L’électronique de spin
L’historique et les enjeux de l’électronique de spin
1988 représente une année révolutionnaire pour l’électronique de spin, elle date la découverte de la magnétorésistance géante (GMR) dans les empilements multicouches, simultanément par les équipes du Pr. Albert Fert [1] en France, et du Pr. Peter Grünberg [2] en Allemagne. Cette découverte est honorée par le Prix Nobel de la physique en 2007, mais bien avant cela en 1925 un autre lauréat du Prix Nobel Wolfgang Pauli, avait introduit la notion de spin de l’électron [3] formalisé peu après par Goudsmit et Uhlenbeck [4], pour expliquer ainsi l’expérience de Stern et Gerlach de 1922 [5] mais aussi l’effet Zeeman anomal observé en 1896 [6]. La première utilisation de la dépendance du spin dans des conducteurs électriques, était proposée par Nevill Francis Mott en 1936 dans des métaux ferromagnétiques [7]. Cependant il faudra attendre la découverte de la GMR en 1988 dans des multicouches Fe/Cr pour conduire véritablement à l’émergence d’un domaine de recherche récent, la spintronique (acronyme de l’électronique de spin). La figure 1.1 illustre le principe de base du transport polarisé en spin qui est relativement simple : si un courant d’électrons circule dans un conducteur ne présentant pas de propriétés magnétiques intrinsèques, on ne parle que des charges transportées par ce conducteur. Il y a donc une symétrie de densité d’états de spin up et down, et nous avons à travers le conducteur une population symétrique constante de spin. Si les électrons passent par un conducteur ayant l’ordre ferromagnétique à température ambiante (par exemple Fe, Ni ou Co), ces électrons circulent de façon normale mais avec une direction préférée de spin, car sous l’effet d’un champ magnétique externe l’arrangement magnétique des couches devient parallèle ou antiparallèle, et induit ainsi une variation de la résistance électrique ; les électrons qui ont alors la même orientation avec le champ magnétique local sont majoritaires, ce qui permet d’avoir une résistance dans une direction plus faible que dans l’autre. La circulation des électrons est modélisée par une conduction à travers deux canaux (figure 1.1). Dans ce modèle [7], le courant peut être conduit par un seul canal (canal 1 en configuration parallèle), celui de plus faible résistance (polarisation en spin), de plus, ce modèle peut aussi être utilisé pour quantifier la magnétorésistance. Il est à noter que la structure présentée en figure 1.1 peut opérer de façon correcte, uniquement si le «spin flip» (basculement de spin) dans le conducteur non magnétique III (en sortie) est suffisamment lent, pour que l’orientation du spin des électrons injectés dans ce conducteur soit conservée. C’est-à-dire qu’il faut que, dans ce conducteur, la longueur de diffusion de spin soit importante, et que le temps de relaxation de spin soit grand pour avoir un transport quasi balistique. Le phénomène de la GMR est très utile pour la réalisation de capteurs ultrasensibles de champ magnétique, et en particulier pour les têtes de lecture de disques durs d’ordinateurs. L’industrie des disques durs connait ainsi une révolution au niveau des capacités de stockage, mais aussi au niveau de la miniaturisation poussée. La figure 1.2 illustre une augmentation de la densité surfacique d’enregistrement dans les disques durs. Cette augmentation atteint en 2006 une multiplication par 107 depuis le premier exemplaire de disque dur vendu par IBM en 1957 [8]. Les disques durs ayant les capacités les plus importantes sur le marché en 2012 dépassent les 4 To (Téraoctets : 1012 octets)
Injection de spin dans les semiconducteurs
L’injection d’un courant d’électrons polarisé en spin, dans un semiconducteur est un exemple du passage de ce courant d’un Matériau FerroMagnétique (M-FM) à un Matériau Non Magnétique (M-N-M), puisque aucun semiconducteur n’offre de propriétés ferromagnétiques. Les matériaux ferromagnétiques présentent au niveau de Fermi, une densité électronique de spin up différente de celle de spin down, induisant ainsi une polarisation de spin au niveau de Fermi, et créant un moment magnétique permanent dans ces matériaux. Chapitre I : Généralités sur l’électronique de spin et la diffusion réactive 8 -8- La figure 1.4 décrit l’asymétrie des densités d’états n(E) selon l’état des électrons up ou down. Un courant traversant un M-FM est polarisé en spin, et dans le cas de cette figure les électrons majoritaires sont de spin up. De plus, selon le modèle de Mott [7], la manipulation séparée des deux canaux (spin up () et spin down () figure 1.4 (b)), peut être réalisée en négligeant les renversements de spins à l’échelle des phénomènes étudiés.Une fois qu’un courant dépendant du spin est créé dans le métal ferromagnétique, d’autres phénomènes sont mis en jeu à