Les différentes fêtes du corpus
La Pâque orthodoxe (fête mobile)
La Pâque orthodoxe est une fête nationale en Grèce. Il s’agit, à travers tout le pays, de la plus importante des fêtes orthodoxes célébrées. Elle commémore la mort et la résurrection de Jésus Christ. Elle constitue en outre l’apothéose du cycle pascal. Cette fête est mobile, et de plus, les orthodoxes continuent d’utiliser le calendrier julien pour calculer à quelle date aura lieu chaque année cette célébration de Pâques. De ce fait, elle peut avoir lieu dans une période qui s’étend entre le début du mois d’avril et le début du mois de mai. De même, toutes les célébrations qui sont associées à Pâques, comme le Carnaval, le Carême et la Pentecôte, sont également mobiles, puisqu’elles dépendent aussi du calendrier julien. Le cycle pascal est une longue période qui commence en réalité dix semaines avant le dimanche de Pâques, avec ce que l’on appelle le pré-Carême, ou Petit-Carême, durant lequel a lieu le Carnaval, oi apokriés (οι αποκριές) ou i apókreos (η απόκρεως), terme formé de apó, « au loin de, à l’écart de » et de kréas, « viande », c’est-à-dire littéralement apécho to kréas (απέχω από το κρέας), « s’abstenir de viande ». Il semble que ce terme soit l’équivalent des mots latins carne vale ou italien carnevale : « […] le plus souvent on s’accorde pour reconnaître le radical carne : la “viande”, la “chair” des animaux que l’on mange. L’autre moitié du mot pourrait être la salutation latine toujours vivante dans la langue italienne vale ! qui signifie “Portetoi bien !”, “Adieu !”, ou “Au revoir !”. Ainsi carnevale (carne vale !) serait l’adieu à l’alimentation carnée, à la bonne chère, avant les privations alimentaires – ou autres – du carême183 . » Le nom se rapporterait ainsi au fait de s’abstenir de manger de la viande, comme pendant la période du carême, alors que justement, durant le carnaval, la consommation de viande est permise et même, de rigueur : « […] le mot définit […] la fête d’une manière négative, ou plus précisément dialectique, c’est-à-dire en suggérant ce qu’elle est positivement par rapport au refus que représente le carême184 . » Cette étymologie est très populaire, mais elle est cependant contestée par certains scientifiques. Michel Feuillet explique qu’il existe une autre étymologie qui est « certainement plus conforme à la réalité historique » : « L’italien carnevale, d’origine latine, serait composé du nom carnem et du verbe levare. Carnem levare signifie “ôter, enlever la viande”. […] Cette explication est corroborée par la présence attestée au XIe et XIIe siècles de mots comme carnelevarium et carnelevale185 . » Cependant, on voit bien que même cette étymologie, qui semble plus probable que la première, a dans le fond la même signification : l’idée que le jeûne du carême approche et qu’il va falloir s’abstenir de ce type d’aliment. D’autre part, selon le Dictionnaire historique de la langue française, ce terme pourrait avoir évolué quant à sa signification : « […] le sens premier du mot a donc pu être “entrée en carême” (cf. carême-prenant), puis “veille de l’entrée en carême”, caractérisée par des ripailles, licences et divertissements (comme pour le mardi gras). L’accent étant mis sur ces réjouissances rituelles, il a reçu par métonymie le sens de “fête donnée lors de cette période” (1549)186 . » Toutefois, on peut également noter qu’en Grèce, durant la troisième et dernière semaine de cette période de carnaval qui précède le « Dimanche gras », la consommation de viande n’est plus permise. Seuls sont autorisés durant cette semaine avant le carême, parmi les aliments gras, le fromage et les produits laitiers, l’huile, le poisson et les œufs. Cette pratique pourrait être mise en lien avec le terme grec employé pour « carnaval » et qui signifie littéralement « s’abstenir de viande », puisque plus on s’approche du début du Carême, plus les restrictions alimentaires sont présentes. Par ailleurs, cette période de Carnaval en Grèce est perçue comme une préparation au Carême et elle est, comme je l’ai mentionnée plus haut, également appelée « pré-Carême » ou « Petit-Carême ».
