiale ou un élément de cette unité, une infrastructure par exemple, appartient tel-00569939, version 1 – 25 Feb 2011 98 toujours à plusieurs structures territoriales, économiques et administratives, et que ses propriétés peuvent changer en fonction du niveau spatial et de la problématique considérés (Voiron-Canicio, 1993). Un des rares acteurs ayant approché ce sujet (rapport global/local) est la Fédération des Associations du Sud-Est pour l’Environnement (FASEE) qui milite pour la réalisation de la LGV PACA. Dans son cahier d’acteur, la FASEE évoque l’intérêt d’une approche globale/locale dans le contexte régional en soulignant dès la deuxième page de son cahier que : Chaque niveau a sa problématique particulière, mais que l’on doit impérativement penser globalement pour aboutir à une réflexion coordonnée et à des actions cohérentes, et surtout efficaces compte tenu des conséquences sur les budgets. Les trois réseaux doivent être attentivement étudiés en parfaite coordination. C’est-à-dire un système de rabattement des réseaux communaux vers les TER et des TER vers les TGV avec un « cadençage » précis et coordonné. Cet acteur a fourni des détails techniques intéressants pour mettre en place un système de rabattement. Il préconise dans ce cadre que le réseau communal soit de surface (85 %) et connecté (cadencement horaire compris) avec les réseaux de bus, trolleybus et de RER, et les gares multimodales/TGV afin d’irriguer le tissu urbain et périurbain de façon efficace. Pour ce qui est des réseaux départementaux, du fait de leur configuration géographique en lignes de crêtes perpendiculaires, l’acteur propose d’enterrer en partie ce réseau (65 %) qui ne doit pas rester en surface afin de libérer le littoral de tout trafic routier et/ou ferroviaire. Pour ce qui relève du réseau international et interrégional LGV, il suggère qu’il ne soit pas couplé avec le réseau TER car ces deux réseaux n’ont pas la même vocation. Le réseau TER, pour cet acteur, doit être aménagé en deçà et en dessous du littoral en zone urbaine. La LGV doit être à 95 % souterraine. Même si on peut douter du réalisme et de la faisabilité de certaines de ses préconisations à la lecture de ce cahier d’acteur, une question nous vient à l’esprit. Ne faudrait-il pas changer le déroulement du débat public ? Nous entendons par là que les préconisations des acteurs soient prises en compte en amont des projets de transport, et non en aval, puisqu’au final ce sont eux qui choisissent la manière dont ils vont façonner leurs territoires. Pour l’heure, c’est la démarche contraire qui est en cours. Cependant, force est de souligner que la prise en compte de l’imbrication territoriale multiniveaux n’est pas aisée car cela nécessite d’appréhender les phénomènes en focalisant l’attention sur les interrelations et les interdépendances spatiales. Cette approche a des exigences, et l’approche systémique est très vite apparue comme la méthode adaptée pour les appréhender.