Les grandes tendances dégagées par l’étude des graphiques
L’analyse par décennie
Selon l’analyse par sous-disciplines effectuée par décennie (voir diagrammes n°11 à 18), l’une des tendances clairement visible concerne l’importance de l’économie aux débuts de la revue. Etant une discipline plus ancienne que la gestion, ayant depuis longtemps recours aux diagrammes1 , l’économie fut prépondérante des années 1920 à la fin des années 1940. Il fallut attendre les années 1950 pour que des sous-disciplines de la gestion soient plus visibles, comme les relations humaines et la finance – contrôle de gestion. L’éditorial du premier numéro de la HBR de Donham (1922) laissait présager cette situation. Alors que selon lui, les économistes sont considérés comme trop théoriques par les managers, l’auteur propose d’adopter notamment une approche plus pragmatique et utile à ces derniers avec un apport informationnel grâce un échantillonnage qui ne soit pas trop coûteux sur les différents secteurs de l’économie américaine : « If the sample is carefully chosen and fairly representative of the whole, the results are extraordinarily accurate. Much of the material entering into wage and price series published by commercial agencies is of this nature (…) This method of research through samples should be applied very much more widely than it has been to date. Many fields of business activity which could be readily studied in this way are now in the realm of hypotheses corresponding by comparison to the fantastic hypotheses of the ancient astrologers. The present basis of bank credits may be mentioned as an example » (Donham, 1922, p. 7). Une autre tendance est relative à la visibilité de la gestion des relations humaines dans les années 1950, 1960 et 1970 ; ce qui vient conforter la place accordée aux évolutions des relations humaines dans cette revue. En revanche, au niveau de l’analyse des termes, il ressort qu’un mot clef de la gestion des relations humaines apparaît très peu, à savoir le terme « humain ». Les années 1980 sont quant à elles marquées par une prépondérance des représentations financières de l’entreprise. C’est également la décennie au cours de laquelle la notion de « valeur » apparaît de manière plus fréquente dans les graphiques. L’étude préliminaire sur les formes graphiques témoigne d’une préférence pour les graphiques de réseau et d’échelle dans les années 1920 (diagramme n° 19). Pour rappel, les graphiques de réseau dans l’étude préliminaire sont les graphiques non orientés, sans étapes et qui ne montrent pas un cycle. Nous observons une place importante pour les représentations de territoires et d’objets dans les années 1920, 1930 et 1940 ; l’apparition du graphique de séquence dans les années 1940 ; et une place prédominante des graphiques de flux dans les années 1950. Le schéma de la boîte noire avec une définition des seules entrées et sorties (graphique input-output) n’a quant à lui été utilisé que dans les années 1970. Enfin, se démarque une utilisation moins importante des organigrammes dans les années 1980 et 1990 par rapport aux décennies précédentes. Dans le cadre de cette étude préliminaire, nous avons ainsi pu remarquer une évolution vers des représentations graphiques plus abstraites, moins iconiques. La complexité des schémas a été étudiée par décennie et par année. Nous constatons que la décennie 1960 est celle au cours de laquelle les schémas sont les plus complexes (diagramme n° 23). Une partie de l’explication se trouve dans la présence de schémas de réseau opérationnel – par exemple, les graphiques PERT – (diagramme n° 28) et d’arbres de décision. Le début des graphiques PERT (Dusenbury, 1967 ; Levy, Thompson et Wiest, 1963 ; Miller, 1962 ; Schoderbek et Digman, 1967) a notamment donné lieu à des représentations 316 montrant leur emploi sur de grands projets comme dans l’industrie électronique (Miller, 1962) ou dans le cadre du lancement de nouveaux produits (Dusenbury, 1967 : graphique représenté sur trois pages). De même, nous observons des représentations d’arbres de décision comportant de nombreuses alternatives (Hammond, 1967 ; Magee, 1964a, 1964b). Les années 1960 sont marquées, au niveau de la terminologie employée, par une forte augmentation du terme « système » – terme également très présent dans les années 1980 – (diagramme n° 29) et par une présence importante du terme « contrôle » (voir tableau n° 24). Ce dernier aspect semble bien correspondre au développement de la recherche opérationnelle.
