Performances de piégeage des mortiers au MnO2/Ag2O
Méthode : essai de piégeage in situ d’hydrogène par irradiation gamma
Préparation des matériau
Les échantillons sont préparés en utilisant les formulations rappelées dans le Tableau V-1, mais en limitant les quantités aux volumes nécessaires, soit 0,09L (un dixième des proportions du tableau). Après malaxage (au malaxeur de 3L du chapitre 2 et selon le protocole normalisé), chaque mortier frais est coulé dans des tubes en plastique (diamètre de 15 mm, hauteur de 75 mm, soit un volume d’environ 10 mL). Ceux-ci sont fermés hermétiquement (avec un bouchon vissé, voir Figure V-1 et du parafilm). Après au moins une semaine de maturation en conditions endogènes, chaque échantillon est retiré de son moule et immédiatement placé dans une ampoule en verre scellé. Le scellement se fait sous atmosphère inerte (argon) à une pression légèrement inférieure à la pression atmosphérique. Tous les échantillons étudiés sont des monolithes, c’est-à-dire pas des poudres ni des matériaux broyés. Ils sont conservés pendant 115 à 117 jours (quatre mois) avant irradiation.
Protocole d’irradiation
Le protocole des expériences d’irradiation gamma externe est présenté à la Figure V-2. Il est identique à celui décrit dans [Chartier et al. 2017]. L’irradiateur industriel employé génère un rayonnement gamma à partir d’une source 60Co, dans l’installation Gammatec du CEA Marcoule (Figure V-2 à gauche). Afin de quantifier les quantités d’H2 libérées par les échantillons irradiés, un temps d’attente d’environ un mois et demi (soit 38 à 42 jours) est observé. Cela permet au gaz de migrer depuis le cœur du matériau jusque dans le ciel gazeux de l’ampoule, jusqu’à être y présent en quantités mesurables. L’hydrogène est ensuite dosé par micro-chromatographie en phase gazeuse (𝜇GC pour micro-Gas Chromatography ou CPG, pour Chromatographie en Phase Gazeuse), avec une précision allant jusqu’à une micro-mole de gaz, voir Figure V-2 à droite. L’appareil de micro-chromatographie utilisé évalue non seulement les quantités de H2, mais également les gaz CH4, O2 et N2. La limite de détection de l’appareil est de l’ordre de 0,01%vol du volume libre de l’ampoule. Le programme expérimental complet est résumé dans le Tableau V-2. Chaque mortier est testé avec du MnO2/Ag2O (piégeur) ou du MnO2 (choisi à titre comparatif), à deux débits cumulés différents de 493 kGy +/-4 et 995 +/-14 kGy. La variation autour de la valeur moyenne du débit cumulé est de l’ordre de 1% seulement. L’obtention du premier débit cumulé de 493 kGy se fait en 25 jours, et 45 jours pour le second de 995 kGy. On suppose que la poursuite de l’hydratation des ciments n’influe pas sur les résultats. Le temps d’attente entre l’irradiation et la mesure de l’hydrogène produit est de 44 jours +/-8,5 pour la dose cumulée de 493 kGy et 34 jours +/-8,5 pour la dose de 995 kGy. Le débit de dose moyen est de 918 +/- 56 Gy/h, soit une variation de seulement 6% autour de la moyenne.
