Les années 80 ont vu l’émergence d’un nouveau domaine de recherche, l’information quantique, né de la rencontre de la théorie de l’information et de la physique quantique. Ce domaine tire profit des propriétés intrinsèques à la théorie quantique, telles que la superposition cohérente d’états, l’intrication ou encore le théorème de non-clonage, qui s’avèrent être des ressources extrêmement riches pour la communication et le traitement de l’information [Nielsen and Chuang, 2010]. Une nouvelle unité d’information peut ainsi être codée : le bit quantique (qubit), homologue du bit d’information classique, et défini comme une superposition cohérente d’états. Les qubits offrent ainsi une infinité de possibilités de codage de l’information, ce qui permet notamment de mettre au point des algorithmes de calcul quantique dont les performances surpassent celles de leurs homologues classiques. De plus, les qubits sont au cœur de plusieurs protocoles de communication quantique, tels que ceux de cryptographie [Gisin et al., 2002] et de téléportation d’états [Bennett et al., 1993].
La génération, la distribution, la manipulation et le stockage de qubits codés sur de la lumière ou de la matière présentent donc actuellement un intérêt majeur pour la réalisation de véritables réseaux quantiques de communication. Cependant, la distribution de l’information photonique souffre, entre autres, des pertes dans les fibres optiques qui limitent aujourd’hui les distances d’établissement des réseaux de communication. Dans ce contexte, des architectures de répéteurs quantiques utilisant des mémoires photoniques ont été mises au point afin d’accroître la portée et l’efficacité des réseaux [Sangouard et al., 2011]. Le principe des ces répéteurs repose sur la division de la ligne de communication en plusieurs segments plus courts, sur lesquels de l’intrication est distribuée, puis téléportée aux segments adjacents via le protocole de téléportation. De plus, la présence de mémoires photoniques aux extrémités de chaque segment permet une synchronisation de l’ensemble de la ligne, réduisant ainsi le temps de distribution de l’intrication sur l’ensemble du lien [Briegel et al., 1998]. L’implémentation de mémoires les plus performantes possibles, par exemple dans des ensembles d’atomes froids, représente donc aujourd’hui un enjeu majeur [Simon et al., 2010]. Par ailleurs, ces mémoires doivent pouvoir être interfacées avec les différents éléments des réseaux de communication opérant aux longueurs d’onde télécoms, tels que des sources de qubits photoniques .
Le futur de l’information quantique et de l’établissement de réseaux repose donc sur le mariage pertinent de différentes technologies complémentaires, comme notamment les ensembles d’atomes froids et l’optique non-linéaire intégrée. C’est dans ce contexte que se situent les travaux présentés dans ce manuscrit de thèse.
L’équipe de recherche sur « l’Information Quantique avec Lumière et Matière » (QILM) du Laboratoire Physique de la Matière Condensée se concentre depuis plusieurs années sur la réalisation de différentes briques d’un réseau quantique, en couplant avantageusement les technologies de l’optique non-linéaire intégrée et de l’optique guidée au standard des télécoms. Plusieurs sources d’intrication photoniques ont ainsi été démontrées [Martin et al., 2010, Martin et al., 2013, Kaiser et al., 2012b, Kaiser et al., 2013, Kaiser et al., 2014b], ainsi que des expériences de relais quantiques [Aboussouan et al., 2010, Martin et al., 2012], voire même des expériences plus fondamentales de physique quantique [Kaiser et al., 2012a]. Ces dernières années, une nouvelle technologie a été développée au sein de l’équipe : celle des ensembles d’atomes froids, permettant d’ajouter le stockage quantique à ses compétences. Mon projet de thèse s’inscrit dans ce contexte, et consiste à mettre au point un nuage d’atomes froids et à l’utiliser comme support d’une mémoire quantique.
Lorsque j’ai débuté ma thèse en octobre 2010, je me suis donc attachée à la construction intégrale d’une expérience d’atomes froids basée sur un double piège magnéto-optique de rubidium 87. La mise en place des lasers de refroidissement et leur stabilisation, la construction de deux pièges, ainsi que le développement du programme de gestion des séquences expérimentales, ont fait partie des premières étapes de travail. Une fois les pièges obtenus et caractérisés, je me suis consacrée à la préparation et à la manipulation du nuage constituant le support de la mémoire. Mon travail a ensuite consisté à mettre en place le protocole de stockage proposé par L.-M. Duan, M. Lukin, J. I. Cirac et P. Zoller (DLCZ) [Duan et al., 2001] au sein de cet ensemble atomique de rubidium. Ce protocole a été réalisé expérimentalement pour la première fois en 2003 [Kuzmich et al., 2003, van der Wal et al., 2003], et suscite depuis un vif intérêt dans la communauté de l’information quantique [Matsukevich and Kuzmich, 2004,Laurat et al., 2006,Chen et al., 2006,Tanji et al., 2009,Bimbard et al., 2014,Albrecht et al., 2014]. Sa réalisation a nécessité la stabilisation de deux nouveaux lasers, la mise en place d’un dispositif de détection de photons uniques, ainsi le développement de deux nouveaux programmes de gestion temporelle de séquences et de comptage de photons uniques.
Cette mémoire s’intègre au sein d’un projet ambitieux comprenant également une source de paires de photons intriqués, et une interface permettant de convertir les photons émis par la mémoire vers les longueurs d’onde télécoms. Cette source ainsi que l’interface sont des expériences auxquelles j’ai participé, et qui ont été réalisées lors des travaux de thèse d’Anthony Martin [Martin, 2011] et de Florian Kaiser [Kaiser, 2012]. Combiner ces trois éléments au sein d’une expérience de téléportation d’états quantiques permettra de réaliser un réseau quantique embryonnaire « hybride », i.e. mariant les technologies de l’optique non-linéaire intégrée et des atomes froids.
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