Les activités numériques scolaires
L’utilisation du Numérique à l’École
est pauvre en volume et en usages Reprenons autour de la Figure 56, page 258 (ou au verso de cette page car reproduite), listant les 12 principales activités numériques réalisées en classe et déclarées par les apprenants. En dehors de l’usage de logiciels spécialisés ou disciplinaires, les autres principaux usages des écrans en classe ne sont que des substitutions à des pratiques anciennes et donc peu « amplifiées » par le Numérique263 : écrire au clavier plutôt qu’au stylo, lire sur écran plutôt que sur papier, regarder une vidéo sur ordinateur plutôt que via un projecteur de film, un magnétoscope et une TV, écouter une bande son ou une musique sur ordinateur plutôt que via un magnétocassette. Sur ces activités, le seul gain potentiel du Numérique serait l’individualisation permise si chaque apprenant est devant un écran individuel : pouvoir piloter son activité (sa vidéo par exemple) et réguler ainsi son rythme d’apprentissage. Sinon, le passage au Numérique n’apporte pas de plusvalue, voire constitue un potentiel mésusage si le Numérique perturbe l’attention accordée à la tâche d’apprentissage. A ce stade, nous devons rappeler que le niveau d’expertise sur les connaissances à acquérir par les apprenants, ainsi que la charge cognitive générée par la tâche à réaliser pour les acquérir, influencent fortement le transfert des apprentissages (Côté et al., 2013). La couche numérique, surtout en cas de non maîtrise, vient donc ajouter une charge cognitive non productive en termes d’apprentissages. Il peut donc être fortement contreproductif de médiatiser une activité pédagogique avec un artefact numérique, si aucun apport n’est à en attendre. Nous avons donc développé un modèle d’intégration pédagogique du Numérique à 9 critères, pour rendre explicite ces dimensions. Ce modèle constitue également un outil de réflexion pour tout enseignant cherchant à déterminer les apports du Numérique, dans le dispositif pédagogique qu’il a mis en place : nous l’avons appelé l’amplificateur pédagogique (nous y reviendrons au § V.2, p. 373). A contrario, les « nouveaux » usages permis par le Numérique, apportant de l’interaction, développant la créativité et la ludification de l’enseignement ne sont que très peu investis alors qu’ils sont reconnus comme permettant un apprentissage de meilleure qualité autour des trois moteurs de l’apprendre que nous évoquions précédemment. Répondre à des quiz n’est cité que par 25.5 % des apprenants, alors que ce dispositif pédagogique apporte la « question socratique » à tous, individuellement, provoque donc une réflexion personnelle et apporte un feedback à chacun, contrairement à la question orale. Les activités créatives sur écrans (créer un site internet, du son, de la vidéo, des dessins) sont peu mobilisées : entre 16.2 % et 6.3 % des répondants suivant l’activité. Les activités de dialogue (réseaux sociaux, correspondants de langue étrangère) et de jeux le sont encore moins : entre 3.4 % et 4.3 % (voir Figure 56, p. 258 ou ci-dessous car reportée).
Confrontons la vision des apprenants à celle des enseignants : voici le classement des activités numériques scolaires, au regard des enseignants (Figure 68, issue de l’enquête enseignant ), suivi de nouveau par la Figure 56, de la page 258 pour faciliter la comparaison Les visions sont convergentes entre la Figure 68 et la Figure 56, l’importance de chaque activité est quasi la même, l’ordre est donc similaire. Au-delà de confirmer mutuellement les deux visions, cela nous renseigne aussi sur la qualité des réponses et du jeu de données des deux questionnaires à ce stade (question 20/44 pour les enseignants et question 73/99 pour les apprenants). De plus, nous évoquions autour de la Figure 52, page 253 que 3 h 36/semaine en moyenne étaient à priori consacrées à des activités pédagogiques instrumentées avec les Tice. Ces deux conditions réunies, (1) peu d’heures de pratiques pédagogiques avec le Numérique en classe et (2) des usages peu diversifiés voire peu adaptés à une vraie amplification par le Numérique des moteurs de l’apprendre, font que nous pouvons conclure que : le Numérique est peu utilisé en classe, et de manière peu optimisée, laissant une marge de manœuvre importante à l’accompagnement au développement professionnel de l’enseignant (formation de formateurs à la pédagogie instrumentée, ou ingénierie technopédagogique). Nous ne voulons pas dire que tout ce qui est fait avec le Numérique n’est pas bon et pas générateur d’apprentissages, loin de nous cette pensée, mais juste révéler que les usages sont très peu diversifiés et pourraient mieux mobiliser les moteurs de l’apprendre autour du potentiel éducatif inhérent au Numérique. Nous proposons de continuer notre raisonnement pour approfondir ce constat.