Dépouillement des mesures
La quantité d’hydrogène libérée par les échantillons s’exprimera en mol/g d’eau présente dans l’échantillon, ou en cm3 /g piégeur, en fonction des doses cumulées (ou intégrées) subies. Pour cela, les quantités de moles 𝑛(𝑔𝑎z) produites par la radiolyse (où le gaz est H2 O2, CH4 ou N2) sont calculées avec la loi des gaz parfaits, à partir des pourcentages %𝑣𝑜𝑙 de gaz directement donnés par la CPG, de la pression de gaz 𝑃𝑓 (en Pa) dans les ampoules après irradiation, et du volume libre dans les ampoules (𝑉𝑙𝑖𝑏𝑟𝑒) exprimé en m3 : 𝑛(𝑔𝑎𝑧) = 𝑃𝑓 × %𝑣𝑜𝑙 × 𝑉𝑙𝑖𝑏𝑟𝑒 𝑅 × 𝑇 où R est la constante des gaz parfaits en J.mol-1 .K-1 , T la température de l’échantillon en K-1 . A partir de 𝑛(𝑔𝑎𝑧), le rendement radiolytique 𝐺(𝑔𝑎𝑧)𝑚𝑎𝑡é𝑟𝑖𝑎𝑢 d’un matériau se calcule (en mol/J) comme suit [Chartier et al. 2017] : 𝐺(𝑔𝑎𝑧)𝑚𝑎𝑡é𝑟𝑖𝑎𝑢 = 𝑛(𝑔𝑎𝑧) 𝐷 𝑚 Où n(gaz) s’exprime en mole, D est la dose cumulée en Gy, et m est la masse de l’échantillon considéré (en kg). Comme l’eau est la seule source significative de H2 dans les ciments, le rendement radiolytique de l’hydrogène peut aussi s’exprimer (toujours en mol/J) par rapport à la fraction massique d’eau comme : 𝐺(𝐻2)𝑚𝑎𝑡é𝑟𝑖𝑎𝑢 𝑤𝑒𝑎𝑢 = 𝑛(𝑔𝑎𝑧) 𝐷 𝑚𝑒𝑎𝑢 𝑡𝑜𝑡𝑎𝑙𝑒 Où 𝑚𝑒𝑎𝑢 𝑡𝑜𝑡𝑎𝑙𝑒 est la masse d’eau contenue dans le matériau (quelle que soit sa forme, libre ou liée, évaporable ou non) et 𝑤𝑒𝑎𝑢 = 𝑚𝑒𝑎𝑢 𝑡𝑜𝑡𝑎𝑙𝑒/𝑚 est la fraction massique totale d’eau dans le matériau (sans unité). Ces mesures sont généralement comparées au rendement radiolytique de l’eau libre. C’est une valeur délicate à mesurer expérimentalement, parce que le H2 se recombine facilement dans l’eau libre pour former des molécules d’eau [LaVerne et al. 2009 ; Chartier et al. 2017]. En présence de piégeurs de H2 (tels que les ions Br-), [LaVerne et al. 2009] déterminent le Chapitre 5 – Performances de piégeage 193 rendement radiolytique de l’eau libre à une valeur de 4,46 x 10-8 mol/J. C’est cette valeur que nous conservons pour la suite de l’étude.
Comparaison avec les données de la littérature
Les rendements radiolytiques d’hydrogène normalisé 𝐺(𝐻2)𝑚𝑎𝑡é𝑟𝑖𝑎𝑢 𝑤𝑒𝑎𝑢 sont comparés à ceux de plusieurs publications [Möckel 1982 ; Chartier et al. 2017 ; Acher 2017], voir Figure V-6. Pour présenter ces résultats, nous avons relevé les rendements radiolytiques des pâtes de chaque publication à des E/C=0,48 et 0,54, que nous avons ensuite ramenés à la fraction massique des matériaux considérés 𝑤𝑒𝑎𝑢. Comme pour la comparaison avec l’eau libre, les mortiers au piégeur ont un rendement radiolytique normalisé bien inférieur aux pâtes de ciment Portland de [Möckel 1982 ; Chartier et al. 2017] et même [Acher 2017], avec des valeurs comprises entre 1,8 x10-9 et 11 x10-9 mol/J à 𝑤𝑒𝑎𝑢 = 0,32 et 4,5×10-9 – 6,7×10-9 mol/J à 𝑤𝑒𝑎𝑢 = 0,35 ; la valeur la plus faible mesurée par [Acher 2017] est de 16×10-9 mol/J et la valeur la plus élevée, mesurée par [Möckel 1982] est de 86×10-9 mol/J. Il est intéressant de noter que certaines pâtes de ciment (par [Möckel 1982 ; Chartier et al. 2017]) peuvent produire davantage de H2 que l’eau libre (qui est à 4,46×10-9 mol/J). Selon [Chartier et al. 2017], ce résultat est lié à la présence d’impuretés dans la pâte. Enfin, la Figure V-7 présente l’efficacité de piégeage des trois mortiers à base de piégeur après irradiation gamma (à 493 et 995 kGy). Pour les deux doses intégrées, l’efficacité de piégeage se situe entre 84 et 90% pour le mortier TER-I-54, 75-91% pour le mortier TER-V-48 et 93-95% pour le mortier QUAT-V-48. En d’autres termes, au moins 77% (et jusqu’à 95%) de l’hydrogène produit en l’absence de piégeur est piégé lorsqu’il est incorporé dans la formulation du mortier. Les trois mortiers ont donc une excellente capacité de piégeage pour l’hydrogène gazeux aux deux doses d’irradiation gamma utilisées.