La place de l’homme dans la révélation mazdéenne
Création, État de Mélange et Rénovation
Dans le dualisme qui constitue l’un des traits les plus marqués de la religion mazdéenne, la Création originelle (bundahišn) se présente comme l’instrument que façonne Ohrmazd, le Dieu suprême, Spenāg Mēnōg, l’Esprit du Bien, qui règne dans les sphères supérieures des lumières infinies, pour détruire Ganāg Mēnōg, l’Esprit malin, hôte des ténèbres, qu’il sait devoir affronter. Les aspects cosmogoniques et eschatologiques sont ainsi indissolublement liés ; l’État de Mélange (gumēzišn) qui résultera de l’Assaut d’Ahreman sera le lieu de l’affrontement avant que, les troupes du mal ayant été défaites, survienne la Rénovation (Frašgird). C’est bien entendu la littérature mazdéenne que l’on sollicitera ici et, en tout premier lieu, le Bundahišn (Création) 1 et les Wizīdagīhā ī Zādspram (Anthologie de Zādspram) 2 , deux ouvrages contemporains composés à la fin du IXᵉ siècle, mais qui, l’un comme l’autre utilisent des matériaux très anciens et comportent de longs développements sur les questions objet de ces sections 3 . Le Dēnkard et d’autres ouvrages ne seront pour autant pas négligés.
La Création
Résumée à grands traits, la Création, selon le Bundahišn et les Wizīdagīhā ī Zādspram, s’ouvre par une phase initiale de 3 000 ans, où l’œuvre d’Ohrmazd se présente à l’état spirituel (mēnōgien). A la suite de l’intrusion d’Ahreman dans la sphère ohrmazdienne, les deux entités conviennent d’inscrire leur combat dans une période de temps limitée de 9 000 ans. L’accord est à peine intervenu que l’Esprit malin, subjugué par Ohrmazd, demeure plongé dans un état d’inconscience pendant une autre période de 3 000 ans au cours de laquelle Spenāg Mēnōg procède à la Création matérielle (gētīgienne). Ahreman, sorti alors de sa torpeur, passe à l’offensive inaugurant une nouvelle période de 3 000 ans ; une ultime phase de même durée lui succédera au terme de laquelle les forces du mal seront détruites4 . Les récits parallèles que proposent les deux traités reprennent ce schéma en même temps qu’ils comportent des différences majeures dont les plus caractéristiques ont semblé devoir être mises en évidence. La première de celles-ci tient au fait que, selon le Bundahišn, la Création initiale, purement spirituelle donc, apparaît comme un instrument que forge préventivement Ohrmazd dont l’omniscience lui permet d’anticiper l’intrusion d’Ahreman5 . En revanche, dans les Wizīdagīhā, la Création mēnōgienne est présentée comme une riposte « en vue de se protéger de la druz (pāsbānīh az druz rāy) » 6 . Autre différence, alors que, pour le Bundahišn, la seule vision de la supériorité d’Ohrmazd provoque la fuite de l’Esprit malin, c’est, dans les Wizīdagīhā, une parole pure (abēzag gōwišn) de Spenāg Mēnōg qui le renvoie dans les ténèbres.
L’état de Mélange
Au regard de la temporalité abordée dans la rubrique précédente l’État de Mélange (gumēzišn) couvre la période ouverte par l’Assaut d’Ahreman et refermée par sa défaite finale lors de la rénovation ; ses 6 000 ans courent par conséquent du début du 7ᵉ millénaire à la fin du 12ᵉ. C’est un état transitoire où l’harmonie de la Création ohrmazdienne est corrompue par l’Esprit malin : Dans l’État de Mélange, il n’y a pas de purs Dieux ou de purs dēw parmi les hommes, mais dans la mesure de leur sagesse et autres vertus les hommes ressemblent aux Dieux, et dans la mesure de leur ignorance et autres vices, ils ressemblent aux dēw.53 Ou encore, pour dire les choses autrement, c’est une période par définition contrariée où il s’avère impossible « de satisfaire tous les hommes en leur donnant ou en leur ôtant quelque chose » . C’est sous l’angle de la fatalité, ou du destin, on l’a noté plus haut, que cette question est abordée par le Mēnōg ī xrad pour qui les bienfaits dispensés par Ohrmazd ne parviennent pas tous dans le gētīg, du fait de l’oppression exercée par Ahreman et des détournements opérés par les 7 planètes. C’est ainsi, observe l’Esprit de sagesse, que, même avec la force de la sagesse et du savoir, il n’est pas possible de lutter contre le destin car, lorsque celui-ci se manifeste, tout le reste est emporté « le sage est égaré dans son action (dānāg pad wiyābān bawēd) et l’ignorant devient habile dans la sienne (kār-āgāh), le couard devient courageux et le brave est saisi par la peur, le diligent (tuxšāg) devient indolent (ajgahān) et le paresseux agit avec persévérance.»55 Au-delà de cette caractéristique générale l’adversité est appelée à se manifester avec plus ou moins d’intensité selon les époques. Dk. 3. 329 relève ainsi qu’à un premier millénaire, celui de Jam, qui voit l’affaiblissement de la druz, succède celui de Dahāk, marqué par la tyrannie. Négligeant le troisième millénaire, il évoque celui de Zoroastre, le quatrième donc, en précisant que sa fin verra l’adversité atteindre un sommet alors qu’elle sera en déclin au cours des cinquième et sixième millénaires, ceux des fils posthumes de Zoroastre, Ušīdar et Ušīdarmāh, avant d’être totalement détruite.