Le lien travail temporaire implication proposition d’un modèle de recherche
La relation entre intérim et implication : une médiatisation nécessaire
Le rôle médiateur fondamental de la précarité perçue
La notion fondamentale au cœur de notre étude est la précarité, reconnue comme une particularité fondamentale des contrats temporaires [ex : Pearce – 1998 ; De Witte & Näswall ; Glaymann- 2005]. Nous avons vu qu’il apparaît que la précarité « objective » liée à la relation d’emploi temporaire n’a pas un impact clair et direct sur l’implication des intérimaires : il nous faut donc étudier de quelle manière et sous quelles conditions cette précarité « objective » peut engendrer un sentiment de précarité perçue (précarité « subjective »), supposée peu favorable à l’implication. Avant de poursuivre, il nous faut préciser le contenu que nous entendons donner aux notions de précarité objective et précarité subjective. Les travaux comparatifs de J.P. Barbier [2005] sur la notion de précarité, que nous avons cités dans le chapitre précédent mettent en avant le fait que le terme de précarité d’emploi n’est pas vraiment utilisé par les chercheurs en dehors de la France, mais que le phénomène désigné par cette expression reste cependant exploré par de nombreux auteurs, qui utilisent des appellations différentes telles que flexibilité, ou insécurité d’emploi. Barbier recommande en conclusion de son étude d’utiliser des notions plus généralement admises, comme l’insécurité de l’emploi (job insecurity), largement mobilisée dans les recherches anglo-saxonnes et européennes : on peut citer en illustration l’ouvrage de synthèse éponyme d’Hartley & al.[1991], qui recense des travaux Le lien travail temporaire implication proposition d’un modèle de recherche 213 menés aux Etats-Unis et dans plusieurs pays européens. Nous proposons donc dans la suite de notre travail de considérer que les termes de précarité et d’insécurité d’emploi comme équivalents.
La précarité objective
une caractéristique de l’emploi intérimaire En ce qui concerne la précarité objective, nous pouvons considérer que les contrats de travail temporaire, par leur nature même, constituent un indicateur de précarité ou d’insécurité d’emploi objective. Cette approche, notamment défendue par Pearce [1998] et Büssing [1999], est parfaitement résumée par D. Glaymann [2005, p 206] : « La nature provisoire de toute mission d’intérim en fait un emploi précaire : la reconduction d’une mission n’est en effet jamais certaine, et la loi en limite la durée. Aucune ETT ne prend jamais l’engagement qu’elle fournira une future mission (…) au mieux, l’agence s’engage à une obligation de moyens, jamais de résultat. Par définition, un intérimaire n’a ni stabilité d’emploi, ni certitude sur son avenir professionnel. Tout cela en fait un salarié précaire, comme le disent la plupart des intérimaires ».
La précarité perçue
un phénomène multidimensionnel Le niveau de précarité perçu correspond à un « sentiment d’incertitude et d’inquiétude quant à l’avenir de l’emploi, combiné à une sensation de discontinuité subie », selon la définition proposée par Cingolani [2004 p21]. La sensation de discontinuité étant une caractéristique fondamentale du travail temporaire, il nous reste à rendre compte du sentiment d’incertitude et d’insécurité. Ces deux notions peuvent selon nous être représentées par le concept intégrateur d’insécurité perçue au sens de Greenhaldt & Rosenblatt. [1984] et enrichi et opérationnalisé par Ashford & al. [1989], qui est aujourd’hui bien établi dans la littérature [ex : Ashford & al. 1989 ; Hartley & al.– 1991 ; Mauno & Kinnunen & 2002], et également mobilisé dans plusieurs études françaises [ex : Fabre – 1997 ; Leforestier – 2001]. Cette approche de l’insécurité considère que le phénomène résulte d’un processus d’appréciation : il intègre une dimension cognitive (l’insécurité est liée à la croyance par le sujet que son emploi ou ses conditions de travail sont menacés) et une dimension affective (la perte ou la modification des conditions d’emploi est considéré comme grave par le sujet)101 . Le concept d’insécurité perçu tel que défini et opérationnalisé par Ashford & al. [1989] est donc multidimensionnel : il comporte une dimension d’inquiétude (la crainte de perdre son emploi), combinée à une dimension d’incertitude (l’incapacité de prévoir cette perte) et un sentiment d’impuissance et de manque de contrôle (l’incapacité à se prémunir contre les difficultés attendues) : nous retrouvons bien ici les deux éléments déterminants du concept de précarité perçue.
Les liens entre précarité objective, précarité subjective et implication : les enseignements des études empiriques
Le lien entre insécurité objective et insécurité subjective
Au niveau empirique, le lien entre l’insécurité objective liée au travail temporaire et l’insécurité subjective perçue par les salariés est établi dans plusieurs études comparatives menées auprès de salariés permanents et temporaires [ex : Kinnunen & Nätti – 1994 ; Klein Hesselink & vanVuuren – 1999 ; Sverke & al – 2000 ; Parker & al. – 2002 ; Guest & al. – 2003]. Dans tous ces travaux, les salariés intérimaires présentent en moyenne un niveau d’insécurité perçue supérieur à celui des salariés permanents. Il existe cependant quelques résultats divergents, mais minoritaires : par exemple, Pearce & Randel [1998] dans leur étude menée auprès de salariés temporaires et permanents d’une même entreprise industrielle ne trouvent pas de différence entre les deux populations. Le lien existant entre le statut d’emploi et le niveau d’insécurité perçue est important dans le cadre de notre étude. Cependant, les travaux disponibles ne fournissent pas de résultats suffisamment précis sur le lien entre forme contractuelle et niveau d’insécurité perçue, car leur but est avant tout de mettre en évidence les différences d’attitudes entre salariés typiques et atypiques : les résultats obtenus reflètent les valeurs moyennes du score d’insécurité calculé auprès des deux types de populations. Contrairement aux travaux cités, notre étude n’est pas de type comparatif : il ne s’agit pas pour nous de mesurer le niveau d’insécurité perçue de salariés temporaires et permanents, mais de mettre en évidence les causes possibles des différences de niveau d’insécurité constatés à l’intérieur d’une population de salariés intérimaires. Nous devrons donc analyser plus finement l’impact des contrats temporaires sur l’insécurité perçue, en nous intéressant aux caractéristiques de ces contrats : il paraît par exemple concevable qu’un intérimaire dont les missions sont longues et s’enchaînent régulièrement (comme c’est par exemple le cas dans le bâtiment pour les salariés très qualifiés) témoignera d’un niveau d’insécurité plus faible qu’un intérimaire peu qualifié employé sur des missions très brèves, entrecoupées de périodes d’inactivité. Autrement dit, c’est le niveau de précarité objective associé aux caractéristiques des contrats d’intérim (principalement la durée et la fréquence d’enchaînement des contrats) que nous devrons prendre en compte.