Le Numérique est différemment utilisé suivant le niveau scolaire
En croisant les usages numériques déclarés en classe et le niveau scolaire, nous obtenons le graphique (AFC) de la Figure 69, représentant une typologie assez particulière des usages numériques en classe par niveaux scolaires. En effet, il apparait que les usages les plus « innovants » et potentiellement « bien amplifiés par le Numérique », autour de la création, de l’interaction et du jeu sont pratiqués essentiellement en collège. En lycée les usages sont centrés sur l’audiovisuel (sons et vidéos) et à l’université autour du texte numérique, via des documents numériques ou Internet (sites, réseaux sociaux). Pour expliquer cela, nous avons à notre disposition le levier de la barrière d’âge ; prenons un premier exemple. L’usage des réseaux sociaux est plus risqué auprès des plus jeunes (exposition à des contenus choquants), et moins accessible (création de comptes) rendant la tâche de didactisation plus ardue pour les enseignants de collège, autour de cette thématique. Il existe d’ailleurs -depuis peu- des réseaux sociaux adaptés (filtrés) pour ce public, pour lever ces freins. Comme deuxième exemple de la barrière d’âge, le jeu étant considéré comme une pratique juvénile, il est plus difficile de le faire entrer comme outil et scénario pédagogique265 à l’université, ou en lycée d’ailleurs d’après nos résultats ci-dessus. Nous le soulignons, malgré le succès récent des jeux dits sérieux (ou serious games) autant en entreprise que dans le système éducatif spécialisé (écoles de commerce, médecine…). Enfin, regarder des vidéos et utiliser des logiciels spécialisés sont des usages « tous niveaux » et évidents pour les enseignants, du moment que le besoin s’en fait ressentir. Les activités numériques sont donc fort différentes en fonction du niveau scolaire.
Un tutorat numérique rare ou peu efficace ?
La relation pédagogique se construit autour des interactions entre les apprenants et les enseignants (interaction apprenant-apprenant comprise), en classe mais aussi hors de la classe depuis l’avènement du Numérique éducatif. En effet, les ENT, les emails, les sms, les tchat, les forums, les réseaux sociaux, ainsi que les documents collaboratifs et autres plateformes permettent une riche interaction pédagogique et cela bien au-delà des murs et du cadre temporel de la classe. Comme évoqué via la typologie de Daniel Peraya (voir § Les huit fonctions génériques d’un dispositif de formation médiatisé, page 128), il est question ici de la pratique tutorale numérique pour le soutien et l’accompagnement des apprenants. Alors, une forme de tutorat numérique estelle constatable dans le système scolaire classique ? Les outils numériques sont-ils mobilisés pour augmenter la relation pédagogique et lui faire dépasser le cadre spatio-temporel potentiellement restreint de la classe ? Nous distinguerons deux rubriques, les consignes numériques descendantes (de l’enseignant vers les apprenants) et les questions numériques montantes (de l’apprenant vers son enseignant de manière spontanée). Cela peut sembler restreint pour décrire une pratique tutorale multidimensionnelle (le tutorat est technique, cognitif, organisationnel, méthodologique, socio-affectif et rationnel), mais nous rappelons que notre objet d’étude n’est pas un dispositif de formation en ligne. Il s’agit de cours classiques en présentiel, instrumentés (ou pas) par le Numérique.
Les consignes numériques descendantes
Au regard des apprenants, seuls 20.6 % des enseignants envoient fréquemment des consignes numériques entre les cours. La figure de droite montre la superposition des courbes représentant chaque niveau scolaire. Le collège, en vert, est le niveau ou l’absence de consignes numériques entre les cours est la plus forte. Cette courbe se déplace ensuite progressivement vers la droite et le « rarement », majoritaire à l’université.Nous pouvons en conclure que les consignes pédagogiques sont essentiellement données durant les cours et peu entre les cours, même « Numérique aidant ». Il est à noter que la modalité « souvent » correspond statistiquement aux étudiants de M1 et M2, à priori davantage tutorés à l’aide des outils numériques. Voyons ce qu’en pensent les enseignants. D’un enseignant sur cinq (20.6 %) au regard des apprenants, le nombre d’enseignants donnant fréquemment des consignes numériques entre les cours passe à un sur deux (50.1 %) au regard des enseignants. La figure de droite (Figure 71), indique qu’au lycée et encore davantage à l’université, l’enseignant interrogé sur ce point déclare majoritairement donner fréquemment des consignes numériques entre les cours