Les biomatériaux et le tissu osseux
Depuis le IIIème siècle avant J.C., l’Homme a essayé de remplacer en partie ou en totalité des parties lésées du corps humain : par exemple, on a retrouvé dans la bouche de Ramsès II, la plus ancienne forme de prothèse dentaire réalisée à partir de dent naturelle, préalablement traitée de façon à éviter le pourrissement, puis ligaturée, aux dents voisines du Pharaon, avec du fil d’or. Il s’agira plus tard de substituer des membres, des tissus biologiques, des organes… Le remplacement de ces organes était alors réalisé par des matériaux biologiques naturels. De nos jours, ces greffes proviennent soit du patient lui-même (autogreffe), soit d’un autre patient (allogreffe), soit d’un animal (xénogreffe). Dans ces deux derniers cas, des traitements préalables de purification sont nécessaires afin d’éliminer tout risque de contamination ou de rejet dû à d’éventuels résidus de nature organique. Les traitements envisageables sont la congélation, la stérilisation par rayonnement gamma, la lyophilisation ou le chauffage [Ranz1996]. Parmi ces options, le recours à la greffe autogène est privilégié car celle-ci permet de s’affranchir des risques de transmission de pathologies induites par des greffons étrangers (xénogreffes ou allogreffes). Néanmoins, l’autogreffe nécessite un second site d’intervention qui induit une augmentation des risques d’infection, d’où l’intérêt de recourir aux allogreffes, bien que des risques immunologiques peuvent entraîner le rejet de l’allogreffe. Malgrès leurs risques immunologiques, les allogreffes d’organes sont une nécessité, comme cela est reporté dans le rapport d’activité 2009 de l’Agence de la Biomédecine [Agence de la biomédecine 2009]. En France, en 2009, 13403 patients ont eu besoin d’une greffe, 4580 greffes ont été réalisées, 437 personnes sont décédées faute de greffons, et 403 ont dû être sorties de la liste d’attente en raison d’une aggravation de la maladie ou de complications médicales rendant la greffe incompatible avec leur état. Parmi les 108 donneurs décédés après arrêt cardiaque et les 3081 personnes en état de mort encéphalique, seules 1543 personnes ont été prélevées. A ces chiffres s’ajoutent 247 donneurs vivants qui ont été prélevés d’un organe. Parmi les organes greffés sur 4580 personnes, le rein Les biomatériaux et le tissu osseux Chapitre I Revue bibliographique – 7 – reste la première opération de greffe réalisée en France avec 2826 patients greffés en 2009, tandis que la greffe d’intestin reste anecdotique avec 7 interventions (Figure 1)Du point de vue des conditions médicales, psychologiques et éthiques, les greffes de tissus composites vascularisés s’apparentent aux greffes d’organes. En 2009, les banques de tissus ont réceptionné 8880 cornées, 34,55 m² de peau, 2463 membranes amniotiques, 610 artères, 2832 veines, 199 cœurs, 659 valves cardiaques, 181 os massifs et 16319 têtes fémorales. Ce rapport met en évidence le problème majeur des greffes, leur rareté. Les problèmes de tolérance et la pénurie de greffes expliquent pourquoi les matériaux synthétiques sont l’objet d’études de plus en plus nombreuses.
