L’espace mémoire

 L’espace mémoire

Les métropoles méditerranéennes, pour répondre à une concurrence entre leurs territoires, entreprennent de se positionner pour bénéficier de la centralité au niveau de l’espace méditerranéen. Elles initient pour ce faire des opérations de renouvellement urbain, notamment pour les centres anciens, dont il s’agit de mobiliser la ressource patrimoniale pour favoriser, à travers le processus de patrimonialisation, la relocalisation de fonctions prestigieuses au centre géographique de la ville, faisant coïncider centralité et position centrale. Nous exposerons les différentes étapes de la constitution de la ressource patrimoniale, ainsi que le corpus visible et invisible qu’elle recèle. Nous analyserons le processus de renouvellement urbain, de ses aspects théoriques à ses aspects pratiques (§ 1-1). Nous étudierons ensuite, ce qu’est le patrimoine ( § 1-2) et la patrimonialisation du centre ancien qui repose sur un nombre limité d’objets patrimoniaux prestigieux, qui lui confèrent une identité singulière et une fonction iconique à l’échelle de la métropole (§ 1-3). Nous détaillerons enfin, les processus de différenciation spatiale qui, dans les centres anciens en position de centralité potentielle, provoquent la gentrification de micro-territoires (§ 1-4) 1-1 Le renouvellement urbain des centres anciens : de la doxa à la praxis Le renouvellement urbain de la ville méditerranéenne se déroule dans un contexte de mise en concurrence des territoires. « Le concept de renouvellement urbain implique un réinvestissement sur des sites ayant un potentiel économique sous-utilisé, un remodelage des quartiers avec une part de démolition-reconstruction qui complète la réhabilitation de l’habitat existant. Il implique aussi une nouvelle articulation des quartiers avec le reste de la ville. » 4 Le concept de renouvellement urbain, peut également se voir « appelé à désigner, non pas un type particulier d’opération mais un projet politique visant, par une série d’opérations coordonnées, à revaloriser un site urbain dégradé, désaffecté ou paupérisé et y mettant en œuvre les principes de mixité sociale et de diversité urbaine.» 5 Il se présente comme un vaste ensemble de démarches et de projets qui se propose de redessiner la ville de demain. A l’échelle de la métropole, les enjeux reposent sur la diversification des fonctions, la promotion de projets immobiliers, le renforcement de l’attractivité économique, culturelle et touristique. Au niveau du quartier, le renouvellement urbain se réalise à travers une succession, de programmes6 de rénovation urbaine, procédure radicale qui modifie en profondeur la morphologie du territoire. Il s’agit d’une « démolition, en vue d’une construction nouvelle, d’un secteur urbain occupé par des logements, des activités ou de façon mixte.(…) La rénovation urbaine est une opération lourde qui nécessite une intervention massive des pouvoirs publics. » 7 La réhabilitation d’un quartier urbain vise à conserver la forme vernaculaire ainsi qu’à maintenir ou renouveler des fonctions urbaines, par une succession de projets8 , d’opérations9 sur le parc de logements et par le renforcement de la centralité des quartiers anciens dégradés. « C’est donc un ensemble des travaux visant à transformer un local, un immeuble ou un quartier en lui rendant des caractéristiques qui les rendent propres au logement d’un ménage dans des conditions satisfaisantes de confort et d’habitabilité, tout en assurant de façon durable la remise en état du gros œuvre et en conservant les caractéristiques architecturales majeures des bâtiments. » 10 La réhabilitation d’objets patrimoniaux rénovés, symboles d’une identité urbaine et témoins d’une histoire, favorise le déploiement de fonctions urbaines renouvelées. L’accompagnement social des populations, l’information des riverains, la transparence des procédures administratives, sous la forme de bonnes pratiques 11, participent d’un renouvellement urbain durable des territoires. « La qualité de vie d’un quartier ne se décrète pas, elle est l’aboutissement d’une alchimie complexe mêlant urbanisme, qualité des constructions, qualité des relations sociales et du lien social, qualité des services et de l’environnement… La participation des habitants est une condition de réussite des projets, les habitants étant par ailleurs les mieux à même de définir leurs attentes en matière de qualité de vie. » 

