La géographie structurale
Des études anthropologiques et anthropospatiales à la géographie humaine structurale La gouvernance est à la fois décision et médiation, consensus et fermeté. Chez FOUCAULT (2004), la gouvernance est la manière de mettre en relation un ensemble d’éléments dans le but de prévenir. Elle s’applique autant aux hommes (relations entre les hommes, la richesse, les ressources, etc.) qu’aux « choses » (coutumes habituelles, savoir-faire, manière de pensées – culture –, etc.). Elle recouvre chez FOUCAULT trois niveaux en interaction : la famille, la population et l’État dans une logique où la structure familiale, interne à la population, est le relais de l’État. La gouvernance de l’eau fait référence aux institutions – dimension décisionnelle – dont les interventions sont diverses (planification des ouvrages hydrauliques et du développement, réformes politiques et administratives, etc.).
La gouvernance dans les études anthropologiques en Afrique
Les études anthropologiques se sont développées en Afrique dans le courant des années 19801 ; les études anthropologiques et ethnologiques étant très nombreuses durant la période précoloniale et coloniale en Afrique, dans le cadre de l’anthropologie coloniale des missionnaires, administrateurs et ethnologues visant à identifier et classer les groupes humains selon l’aspect physique, la culture (genre de vie, au sens vidalien du terme, c’est-à-dire la coïncidence entre les activités d’une société et un écosystème donné, soit un rapport homme/milieu équilibré et des paysages construits pour durer), le système de parenté (matri- ou patrilinéaire, le mode d’organisation politique – segmentaire, en chefferies, ou en États – , etc.), la langue, mise au cœur de l’ethnie (BRUNEAU, 2006). Ces études concernent le développement à travers le développement local, la décentralisation, etc., en tant qu’idéologie politique (FALL, 2011.a) et les structures de décision et de pouvoir dans le cadre du maillage territorial de l’espace public – décentralisation, collectivités locales, développement local, etc. – (SARDAN, 1995, 2004, 2007 ; LESERVOISIER, 1994, 2011 ; BAYART, 1989). Le développement local (dans le sens de valorisation des ressources locales), issu des thèses du développement endogène ou de la dimension culturelle du développement, est ainsi perçu comme l’opérateur de la réalisation, à chaque échelle d’intervention territoriale (régions, communes, communautés rurales, villages), du développement humain ou du développement durable (FALL, 2011.b). Ce développement local passe par une certaine redistribution des pouvoirs dans les différentes sphères territoriales. La modernité africaine tente d’appréhender les formes contemporaines du pouvoir en Afrique (corruption, décentralisation, pouvoirs locaux, système de santé, système judiciaire,etc.). La modernité africaine (comme concept opératoire) est devenue la base des études anthropologiques sur l’Afrique. Elle traduit davantage la résilience des systèmes locaux qu’une véritable modernité dans le sens occidental du terme (c’est-à-dire un système en rupture par rapport aux systèmes précédents axés sur la (sur)consommation, la croissance, l’industrialisation dans sa dimension économique – BRAUDILLARD, 1970 –). Si les concepts fusent pour décrire les situations de changement dans l’évolution des sociétés à l’échelle mondiale (prémodernité, modernité, postmodernité1 , surmodernité2 , transmodernité, etc.), la modernité africaine devient, ainsi, le concept d’investigation des réalités de la gouvernance en Afrique contemporaine en leur rendant leurs diversités. Ces études anthropologiques s’attachent donc à la formalisation de la spécificité de la gestion des biens et services publics ou collectifs en Afrique (SARDAN, 2007). Dans ce cadre, plusieurs disciplines (anthropologie, science politique, sociologie) vont s’approprier l’étude de ces problématiques. D’une part, il y a le paradigme de l’anthropologie du développement et, d’autre part, le paradigme de la socioanthropologie des espaces publics. Ces paradigmes sont articulés aux travaux de M. AUGÉ (1992, 1994, 2009) sur l’espace des identités permettant de saisir la réalité d’un phénomène contemporain à travers l’histoire (le sens de l’histoire et les héritages anthropostructuraux « modernisés » qui font perdurer les anciennes structures anthropologiques d’une autre façon), l’anthropologie (à travers l’espace géométrique et l’espace anthropologique, existentiel et symbolique) et la géographie (espace – lieux, non-lieux). Ces études anthropologiques s’inscrivent dans la logique de l’étude des espaces contemporains (plus précisément de l’étude de l’espace de la quotidienneté ou de l’immédiateté3 ) sur les bases historiques (temps, durée), anthropologiques (identité, culture, sens) ; la base géographique se situant dans les études de l’anthropologie spatiale et de la géographie structurale (Berque, Desmarais, Ritchot). Les espaces contemporains et les idéologies qui les portent (développement, décentralisation, etc.) constituent les domaines d’étude empiriques récemment étendus à l’Afrique non plus seulement par rapport aux approches ethnicistes ou culturelles, mais surtout par rapport aux multiples interactions des différentes sphères de la quotidienneté qui influent sur la gouvernance des ressources et des biens publics en Afrique. Ces études ont été formalisées dans le cadre de l’APAD4 à partir des années 1990. Dans ce cadre, un ensemble de travaux ont rendu compte de la gouvernance, aux échelles locales et globales, des ressources naturelles au Sénégal (SALZBRUNN, 1996 ; FAYE, 2001 ; DIA, 2002), mais aussi de la déconstruction / reconstruction des systèmes de pouvoirs et de décision contemporains (décentralisation, courtage et intermédiation socio-économique, coopération internationale) par les systèmes traditionnels locaux. Ces études tendent à montrer l’espace des hybridités que constitue le rapport au pouvoir dans les systèmes locaux (ou globaux) de gouvernance (la dichotomie importée vs « inventée » largement décrite dans les travaux d’O. SARDAN). Le discours sur la modernité africaine (si l’on s’accorde qu’il existe une modernité africaine) est fortement teinté des postulats déterministes : ethnique (BAYART, 1989), culturel, structure de la parenté et du lignage1 (DAHOU, 2002.a, 2004, 2011). Une analyse empirique approfondie révèle qu’au-delà de l’ethnique ou du culturel, le cadre de la communauté (que cette communauté soit ethnique, familiale, lignagère, religieuse, confrérique, sectaire, politique – le parti –) constitue le ciment de la gouvernance en Afrique ou de la gouvernementalité au sens foucaldien du terme c’est-à-dire, d’une part, l’ensemble des institutions, procédures, analyses, réflexions, calculs, tactiques qui permettent l’exercice du pouvoir sur la population et, d’autre part, le développement d’appareils ou de savoirs pour gouverner (FOUCAULT, 2004). Cette gouvernance s’exerce à plusieurs niveaux : du haut vers le bas, de l’amont à l’aval, etc. dans le cadre de l’espace des relations dans les structures publiques voire privées.