Définition générale des biomatériaux
Le terme « biomatériau » est polysémique. Une définition a été retenue en 1986 par la Société Européenne des Biomatériaux (European Society for Biomaterials, ESB) puis complétée en 1991, lors de la conférence de Chester (GB), dite de consensus : un biomatériau est un « matériau non vivant utilisé dans un dispositif médical, destiné à interagir avec les systèmes foies 22,86% reins 61,70% intestins 0,15% pancréas 1,94% cœurs 7,84% poumons 5,04% cœur-poumons 0,46% Chapitre I Revue bibliographique – 8 – biologiques, qu’il participe à la constitution d’un dispositif à visée diagnostique ou à celle d’un substitut de tissu ou d’organe ou encore à celle d’un dispositif de suppléance (ou d’assistance) fonctionnelle ». Cette notion de biomatériaux est donc très vaste et regroupe de nombreux produits d’origine naturelle ou issus de la synthèse de matériaux. Le biomatériau est destiné à être implanté dans le corps humain où il sera, à moyen ou à long terme, en contact avec les tissus (tissus mous et durs) et fluides biologiques. Une qualité essentielle est l’absence d’effet délétère pour l’organisme [Williams1987] c’est-à-dire sa biocompatibilité. Depuis les années 1980, cette notion est en perpétuelle évolution. Afin de lui donner un sens plus précis, les scientifiques enrichissent le vocabulaire et font intervenir les notions de biofonctionnalité, bioactivité, biodégradation. De façon encore plus précise, les biomatériaux peuvent également être classés en fonction de leur réactivité biologique après implantation : ils sont alors biocompatibles ou biotolérés, bioinertes ou bioactifs, biorésorbables ou non-résorbables, ou encore ostéoconducteurs ou ostéoinducteurs [Osborn1980]. Etant donné l’étendue de la définition des biomatériaux, il est coutumier de les classer en 4 groupes en fonction de leur nature chimique : les métaux et alliages métalliques, les céramiques, les polymères et les matériaux d’origine naturelle [Ratner2004]. Le champ d’applications médicales des biomatériaux est très large. Le Tableau 1 mentionne les différents systèmes physiologiques susceptibles d’être suppléés, réparés ou assistés par un biomatériau. La Figure 2, quant à elle, regroupe les principales utilisations de matériaux synthétiques comme implants. Il n’est pas possible d’utiliser n’importe quel type de matériau pour n’importe quelle application : le choix du matériau est une tâche souvent critique dans le processus de développement d’un dispositif biomédical dont les performances sont largement déterminées par celles du matériau utilisé. Ce choix dépend de la fonction envisagée (en lien avec les caractéristiques mécaniques, physico-chimiques et biologiques) et de l’environnement biologique dans lequel il sera implanté.
Le tissu osseux
A l’âge adulte, le squelette du corps humain (représenté sur la Figure 3) comptabilise 206 os constants et d’autres inconstants (les sésamoïdes par exemple), dont le nombre peut varier entre les individus, contre un total de 350 os à la naissance. Cette différence vient de la fusion ultérieure de petits os au niveau du crâne, de la colonne vertébrale et du bassin.Les os du squelette remplissent plusieurs fonctions : [Posner1985, Marieb2007, Thomas2008] → Protection des organes vitaux : cette fonction concerne les os de la cage thoracique, du bassin, ceux du crâne, et de la colonne vertébrale → Soutien des organes mous : les os jouent un rôle de charpente du corps. Ils répondent aux contraintes et aux déformations en remodelant le tissu osseux. → Biomécanique : les os possèdent des propriétés mécaniques qui leur permettent de supporter les effets de la pesanteur, de résister aux contraintes mécaniques externes et de résister aux forces de contraction musculaires (les muscles s’attachant sur les os, via les tendons). Les os assurent le mouvement au niveau des articulations. Ils sont articulés entre eux et des ligaments les relient afin de maintenir l’articulation en place lors des mouvements. → Métabolique : les os sont des réservoirs métaboliques et chimiques. Ils participent à la régulation de minéraux (homéostasie), en particulier du calcium (98 % du calcium de l’organisme) et du phosphore (90 % du phosphore de l’organisme) qui jouent un rôle biologique prépondérant dans la vie cellulaire, la transmission nerveuse et la coagulation sanguine. Inversement le minéral osseux sert de lieu de stockage aux ions toxiques, tels le plomb, le strontium,… éventuellement présents dans l’organisme. → Hématopoïétique : les cellules de la moelle osseuse rouge qui remplissent les lamelles osseuses de l’os spongieux, produisent les globules rouges. De plus, la moelle osseuse jaune renferme un tissu adipeux de réserve.