Une pratique professionnelle construite dans l’interaction
Fonctions formelles et informelles des actions médicales et paramédicales des consultations
Médical et paramédical : une fonction officielle
Face à l’intérêt que présente la prise en compte d’un nombre toujours plus important de dimensions constituantes de la santé de l’enfant dans sa famille, il nous faut rappeler l’importance cruciale de l’action médicale et paramédicale de la PMI. Se posant dès son origine comme une question de santé publique, c’est sur la généralisation de la vaccination, la multiplication des examens médicaux et l’intensification de l’éducation sanitaire auprès des familles que la PMI connut d’importants succès dans des délais relativement brefs. C’est principalement par l’action médicale et paramédicale que les avancées les plus importantes ont pu être réalisées en termes de mortalité et de morbidité des mères et des jeunes enfants. Placer dès le départ au cœur de l’action des services la dimension médicale demeure, au-delà la diversification des tâches que connaissent les consultations, un des éléments fondamentaux de son activité. Vaccination, test de dépistage et suivi du développement staturo-pondéral de l’enfant sont à considérer comme les missions de base, les activités « primaires » de la PMI et des centres de consultation. La qualification d’activités primaires, ici entendues comme activités « premières », permet de souligner l’aspect fondamental, en termes de santé publique, de cette activité. Mais elle permet aussi de souligner que les consultations de PMI sont avant tout désignées par et pour ces activités qui se présentent pour les usagers comme l’activité officielle de ces consultations. En tant que telle, cette dimension « médicale » occupe une place pour les usagers qui va au-delà de la seule question de la santé physique de l’enfant. Pour cela, il est intéressant d’analyser les discours présentés par les usagers sur les raisons de leur venue à la consultation et les récits de leurs parcours dans le centre de consultation. L’évaluation chronométrée de chacune des étapes qui composent une visite au centre de consultation (voir encadré) montre que les familles passent la très grande majorité du temps en salle d’attente sans contact particulier avec un intervenant du service. Les temps d’un parcours Dans la consultation où nous avons mené cette expérience, l’accueil est indépendant de la salle de pesée et toutes les consultations se font sur rendez-vous. Une visite type est alors composée de différentes étapes : Les étapes du parcours : • Présentation à l’accueil et remise du carnet de santé de l’enfant. • Passage en salle d’attente. Au cours de ce premier passage, les familles doivent « préparer » l’enfant aux étapes suivantes, c’est-à-dire lui ôter ses « habits d’extérieur » et ne lui laisser que couche et tricot. • Salle de pesée. Les accompagnateurs vont alors finir de déshabiller l’enfant, le faire peser, mesurer, parfois discuter avec la puéricultrice, puis rhabiller sommairement l’enfant. • Retour à la salle d’attente. Les usagers n’ont, au cours de cette étape, rien à faire, si ce n’est, attendre que le médecin vienne les chercher. • Consultation médicale. Après leur entrée dans la salle, une brève discussion se tient entre le médecin et la famille. Celle-ci ne concerne pas forcément le domaine médical, son objectif étant « d’installer » le ou les accompagnateurs dans la salle de consultation. À l’issue de cette conversation, l’enfant est placé, généralement par l’accompagnateur, sur la table de consultation. Pendant que le médecin ausculte l’enfant, si cela n’a pas été fait en salle de pesée, la puéricultrice pose quelques questions aux accompagnateurs sur l’enfant et sa « santé » (principalement nutrition et sommeil). Suite à l’auscultation et suivant l’avancée du programme de vaccination, les enfants calmes sont vaccinés « dans la foulée », les autres sont remis à l’accompagnateur et vaccinés sur ses genoux. Le dernier moment consiste en la remise aux familles de tout ce qui leur revient : le carnet de santé mis à jour, puis suivant les cas, vitamines, aspirine (en cas de vaccination), bon de lait et, parfois, une ordonnance médicale.