l’interface ferromagnétique/semiconducteur [17]. L’influence de cette interface est importante sur l’effet transistor de la structure, en particulier, elle affecte l’injection des électrons polarisés en spin du métal vers le semiconducteur, ainsi que leur transport jusqu’à une distance finie dans le semiconducteur.Un obstacle qui s’oppose à l’injection de spin entre un M-FM et un M-N-M, est l’existence d’une zone d’accumulation d’électrons de spin majoritaire à l’interface, cette zone représente pour les électrons de spin minoritaire une zone de déplétion. Elle est due à un compromis Chapitre I : Généralités sur l’électronique de spin et la diffusion réactive 10 -10- entre les spins accumulés par le courant polarisé issu du M-FM, et les renversements de spins (spin flips) qui se réalisent dans le M-N-M. La zone ainsi formée entre le M-FM et le M-N-M est appelée zone d’accumulation de spin, elle est schématisée dans la figure 1.5 (a). A l’interface entre un M-FM et un métal N-M, la zone d’accumulation de spin s’étale sur une longueur de diffusion de spin F Lsf dans le M-FM et sur une distance N Lsf dans le M-N-M. La figure 1.5 (b) montre une décroissance de l’accumulation de spin de part et d’autre de l’interface sur une longueur de cohérence Lsf (longueur de diffusion de spin). Loin de l’interface, on a soit une asymétrie de spin du coté M-FM (figure 1.4 (a)), soit une symétrie de spin du coté M-N-M. Dans le cas d’une interface M-FM/semiconducteur (en supposant des densités d’états équivalentes de part et d’autre de l’interface), les renversements de spins étant très rapides et très importants du coté du semiconducteur, on peut montrer [18] que le temps de relaxation de spin est réduit et que le nombre de renversements augmentent prés de l’interface du côté du M-FM. Comme montré sur la figure 1.5 (c), les électrons perdent totalement leur polarisation en spin avant de dépasser l’interface M-FM/semiconducteur, et il n’y a quasiment aucune polarisation en spin dans le semiconducteur.
Etat de l’art sur l’injection/détection de spin
Prés d’une interface M-FM/M-N-M, le nombre de renversements de spin du coté M-FM est supérieur à celui du coté du M-N-M [19]. Dans le cas d’une interface M-FM/semiconducteur, les électrons se dépolarisent lorsqu’ils sont injectés dans le semi-conducteur. Cependant, si la résistivité du M-N-M est proche de celle du M-FM, le nombre de renversements du coté du M-N-M est moindre. Par conséquent, il a été proposé d’utiliser des couples M-FM/M-N-M présentant des résistivités similaires pour avoir des renversements de spin proches des deux cotés de l’interface [20]. Si cela n’est pas possible, l’injection de spin (électrons polarisés) à travers l’interface peut tout de même être améliorée en introduisant un nouveau matériau entre le M-FM et le M-N-M. Dans ce cas, un matériau très résistif faisant office de barrière tunnel et ayant peu d’influence sur le courant polarisé en spin est souvent utilisé afin d’avoir des renversements similaires dans les deux zones (coté M-FM et coté M-N-M). Ce matériau est en général un oxyde, par exemple un oxyde amorphe comme AlOx dans l’hétérostructure (CoFe/AlOx/AlGaAs/GaAs) [21], ou un oxyde cristallin comme MgO dans le système (CoFe/MgO/AlGaAs/GaAs) [22]. Dans le cas d’un semi-conducteur, la barrière tunnel peut Chapitre I : Généralités sur l’électronique de spin et la diffusion réactive 11 -11- aussi être réalisée en choisissant un M-FM formant un contact Schottky à l’interface M-FM/semiconducteur. Les électrons polarisés en spin sont alors injectés directement à travers la barrière de Schottky, ce qui permet de s’affranchir du dépôt de l’oxyde à l’interface. En 2001, Zhu et al. ont été les premiers à mettre en évidence le phénomène d’injection d’électrons polarisés en spin et une détection optique dans une diode de type Fe/InGaAs/GaAs [23]. La figure 1.6 illustre un schéma d’une spin-LED, dont le principe est le suivant : les électrons polarisés en spin sont injectés dans le semiconducteur et la recombinaison a lieu dans le puits quantique i-GaAs, émettant ainsi une lumière polarisée circulairement. Les effets de confinement dans le puits de GaAs, provoquent une levée de dégénérescence des trous lourds et des trous légers dans la bande de valence, ce qui permet, en sélectionnant les recombinaisons vers les trous lourds, de mesurer une polarisation circulaire de la lumière égale à la polarisation en spin d’un courant injecté dans le semiconducteur. Dans ce cas, une polarisation circulaire de la lumière de 2% est détectée à température ambiante, sans avoir besoin d’une barrière d’oxyde. C’est donc un transport tunnel à travers une barrière Schottky à l’interface Fe/GaAs qui a lieu, et ceci confirme la possibilité d’injection directe d’électrons polarisés en spin dans un semiconducteur.