L’anthropologie structurale au cœur de la relation homme – nature
Approche critique de la géographie structurale
En géographie, ces aspects sont élucidés par l’anthropologie spatiale (A. Berque) qui constitue le second niveau dans l’étude de la « diversité » anthropologique en introduisant la dimension spatiale. L’anthropologie spatiale est une dérivée des courants d’anthropologie sociale et culturelle et d’anthropologie de la nature. L’anthropologie sociale et culturelle étudie les médiations entre la nature et la culture, entre les déterminations physiques qui conditionnent la vie des humains et les significations d’une étourdissante diversité dont ces déterminations sont investies (DESCOLA, 2011). Par ricochet, l’anthropologie spatiale étudie la médiation Nature / Culture dont l’espace, sa structure (établissement humain) est le révélateur des régulations anthropologiques. La géographie structurale se situe dans l’orbite de l’anthropologie spatiale. On peut l’aborder à travers l’ensemble des critiques qui ont été faites de cette démarche théorique pour mieux appréhender sa dimension théorique et conceptuelle en construction. La démarche de géographie structurale est souvent remise en question par la dimension narrative et descriptive des études consacrées à la ville, au territoire. Il y a une part belle réservée aux récits (sur des siècles, voire des millénaires) dans les études de cas de la géographie humaine structurale. RITCHOT s’en défend dans l’introduction de son ouvrage Morphogenèse de Rome (2011) :« De nombreux passages pourront ressembler à des récits historiques. Mais l’ensemble ne racontera pas des histoires et encore moins l’Histoire. Mon ouvrage est de géographie théorique et non pas d’histoire factuelle » (RITCHOT, 2011 : 13).
L’étude des territoires en mutation dans le delta du Sénégal
Abordé sous l’angle du territoire, notre démarche vise à objectiver et à mettre à distance l’émergence des territoires à travers les valeurs identitaires (ethniques et anthropologiques) (BAYLE, 2011 ; in avant-propos RITCHOT, 2011) et ontologiques dans le contexte des approches technicistes (BERQUE, 2009) ou développementalistes (barrages, aménagements hydroagricoles, etc.). La démarche de géographie structurale pose donc comme postulat que « la structure de l’espace est a priori complexe et discontinue » (Bayle dans l’avant-propos de l’ouvrage de RITCHOT, p.10) ; cette discontinuité donnant sens aux formes d’établissement humain et à l’occupation des lieux ainsi que l’utilisation des ressources de la nature par les populations. Cette approche aborde autrement les relations homme – nature, dans la droite ligne des recherches de Berque sur l’écoumène à travers le concept de la médiance et en opposition aux approches marxistes et néoclassiques. Dans ce cadre, la notion de structure mentale utilisée dans ce travail interroge l’ontologie, dans le sens des relations entre l’Homme et la Nature à travers les systèmes de médiation Chapitre 2. La géographie structurale comme support théorique d’une analyse empirique d’un système complexe africain – 39 – socioculturelle. Sa définition est proche de l’approche hégélienne de l’Esprit c’est-à-dire des phénomènes généraux spécifiques à une civilisation – croyances, religions, spiritualité, etc. – et inscrits dans l’espace-temps (KAMARA, 2010). La structure mentale renvoie donc à cette médiation culturelle (ontologique) qui tisse les relations entre l’Homme et la Nature. Ces approches de géographie structurale sont jusque-là centrées sur des espaces urbains. La nouveauté de l’application au cas d’un espace semi-rural, semi-désertique d’un pays africain en développement est un élément essentiel de ce travail. Ces approches théoriques offrent des perspectives nouvelles d’analyse des dynamiques comme on a pu le voir dans le cas du delta du Sénégal . La terre, la question de sa propriété ou les formes de régulation anthropospatiales sont au cœur de la géographie humaine structurale. En ce sens, cette théorie permet de saisir la complexité qui est au cœur des structures économiques dans le delta du Sénégal, l’eau n’étant qu’un révélateur de dynamiques spatiales multiscalaires.