Relativiser la fonction primaire des consultations
Si un passage par le cabinet médical se révèle obligatoire pour les vaccinations, pour les visites régulières ou les examens donnant lieu à un certificat médical (8ème jour, 9ème mois, 24ème mois), il n’en va pas de même pour chaque venue à la consultation. Ainsi il revient souvent aux mères de familles de dire si elles souhaitent voir un médecin ou pas. À la suite du passage en salle de pesée, la question est alors directement posée à la mère et peut être orientée soit en direction de l’enfant (« vous voulez qu’il/elle voit le médecin ? ») soit en direction de l’accompagnant lui-même (« vous voulez voir le médecin ? »). La nuance dans la question laisse entrevoir la possibilité de voir le médecin pour une raison qui ne concernerait pas directement ou pas exclusivement la santé de l’enfant. La question en elle-même permet de comprendre qu’un passage par le cabinet du médecin lors d’une visite au centre de consultation n’est ni systématique ni obligatoire. De fait, une part importante des familles repartent de la consultation sans avoir vu de médecin. Ce qui, en soit, engage à une certaine relativisation de la fonction purement médicale des consultations. Un parallèle peut alors être tissé avec les consultations « goutte de lait » du début du XXème siècle, à propos desquelles Catherine Rollet écrivait « la notion de temps n’est pas la même hier qu’aujourd’hui, du moins, le temps des mères fréquentant les consultations des accoucheurs paraît ne pas compter. Une matinée pour faire peser l’enfant, écouter les conseils, recevoir éventuellement le complément de lait ! Il fallait vraiment que cela soit parfaitement utile pour que les mères consentent à « perdre » autant de temps. Par définition, le système de rendez-vous n’existait pas : renvoyant à une conception individualiste de la rencontre médecin-patient, il était incompatible avec la notion d’enseignement collectif. C’était pendant la période d’attente que les 312 mères apprenaient. » (Rollet-Echalier, 1990 : 368). En effet, dans ces consultations, si l’aspect médical est important, la plus grande partie du temps que les mères y passaient était occupée par des questions de puériculture, sans intervention directe du médecin. Dans les consultations de PMI actuelles, la configuration se trouve être la même, la couverture vaccinale étant acquise et le suivi médical généralement régulier, la fonction médicale du médecin dans ces consultations s’en trouve d’autant relativisée. Mais nous pouvons pousser le raisonnement plus avant et étendre pour partie cette relativisation de l’activité médicale aux activités paramédicales des consultations. En effet, il arrive que certaines mères viennent à la consultation, et en repartent sans avoir montré leur enfant à aucun intervenant. Pour autant, les consultations gratuites de PMI ne sauraient exister sans personnel médical et/ou paramédical. Ces quelques constatations nous amènent très directement à questionner l’usage qui est fait des fonctions médicales et paramédicales des consultations, aussi bien par les intervenants du service que par les usagers des consultations.
Modes d’usage et mobilisation de fonction
Nous proposons donc d’analyser ici, un certain nombre de situations où la dimension médicale ou paramédicale de la consultation ou du statut d’un intervenant est mobilisée à d’autres fins que la résolution d’une question couverte par la médecine.
Assurer un suivi régulier
Comme nous l’avons rapidement présenté lors du quatrième chapitre, il existe une pratique dans les consultations de PMI qui consiste pour un intervenant à faire revenir une famille, une mère ou un enfant à la consultation, dans un délai donné afin de suivre l’évolution d’une situation dont les teneurs sont davantage d’ordres psychologiques ou sociaux. Ce principe du suivi par le faire revenir s’appuie alors très souvent sur des prétextes de type médicaux et/ou paramédicaux. « pour des familles qui sont un petit peu sur le fil et on ne sait pas trop, enfin on sait, mais on ne sait pas si c’est trop le moment, si on va le signaler au proc, si la maman elle tient la route, si elle tient pas la route, s’il faut lui donner une travailleuse familiale, une aide mensuelle, s’il faut lui dire de venir à la consultation de PMI une fois par semaine, où elle verra la puer pour le peser ou bien si elle va voir l’AS… et là, tout ça il y a des synthèses, on travaille par rapport à ça, c’est du social, médico-social des familles » (Dr Manci) 313 Un recours intensif à la pesée de l’enfant peut alors être envisagé comme moyen pour suivre de près l’évolution