La singularité du village d’Ólympos
Histoire et origine du village
Le village d’Ólympos se trouve au nord de l’île de Kárpathos, située en mer Égée, entre Kásos (non loin de la Crète) et Rhodes. Elle appartient à l’archipel du Dodécanèse, qui ne fait partie de l’État grec que depuis 19487 . Selon la mythologie, Kárpathos est la patrie des Titans, qui y ont vécu jusqu’à leur disparition lors du célèbre combat avec les dieux de l’Olympe. De plus, à Ólympos, beaucoup de villageois aujourd’hui, dont le pope papa-Giánnis, ne manquent pas de rappeler la légende qui explique d’où vient le nom de « Kárpathos ». Celui-ci serait issu du mot « arpátheoi » (Αρπάθεοι), autrement dit « qui ont pris les dieux », car les premiers habitants qui se sont installés dans cette île avaient volé les dieux de l’Olympe et les y avaient emmenés avec eux. Dans l’Antiquité, cette île était également dénommée « Tetrápolis » (Τετράπολις, « quatre villes »), car elle possédait quatre villes : Posédion au Sud-Ouest (l’actuelle Pigádia), Arkésia au Sud-Est (l’actuelle Arkása), Vrykoús au Nord-Ouest et Palátia (ou Nísyros) sur l’îlot de Saría au Nord, qui sont, elles, inhabitées aujourd’hui. Au IXe siècle avant J.C., les îles de cet archipel du Dodécanèse subissent l’invasion et la colonisation dorienne, puis en 42 avant J.C., elles sont annexées par l’Empire romain d’Orient. À partir du VIIe siècle après J.C., les flottes arabes et sarrasines commettent des actes de pillages et de destructions dans les îles de la mer Égée. La flotte byzantine essaie de les combattre pour s’en débarrasser, mais ce n’est que vers le Xe siècle qu’elle arrive à assurer une sécurité relative autour de ces îles.
Organisation sociale et système de parenté
Le village d’Ólympos, longtemps resté isolé du reste de l’île, mais également du reste de l’archipel et de la Grèce, du fait de son accessibilité uniquement par des caïques et par des sentiers, connaît une organisation sociale de sa communauté qui est singulière. Cette organisation sociale, basée sur un principe de filiation par lignage et d’alliances entre les familles, a été étudiée et décrite en détail, d’une part, dans la thèse que Sophie Capetanákis née Dascalópoulos a soutenue à l’EHESS en 19798 et, d’autre part, dans l’ouvrage de Bernard Vernier publié en 19919 , et qui reprend et rassemble cinq articles publiés auparavant dans des revues, mais qui s’appuie également sur les deux mémoires de thèse qu’il a réalisés en 1977 et en 1987. Je m’appuie donc sur ces travaux pour présenter les grandes lignes de ce système d’organisation sociale. En effet, afin de bien comprendre les enjeux des distiques improvisés au cours des fêtes du village, il est nécessaire de comprendre et de connaître le fonctionnement social de cette communauté, puisque celui-ci a des effets dans tous les domaines, y compris le domaine poétique et musical. Ainsi, la communauté d’Ólympos est basée sur un certain nombre de dichotomies que je ne manquerai pas de mentionner. Dans un premier temps, il faut savoir que la communauté repose sur la division de ses membres selon des catégories socio-professionnelles, division qui s’opère entre les familles de bergers et les familles d’agriculteurs. Ces dernières ont pris l’avantage à la suite de l’expansion de l’agriculture, au début du XVIIIe siècle, selon Sophie Capetanákis. La classe agricole prédomine donc sur la classe pastorale, mais malgré tout, l’économie locale repose sur un système d’échanges entre ces classes socio-professionnelles. Le principe d’échanges, selon un système de dons et de contre-dons, rend alors possible l’auto-subsistance de ce village enclavé, d’autant que la monnaie ne fait son apparition que très tardivement dans la question des échanges et de leur rémunération. C’est cette prédominance de l’agriculture qui a entraîné l’instauration d’un système social de parenté particulier : « Les structures sociales s’articulèrent alors autour d’un système visant la préservation de la propriété foncière, la pérennité de sa fonction stratificatrice et, consécutivement, la prédominance sociale des grands propriétaires terriens, les kanakarei, qui concentrèrent entre leurs mains les pouvoirs politico-religieux10 . » Ainsi, pour préserver l’entité que représente la propriété foncière des champs et de la maison, le système qui s’est mis en place marque la séparation entre l’homme et la femme, mais également entre les enfants aînés et les enfants cadets. En effet, chaque parent conserve son patrimoine propre au moment du mariage, et il le transmettra presque intégralement à l’aîné de ses enfants qui sera du même sexe que lui. On assiste ainsi à la création d’une lignée de descendance masculine paternelle et d’une lignée de descendance féminine maternelle. L’existence de ces deux lignées parallèles est renforcée par le fait que l’aîné des garçons, qui sera désigné sous le vocable de kanakáris (ο κανακάρης), devra porter le prénom du grand-père paternel, tandis que l’aînée des filles, désignée quant à elle sous le terme de kanakária (η κανακάρια), devra obligatoirement porter le prénom de la grand-mère maternelle Ainsi, de la même manière que la transmission des biens se réalise sur un axe vertical, celle des prénoms se réalise sur le même axe : « Chaque ligne de descendance [pour les détenteurs de la terre], tant paternelle que maternelle, est dotée d’un patrimoine foncier ancestral dont la perpétuation accompagne celle de la ligne de descendance à laquelle il est associé . » Le système repose donc sur deux lignes de descendance qui se présentent sous la forme de deux filiations unilinéaires parallèles et la coexistence de deux patrimoines ancestraux légués à la génération suivante selon la norme coutumière, à savoir que chaque parent transmet son patrimoine à un seul de ses enfants, celui qui reçoit le prénom de leur parent respectif issu de la lignée féminine ou masculine : « Seule l’attribution du prénom adéquat à un enfant mâle ou femelle lui confère des droits incontestables sur le patrimoine foncier associé à la ligne de descendance dont ce prénom relève. » Le choix du prénom occupe donc une place primordiale au sein de la communauté, puisqu’il détermine le processus d’héritage et celui de la succession. Le nouveau-né obtient ainsi un statut social au sein de la communauté, d’autant que les villageois considèrent que l’enfant portant le prénom de son grand-parent ressuscite ce dernier : « [E]n attribuant à l’aîné des garçons le prénom de son grand-père paternel et à l’aînée des filles le prénom de sa grand-mère maternelle, les parents remboursaient une dette affective et accomplissaient un devoir sacré : celui de faire anastassi, c’est-à-dire de ressusciter les ancêtres (on disait que l’âme de l’ancêtre passait dans le corps de celui qui portait son nom) qui leur avaient transmis l’ensemble de leur patrimoine matériel et symbolique .