Adapter ses pratiques de terrain en fonction des acteurs et du contexte spécifique
Introduction
La dimension éthique de cette étude auprès des jeunes enfants a été prise en compte dans toutes les étapes de la recherche, outre les premières démarches de demande d’autorisation aux acteurs. Elle s’est traduite par une approche qui consiste dans une réflexivité continue tout au long du processus de recherche, à partir des protocoles de recherche, l’éthique dans la pratique et jusqu’à la rédaction et la publication des résultats (Guillemin & Gillam, 2004). Les paragraphes suivants présentent des aspects importants concernant cette dimension éthique en lien avec cette recherche qualitative auprès des jeunes enfants. Avant de présenter ces détails, il est nécessaire de préciser qu’en fonction du contexte national il existe des normes écrites ou des valeurs inculquées concernant l’éthique de la recherche dont il est essentiel de tenir compte. Si dans des pays anglo-saxonnes les démarches administratives suivent un protocole strict afin d’obtenir l’accès dans le terrain, en France, quand j’étais au moment qui précède l’entrée dans le terrain d’enquête, ce processus a été facilité par le rapport de confiance qui pouvait s’installer entre l’enquêteur et les acteurs. Si dans certains contextes des documents élaborés concernant l’éthique sont attendus avant d’accéder au terrain, dans d’autres ces démarches formelles peuvent au contraire générer la « fuite » des participants, qui n’y sont pas familiarisés et pour lesquels ces pratiques ne font pas partie de leur répertoire de pratiques. C’est le cas, par exemple, des parents migrants dans cette étude qui ont un certain rapport aux documents écrits et certain d’entre eux ont préféré l’accord oral, basé sur la confiance réciproque. Dans ce chapitre je développe dans un deuxième temps des réflexions concernant ma position et mon engagement dans le terrain de recherche, en tant que personne migrante moi-même, en ayant une perspective d’outsider sur l’institution éducative qui est différente de celle que j’ai fréquentée comme enfant. Plus précisément, j’analyse mes rapports avec les participants à la recherche – les enfants et les parents.
Autorisation formelle/officielle et informelle/basée sur la confiance
Suite au courriel envoyé et l’accord à travers l’appel téléphonique, l’accès au terrain s’est fait d’une manière plutôt informelle en ce qui concerne le protocole éthique de la recherche. Le directeur qui a accepté de me rencontrer m’avait déjà donné son accord par téléphone. Le jour de notre rendez-vous il m’a présenté l’école, ainsi que les professionnels présents, qui, eux aussi, ont accepté, à l’invitation du directeur, de participer à la recherche. Dans une dynamique de boule de neige, j’ai été mise en contact avec le directeur de l’école voisine, qui, lui aussi, a accepté d’y participer, avec son équipe pédagogique. Si l’autorisation orale des professionnels m’a donné l’accès dans l’espace des deux écoles, une autorisation écrite était essentielle pour que les enfants participent à la recherche. Ainsi, à travers l’intermède des enseignants, les parents ont reçu une invitation et une demande d’autorisation (voir l’encadré en annexe). Plusieurs parents ont signé et donné leur accord pour que leur enfant participe à la recherche, mais j’avais compris que le plus important dans ce contexte était la confiance qu’ils accordaient à l’enseignant responsable de la classe fréquentée par leur fille ou leur garçon. Ou au contraire, dans un seul cas, le manque de confort de l’enseignante par rapport à la présence d’un observateur dans sa classe, a été transmis aux parents, et beaucoup de ces derniers ont refusé de donner leur accord. Par conséquent, le nombre d’enfants observés dans la classe 2 de l’école A a été très limité.
Participation des enfants à la recherche – l’accord initial des adultes et le consentement des enfants tout au long de la recherche
Une fois l’autorisation des adultes obtenue, le consentement des enfants a été adapté à leur âge et au contexte spécifique de la recherche : ils étaient des élèves dans des écoles maternelles, en France. Expliquer le but de ma présence dans leur classe a représenté dans un premier temps la tâche des enseignants, qui me présentaient : « Les enfants, voici Carmen, elle va vous regarder comment vous travaillez ». Dans un deuxième temps, l’accord des enfants a constitué ma responsabilité et mon sens éthique dans la relation avec les enfants. Le travail auprès des jeunes enfants relève de questions éthiques importantes, comme l’accord des enfants et leur consentement tout au long de la recherche. Dans un souci d’assentiment entre les enfants et la chercheure (Einarsdóttir, 2017), cela s’est traduit dans mon terrain par une relation de confiance et une sensibilité continue à l’égard de l’accord des enfants à participer à mon étude. Pour ce faire, j’ai écouté leur voix avec tous les sens (Warming, 2008) et à travers tous leurs langages (actions, réactions, gestes, mots, mimique du visage) afin de comprendre leur consentement ou manque de consentement pendant l’enquête de terrain. Par exemple, pendant une visite guidée, en abordant le sujet des langues parlées au sein de la famille, j’ai observé le manque d’enthousiasme de la part de l’enfant, montré par un changement de registre verbal (des mots courts et peu nombreux) et par l’expression du visage (manque de sourire). Ainsi, en dépit de mes objectifs de recherche, j’ai préféré changer de sujet pour que l’enfant se sente à l’aise. Le contexte de cette étude est représenté par l’école maternelle, avec sa dimension institutionnelle des règles, normes et valeurs et espace matériel spécifique. C’est donc dans ce contexte qu’il faut adapter ses pratiques de recherche en lien avec la dimension éthique, et de comprendre comment la participation des enfants est influencée par sa spécificité concernant les relations enfants-adultes, souvent caractérisées par de relations de pouvoir. En outre, la conception de l’enfance joue également son rôle dans les pratiques liées à l’accord de participation à la recherche. Selon la norme générale dans les écoles maternelle françaises, ainsi que la conception sur le rapport enfant-adulte dans la société en France plus globalement, l’enfant doit obéir à l’adulte et c’est ce dernier qui fait des choix pour l’enfant. Cette conception est traduite dans le terrain d’enquête par une différence entre l’importance 106 accordée à la demande d’autorisation aux adultes concernant la participation des enfants, et une importance moindre (ou un manque de demande) concernant l’accord des enfants mêmes. En tant que chercheure, j’ai dû m’adapter au contexte et aux normes institutionnelles, tout en tenant compte de la volonté des acteurs, et en essayant de diminuer l’effet de cette hiérarchie en favorisant une dynamique d’assentiment dans ma relation avec les enfants et en leur montrant que leur accord est essentiel.