L’analyse par année
L’analyse par année permet quant à elle de dégager des tendances de manière plus fine que dans le cadre de la démarche précédente. Nous remarquons ainsi, sur une dizaine d’années maximum, quelques concentrations de certaines formes graphiques. Cela concerne les graphiques à contenu métaphorique qui sont surtout présents de 1960 à 1966 (voir diagramme n° 43), les arbres de décision de 1964 à 1967, les matrices 2 *2 de 1979 à 1987 (voir diagramme n° 46), les représentations de « cartes » autres que géographiques de 1989 à 1999 (voir tableau n° 12). Nous pouvons également observer une tendance annuelle claire sur une longue période concernant la complexité des graphiques, un aspect de leur orientation ainsi que la part des schémas avec un temps chiffré. Le degré de complexité diminue en 1970, et ce jusqu’en 1989 (diagramme n°22). Au sujet de l’orientation des graphiques, les schémas avec une polarisation linéaire représentent quasiment chaque année une part prépondérante de l’ensemble d’entre eux (voir diagramme n° 32). Quelques rares années isolées remettent en cause ce principe : 1936, 1945, 1952, 1993, 1994 et 1995. De même, les schémas avec un temps chiffré reste peu nombreux – moins de 20 %, à l’exception d’une dizaine d’années : 1925, 1933, 1934, 1936, 1948, 1949, 1958, 1992, 1996 et 1997 (voir diagramme n° 37). La difficulté liée à l’analyse par année résulte pour partie d’une forte variation d’une part de la proportion d’articles avec diagrammes ou autres graphiques (voir diagrame n° 7) et d’autre part du nombre absolu de diagrammes ou autres graphiques (voir diagramme n° 10). Ainsi, il est difficile de comparer chaque année, chacune n’ayant pas la même 317 représentativité. Il semble cependant exister quelques ruptures, comme celle de la fin des années 1950 et celle de la fin des années 1970.
Les facteurs de rupture et les modes
La fin des années 1950
A la fin des années 1950, nous remarquons une forte augmentation du nombre de graphiques, que ce soit des diagrammes ou des schémas (diagramme n°10). Il en est de même au niveau de la proportion d’articles avec graphiques (diagramme n°7). C’est également le moment où nous observons un développement du langage graphique. En effet, si nous reprenons la classification de Moles pour les graphiques de 2 à 11, nous constatons que la proportion de graphiques appartenant aux catégories 2 à 5 s’accroît (diagramme n°20). Cette période est marquée par un recours moindre aux représentations à l’échelle d’objets ou de territoires et par davantage de considération pour les schémas. La fin des années 1950 est également marquée par l’influence de l’approche systémique avec un accroissement du terme « système » (diagramme n°29). De même, au niveau de la gestion des relations humaines, se développent des schémas relatifs aux besoins et motivations, ainsi que des diagrammes concernant la rémunération (diagramme n°53). La question de la rupture datant des années 1960-1970 et concernant l’utilisation des chiffres au sein des graphiques est difficile à trancher. Nous observons une augmentation de la part relative des diagrammes non chiffrés mais cela demeure dans une proportion marginale (moins de 20 %) (diagramme n°38). En ce qui concerne les schémas, nous notons une baisse importante de la présence de chiffres dans les années 1960-1970 (diagramme n°37). Au niveau de l’ensemble des graphiques, en raison de la part prépondérante des diagrammes par rapport aux schémas, il est difficile de parler de rupture mais il existe bien une évolution vers une moindre représentation de chiffres. Hypothèse 4 validée 318 2.
La fin des années 1970 et le début des années 1980
La fin des années 1970 et le début des années 1980 sont marqués par plusieurs tendances au niveau graphique, qui font écho à cette rupture évoquée dans la modélisation des problèmes de gestion par la recherche opérationnelle et l’approche de la formulation de la stratégie. Il ressort une diminution dans la proportion d’articles avec diagrammes (diagramme n°8) ainsi que parallélement une augmentation de la part des diagrammes non chiffrés (diagramme n°38), ce qui tend à montrer une moindre considération pour des représentations précises, chiffrées. En revanche, concernant les schémas, nous notons une augmentation de ceux qui sont chiffrés (diagramme n°37), ce qui vient nuancer le propos précédent. L’hypothèse 6 est ainsi invalidée. Il existe deux tendances opposées et d’une amplitude proche et les diagrammes représentent une catégorie plus importante que les schémas (plus de 3 000 diagrammes contre environ 800 schémas). Ainsi, globalement, nous en concluons une baisse des représentations graphiques avec données chiffrées, mais cela ne nous permet pas de parler de rupture.