Le pré-Carême
Cette période débute le dimanche du Publicain et du Pharisien (i Kyriakí tou Telóni kai tou Farisaíou, η Κυριακή του Τελώνη και Φαρισαίου), avec une parabole qui incite les Chrétiens à être humbles comme le publicain (subalterne juif au service des riches juifs et qui veille à collecter les impôts directement des mains des citoyens) et non orgueilleux comme le pharisien (juif vivant dans la stricte observance de la Loi écrite et de la tradition orale). La semaine qui s’ouvre ainsi est appelée « semaine libre » (i eléftheri evdomáda, η ελεύθερη εβδομάδα) car il n’y a aucune restriction alimentaire à respecter, même le mercredi et le vendredi, qui sont d’ordinaire des jours de jeûne pour la religion orthodoxe. Elle est également appelée « semaine proclamée » (i profoní evdomáda, η προφωνή εβδομάδα), car autrefois il s’agissait de la semaine où l’on annonçait que la période du carnaval commençait. La deuxième semaine débute par le dimanche du Fils Prodigue (i Kyriakí tou Asótou, η Κυριακή του Ασώτου), où il est enseigné et rappelé la valeur du repentir ainsi que la grandeur du pardon, à travers cette autre parabole. Cette semaine est nommée « semaine de la viande » (i kreatiní evdomáda, η κρεατινή εβδομάδα) parce qu’il s’agit de la dernière semaine où la consommation de la viande est autorisée. Les fidèles orthodoxes peuvent donc encore manger ce qu’ils souhaitent durant cette semaine, à l’exception, cette fois-ci, du mercredi et du vendredi. Le jeudi, appelé Tsiknopémpti (η Τσικνοπέμπτη), est réservé à la consommation de viande grillée. Un autre jour, le samedi, nommé « samedi des Âmes » (Psychosávvato, Ψυχοσάββατο, ou Sávvato ton Psychón, Σάββατο των Ψυχών) est réservé à la mémoire des défunts. Les Grecs se rendent au cimetière en apportant les kóllyva (τα κόλλυβα), du blé cuit sucré mélangé à des raisins secs et des grains de grenade et préparé par les femmes. Cela rappelle aussi les cérémonies de commémoration, le service mémoriel (ta mnimósyna, τα μνημόσυνα) que l’on assure pour les défunts. Au cours de ces « samedis des Âmes », on psalmodie une partie de la liturgie qui est réservée à la commémoration des morts, et donc aux offices funéraires. Il s’agit donc d’un office abrégé, puisqu’il ne comporte que les parties finales du service mémoriel, et on l’appelle i lití (η Λιτή, de λιτός, ,litós « sobre »). Cependant, il est collectif, puisqu’il est réalisé à destination de tous les défunts.
Le Carême
Ces trois semaines ont donc permis aux fidèles orthodoxes de se préparer pour la période qui va suivre. En effet, durant le Grand Carême, un jeûne est observé par la plupart des fidèles et notamment les habitants d’Ólympos. Pour observer correctement ce jeûne, ni huile 221 ni vin ne sont autorisés, à l’exception des samedis et des dimanches de chaque semaine. De même, les fêtes avec musique, chant et danse sont interdits, tout comme les mariages. La première semaine de ce Grand Carême est appelée « semaine Pure » (i Katharí evdomáda, η Καθαρή εβδομάδα) et commence donc avec le Lundi Pur (i Kathará Deftéra, η Καθαρά Δευτέρα). Cette référence à la purification tient son origine dans la Pessah juive, qui considère cette période de l’année comme une période importante de purification. Le premier samedi du Carême, qui se situe durant cette semaine pure, est également appelé « samedi des Âmes », puisqu’il s’agit d’un autre samedi de commémoration des défunts durant cette période. De même, les troisième et quatrième samedis de cette période de Carême seront consacrés à la commémoration des défunts, et donc, ils seront appelés aussi « samedi des Âmes ». Tout comme cela avait été le cas durant la période de pré-Carême, une partie de la liturgie du souvenir des morts sera psalmodiée. La deuxième semaine débute avec la