Le delta, un héritage
Les dynamiques physiques, actuelles et passées, du delta du Sénégal Deltas et estuaires sont des écosystèmes particuliers (1.1.). Les dynamiques actuelles du delta du Sénégal (1.2.) sont le résultat de fluctuations climatiques durant le quaternaire récent (1.3.). Ces fluctuations climatiques anciennes (1.4.) ont aussi contribué à la complexité des formes actuelles d’un écosystème perçu soitcomme un véritable delta ou un pseudo-delta (1.5.).
Généralités sur les deltas et les estuaires
Les deltas et les estuaires sont des écosystèmes particuliers, tant du point de vue de leurs dynamiques, de leurs structures que de leurs formes. Zones de contact ou d’affrontement entre dynamiques fluviales et dynamiques littorales (TRICART, 1977), deltas et estuaires sont des interfaces d’échanges qui évoluent selon les rapports de force entre deux flux opposés : eaux douces et eaux salées, milieu fluviatile et milieu marin. Les estuaires sont des milieux hydrauliques dynamiques reliant le fleuve à la mer. Ce sont des zones de « contact entre le biseau des eaux salées et les eaux douces » (SY, 2008 : 46) ou de transition entre le domaine continental et le domaine marin. L’estuaire est façonné par les courants marins qui relaient, à l’aval, l’action des cours d’eau perceptible à l’amont à travers les accumulations sédimentaires (COQUE, 1977). L’embouchure d’un delta résulte de l’action de l’écoulement fluvial, les agents marins ou lacustres se bornant à remodeler plus ou moins son bord externe (COQUE, 1977). Cette accumulation se fait à travers le dépôt d’éléments grossiers (sable surtout), qui s’amassent en baies, en cordons ou en flèches (Langue de Barbarie). Les deltas sont des zones d’accumulations alluvionnaires. Un delta est « une accumulation d’apports terrigènes dans un secteur déprimé aquatique à subaquatique, correspondant à une plaine alluviale large en général où s’accumule une grande quantité des matériaux transportés [ ;] il peut déboucher à la mer (delta du Sénégal) ou se confiner au continent (delta intérieur du Niger) » (SY, 2008 : 39.) Les deltas continentaux sont des constructions sédimentaires élaborées au débouché des cours d’eau dans des étendues permanentes (BELLAICHE, 2013). Les deltas progradant n’apparaissent que lorsqu’un fleuve, chargé d’une grosse masse d’alluvions, se jette dans une mer dont la dynamique est faible, autorisant les sédiments à se disperser pour s’accumuler en delta sous-marin ou en delta émergé (AUBRY, 2004.) Les deltas se caractérisent par leur instabilité et se différencient selon leur taille et en fonction de leur évolution géomorphologique (BETHEMONT, 2000). Ainsi, distingue-t-on les deltas en voie d’accroissement sur tout leur front, des deltas progressant que par une (delta du Sénégal) ou plusieurs de leurs branches et les deltas menacés de recul comme le Nil du fait de l’action anthropique (BETHEMONT, 2000.) Un autre trait caractéristique des deltas tient au fait que ce sont des milieux où le fleuve se divise en plusieurs bras du fait de la diminution de la pente (AUBRY, 2004). Le delta, un héritage Chapitre 3. Le delta, un héritage – 51 – Les deltas de la catégorie (A) sont marqués par la prédominance des dynamiques fluviatiles (delta du Mississippi). Ils se caractérisent par des distributaires nombreux et rectilignes où se déposent des barres sableuses (BEAUCHAMP, 2005). Les deltas (B) sont marqués par la prédominance de la marée. Ces deltas ont une embouchure évasée en estuaire (MONTEILLET, 1986.b). C’est le cas du delta du Gange ou du Rhône.