d’une situation familiale. Dans ce cas, il est évident que ce n’est pas l’évolution staturo-pondérale de l’enfant qu’il s’agit de surveiller chaque semaine. Toutefois, celui-ci est pris comme prétexte pour demander à une mère de se présenter très régulièrement au centre de consultation où elle verra un intervenant du service (médecin, puéricultrice ou auxiliaire de puériculture) qui se chargera de recueillir à ce moment-là les informations nécessaires à l’évaluation de la situation. Ainsi, ce principe qui nous est ici donné par un médecin, est clairement accepté, énoncé et mis en place par certaines puéricultrices. « Quand je pèse, que je vois le bébé, je vois les fesses du bébé, je vois son regard, s’il m’attire, je vois le comportement mère-enfant, je vois plein de choses au moment de la pesée. Et tu discutes en même temps. Le fait de peser tu en as rien à faire, un bébé tu n’as pas besoin de peser toutes les semaines » (Maïté, puéricultrice). La « mise en scène » de certains actes à teneur médicale ou paramédicale en vue de la venue très régulière d’une mère au centre de consultation permet de suivre des situations sans avoir à les énoncer explicitement. Les examens ainsi « instrumentalisés » peuvent l’être par des médecins tout comme des puéricultrices. Il peut alors être question pour un médecin « d’étaler » les vaccinations ou les rappels de vaccin sur plusieurs consultations. Une exploitation dans les mêmes finalités peut être faite d’un désordre biologique infime constaté sur le corps du bébé (un bouton, une rougeur…) ; l’intervenant demandant alors à la mère de revenir la semaine suivante pour s’assurer de l’évolution de ce petit bouton. Mais du fait qu’il puisse être répété à loisir et de son aspect très peu contraignant aussi bien pour le personnel que pour l’enfant, la pesée est de loin l’acte qui donne le plus lieu à ce genre de mise en scène du faire revenir.
Au nom de la santé
Un autre usage de la fonction primaire des consultations tient à la représentation positive dont bénéficient les professionnels de santé, du fait que leur travail consiste à venir en aide aux personnes qui en ont besoin, que ce soit pour se maintenir en bonne santé ou pour la recouvrir. Dans cette optique les injonctions provenant du secteur médical et sanitaire connaissent une réception généralement favorable. Ce principe est d’autant plus visible quand, sur une même action, des services médicaux sont mis en parallèle avec des services sociaux qui eux, souffrent bien souvent d’une image négative. 314 « Le médecin, la puéricultrice ou la sage-femme sont des personnages assez rassurants, parce qu’ils mènent des actes de santé qui ne sont pas ressentis avec une quelconque connotation de « police des familles ». Le sanitaire constitue une porte d’entrée plus aisée pour certaines populations en difficultés psychologiques ou sociales » (Bernard Topuz – ancien médecin chef de PMI en Seine-St Denis).161 Ainsi, l’aspect « pour la santé de l’enfant », « pour le bien-être de celui-ci », permet aux intervenants de PMI d’accéder à des situations auxquelles aucun autre professionnel ne peut avoir accès. Si cette dimension permet de faire venir certaines familles dans les consultations, elle se révèle de façon encore plus efficace lorsqu’il est question d’accéder au domicile des familles. « On a aujourd’hui tendance à enjoliver la grossesse et la naissance. Mais, elles sont vécues autrement lorsqu’elles se déroulent dans un taudis sans chauffage et sans argent, quand on est célibataire avec d’autres enfants… notre mission est d’aller au-devant de ces publics, parce que les gens qui ne vont pas bien ne se déplacent pas toujours et l’immense intérêt de la PMI est de pouvoir se rendre à domicile facilement, avec une carte sanitaire et non sociale » (Bernard Topuz – ancien médecin chef de PMI en Seine-St Denis).162 S’il est vrai que cette « carte sanitaire » permet aux intervenants d’accéder à certaines situations, de restreindre considérablement la méfiance qui pourrait être développée à l’égard de représentants d’institutions, il faut bien signaler que cette mobilisation de la dimension médicale n’est pas univoque. Tout comme le professionnel de la santé suscite moins de crainte que le travailleur social, l’accès à un service « médical » se révèle moins stigmatisant pour certaines familles que le recours à un service social. Ainsi, alors même que la « carte médicale » facilite le recours des usagers au service, cette dimension agit aussi en comparaison de la stigmatisation qui pèse éventuellement sur les usagers réguliers des conseillères familiales ou des services sociaux