célébration, le dimanche, du « Triomphe de l’Orthodoxie » (o Thríamvos tis Orthodoxḯas, ο Θρίαμβος της Ορθοδοξίας). Depuis 843, l’Église orthodoxe célèbre la victoire de l’orthodoxie sur l’iconoclasme, autrement dit sur l’interdiction de la vénération des icônes du Christ, de la Vierge et des Saints, qui avait été instaurée en 730. Pour l’Église orthodoxe, cette interdiction est une hérésie et elle a donc instauré un jour de commémoration du rétablissement de l’adoration des icônes au sein de l’église pour marquer sa satisfaction. La troisième semaine s’ouvre le dimanche suivant, qui est appelé « dimanche de saint Grégoire Palamás » (i Kyriakí Agíou Grigiríou Palamá, η Κυριακή Αγίου Γρηγορίου Παλαμά), car on commémore le souvenir de saint Grégoire de Palamas (i mními tou Agíou Grigoríou Palamá , η μνήμη του Αγίου Γρηρορίου του Παλαμά). Grégoire Palamás (1296- 1359) a été prêtre au Mont Athos. Il défend l’idée des moines hésychastes selon laquelle « Dieu s’est fait homme pour que l’homme puisse devenir Dieu187 », et donc qu’il faut chercher, grâce à la prière et à la méditation, à rétablir l’homme tel que Dieu l’a créé, c’est-à-dire à son image. Lorsque sa doctrine sera reconnue par l’église, Grégoire Palamás deviendra archevêque de Thessalonique. Il sera canonisé après sa mort, en 1368, et depuis cette date où il est devenu saint, l’église orthodoxe le commémore en ce deuxième dimanche de Carême. 187 Parole attribuée à l’évêque Athanase d’Alexandrie (vers 296/298-373), un des pères de l’Église orthodoxe. 222 L’église rappelle ainsi qu’il existe une possibilité pour l’homme d’entrer en communion avec Dieu. La quatrième semaine, qui marque la mi-carême, commence le dimanche de la vénération de la Sainte Croix (i Proskýnisi tou Stavroú, η Προσκύνηση του Σταυρού). Ce jour-là, une croix est disposée dans l’église et se dresse afin, d’une part, de rappeler les paroles du Christ : « Qui ne prend pas sa croix et ne suit pas derrière moi n’est pas digne de moi188 » et, d’autre part, d’encourager les fidèles qui respectent le Carême. En effet, la croix montre à la fois que nous sommes à la mi-Carême et que le but de cette fête, à savoir la commémoration de la crucifixion et de la résurrection du Christ, n’est plus très loin. Le dimanche qui ouvre la cinquième semaine est consacré à la mémoire de saint Jean de Climaque (o Ágios Ioánnis tis Klímakos, ο Άγιος Ιωάννης της Κλίμακος) ou encore de « l’Échelle ». Moine syrien des VIe et VIIe siècles (579-649), saint Jean a reçu le surnom de Climaque en raison de son précieux traité intitulé l’Échelle sainte ou l’Échelle du paradis (klímax, κλίμαξ, signifie « échelle » en grec), qu’il composa pour la formation des moines. Il y décrit l’itinéraire spirituel à la manière d’une montée vers Dieu, à travers trente degrés, comme sur une échelle. On commémore donc le souvenir de ce saint qui a rédigé cet ouvrage fondamental pour l’église orthodoxe, afin notamment de rappeler aux fidèles que la spiritualité est essentielle pour accéder à Dieu et de les encourager dans la persévérance de leurs efforts spirituels, puisque « […] celui qui aura tenu bon jusqu’au bout, celui-là sera sauvé189 . » Le samedi de cette cinquième semaine est consacré à la mère de Dieu. On l’appelle « samedi de la Mère de Dieu » (Sávvato tis Theotóko, Σάββατο της Θεοτόκο) ou encore « samedi de l’Akáthiste » (Sávvato tou Akáthistou, Σάββατο του Ακάθιστου), car on y chante l’hymne consacré à Marie. Celui-ci porte le nom de « Hymne Akáthiste de la Vierge » (o Akáthistos Ýmnos tis Panagiás, ο Ακάθιστος Ύμνος της Παναγιάς) car les fidèles se tiennent debout pendant son interprétation (akáthistos signifie « non assis » en grec). Il a été composé en 628 et est chanté durant l’órthros (ο όρθρος), c’est-à-dire pendant l’office du matin.