Le delta du Sénégal : état et dynamiques actuelles
Le delta du Sénégal est classé parmi les deltas pour lesquels la dynamique de la houle prédomine, au détriment de la dynamique fluviatile. Ce type de delta est exposé à l’activité destructrice des vagues qui entraîne un démantèlement permanent des barres d’embouchure en une série de barres côtières ; l’action des courants de dérive littorale contribuant à modeler ces barres côtières en cordons sablonneux parallèles à la ligne de rive (BELLAICHE, 2013). Une forte dérive littorale a permis l’édification de cordons littoraux parallèles à la côte (MONTEILLET, 1986.b). Il s’agit de la Langue de Barbarie, longue de 25 km sur une largeur variant de 200 à 400 m (SY, 2006). La dérive littorale de direction NNW-SSE est engendrée par la houle de même direction issue des alizés de l’Atlantique Nord qui soufflent une bonne partie de la saison non pluvieuse, sur le littoral saint-louisien. La longueur d’onde de cette houle, en eau profonde, atteint 302 m pour une hauteur moyenne de 1 m et une périodicité de 12 à 15 secondes. Au niveau de SaintLouis, cette houle a une forte énergie alors qu’au niveau de la côte dakaroise, elle perd de son énergie. Cette houle charrie une quantité importante de sables (de 300 000 à 1 500 000 m3 /an). Les mouvements de la houle sont ressentis toute l’année, avec une forte intensité durant la saison non pluvieuse. Durant la saison pluvieuse, une houle de direction SW-NE, issue de l’Atlantique Sud, déferle avec une faible énergie au niveau de l’embouchure du fleuve Sénégal. Le delta du Rhône et du Sao Francisco (Brésil) fonctionne sur ce modèle. Le delta du Sénégal est considéré par Jean TRICART (1977) comme un delta colmatant une lagune. Ces deltas ont un certain nombre de caractéristiques explicitées dans leur genèse comme dans leur dynamique (TRICART, 1977) : – ces deltas sont localisés dans une zone de subsidence dont l’affaissement a contribué à l’accumulation des alluvions. Le delta du Sénégal se localise dans un bassin sédimentaire. La région du delta a connu, à plusieurs reprises, des affaissements du socle (MICHEL, 1973) ; – un cordon littoral large et massif, occupé par des dunes, isole le delta de la mer ; – la dynamique littorale est prépondérante sur la dynamique fluviale, ce qui entraîne une instabilité dans le maintien de l’embouchure due à une importante dérive littorale qui repousse sans cesse l’embouchure, dans des conditions naturelles, vers le sud (et vice versa). Avec la mise en place d’un barrage en 1986 et l’ouverture d’une brèche artificielle en 2003, l’instabilité de l’embouchure a été accentuée. Au colmatage de l’ancienne embouchure naturelle s’est superposée l’ouverture de nouvelles brèches (2) vers le nord, à environ 100 m de la brèche artificielle actuelle, en octobre 2012. L’embouchure serait-elle repoussait vers le nord plutôt que vers le sud ? Des études devraient confirmer ou infirmer cette hypothèse. En tout état de cause, ces changements structuraux auront des répercussions sur les dynamiques estuariennes actuelles : qualité de l’eau des nappes phréatiques, disparition progressive de certaines îles à l’instar de Doune Baba Dièye (SY, 2010) dans un contexte avéré d’élévation du niveau marin sur la côte saint-louisienne (SALL, 2006 ; DURAND et al., 2010)
Le quaternaire récent dans le delta du Sénégal
Le fleuve Sénégal est subdivisé en un ensemble de sous-bassins versants (la moyenne vallée, Bakel, Kayes, Falémé, Bafing, Bakoye, etc.). Ces sous-bassins versants sont drainés par des affluents et des défluents majeurs. Parmi ces sous-bassins versants, le delta du Sénégal se caractérise par une morphodynamique particulière et complexe qui a évolué avec Première partie : Le delta, un remarquable écosystème au cœur du Sahel sénégalais – 54 – l’artificialisation du milieu naturel. Cette morphodynamique est aussi à la base des potentialités d’exploitation qui sont au cœur de la mise en valeur traditionnelle et actuelle du delta. Le delta du Sénégal appartient entièrement au Quaternaire et au bassin sédimentaire sénégalo-mauritanien (Fig. 15). Le socle occupe toute la vallée du fleuve Sénégal, de Bakel à Saint-Louis, ainsi que la zone littorale des Niayes, entre Saint-Louis (Gandiol) et Dakar. Dans le delta, le bassin sédimentaire, perméable (sables et grès), contient un aquifère salé (nappe alluviale du Quaternaire) profond de 2 à 15 m selon les endroits. Cette nappe couvre le lit majeur du delta du Sénégal. Le delta du Sénégal a connu une succession de périodes humides et de périodes sèches. Analyser sous l’angle d’un mouvement irrégulier, on s’aperçoit qu’il a connu des périodes de temps plus pluvieux et des périodes très sèches. À chaque irrégularité hydroclimatique, des phénomènes de régression ou de progression marine ont été observés par les géomorphologues et les paléontologues ; la période de transgression décisive étant la flandrienne ou nouakchottienne (dans le Quaternaire). Ces phénomènes complexes de transgressions et de régressions marines influencent la morphologie et l’évolution des littoraux (PASKOFF, 1998). Ces phénomènes hydroclimatiques sont à la base de l’édification du delta du Sénégal.