Marseille : le quartier du Panier

Le quartier du Panier, qui appartient au centre ville représente le plus vieux village de la ville de Marseille. L’identité méditerranéenne qui provient de sa localisation à proximité immédiate du Vieux-Port et à portée des bassins de la Joliette, confère à ce quartier populaire une mémoire qui incarne celle de la métropole. L’état de dégradation du bâti et des espaces publics va renforcer le caractère répulsif du Panier. A cet égard, sa stigmatisation va durablement imprégner les opérations successives de renouvellement urbain qui reposent pourtant sur un changement d’image susceptible d’attirer de nouveaux habitants et de nouvelles fonctions emblématiques de marseille. L’urbanisation de la cité phocéenne provient de l’essor de ses activités portuaires lié à la phase centrifuge du développement et de l’exploitation du second Empire colonial français. De ce fait, le Vieux-Port, berceau de la ville, n’a pas pu rapidement absorber le trafic maritime au long cours. Ainsi depuis la mise en eau des premiers bassins de la Joliette en 1853, en passant par leur extension (60 ha de plan d’eau en 1880), le port n’a cessé de s’étendre vers le nord. La ville du XIXe associe à une fonction portuaire d’envergure mondiale, un prospère secteur de négoce international, une activité de transformation de produits alimentaires et industriels diversifiée. Au cours des années 1860-1870, la modernisation de la trame viaire devient une priorité pour la ville, désormais écartelée entre son cœur antique et la récente extension de son appendice portuaire. Entre 1862 et 1866, la destruction de la ville médiévale, le long d’une percée rectiligne orientée sud-est/nord-ouest ouvre la Rue Impériale, devenue Rue de la République, pour relier le Vieux Port au nouveau port de la Joliette. Le XXe siècle amplifie la tendance : il renforce la primauté de Marseille comme porte de l’Empire ; l’emprise portuaire sur le littoral se renforce. Les réseaux maritimes transcontinentaux drainent et irriguent les ports lointains de produits et de services de plus en plus variés et nombreux. Les populations originaires des pays colonisés, entrent et sortent par Marseille : certains restent, d’autres repartent dans un va-et-vient ininterrompu, qui donne à la ville son profil cosmopolite. Les quartiers centraux, liés par leur vocation et leur population à l’activité portuaire, bénéficient de cette phase d’expansion coloniale. Le Panier remplit une fonction de lieu d’accueil des gens de mer et de sas pour les migrants qui convergent vers Marseille et se préparent à poursuivre leurs parcours. Une première césure s’opère en 1943, par la destruction de la partie sud du Panier ; celle-ci va bénéficier d’une reconstruction par l’architecte Pouillon dans les années 1950, qui laisse cependant intacts les 29 immeubles anciens de l’intérieur du quartier. Pourtant, brutalement, au cours des années 1960, le retournement s’opère, la monofonctionnalité qui constituait l’atout de la ville organisée autour de ses bassins, se mue rapidement en faiblesse structurelle de par l’étroite imbrication entre le tissu économique et l’activité portuaire. La modernisation du Range de l’Europe du Nord et les indépendances asiatiques puis africaines, déstructurent les réseaux maritimes transcontinentaux, désarticulent le territoire urbain et le plongent dans une phase centripète de récession. La ville de Marseille et ses espaces centraux, dont le quartier du Panier ne bénéficient plus d’une centralité active. Un cycle régressif s’est progressivement constitué, qui cumule les effets indésirables de l’abandon du quartier du Panier par la Ville. La structure de l’offre locative aux loyers modiques ainsi que la demande sociale d’une population vulnérable qui y prétend, constituent progressivement aux cours des années 1960, dans le centre ancien un parc social de fait. 

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