Ces dernières décennies, les pratiques microfinancières se sont développées considérablement à travers le monde. Ce développement a concerné particulièrement le microcrédit, dans une sorte de renaissance de « l’économie sociale et solidaire » , qui s’est muée en nouvel objet d’analyse des sciences sociales comme l’Economie, la Sociologie, les Sciences de Gestion, le Droit.
De ce fait, il existe une abondante littérature consacrée au domaine de l’économie sociale et solidaire. Certaines contributions cherchent à réactualiser le débat historique et conceptuel sur le sujet, en justifiant la nécessité du lien entre l’économique et le social (Vallat, 1998 ; Lévesque & Mendell, 1999 et 2005; Laville, 1994, 1995 et 2000, Ferraton, 2002). D’autres travaux s’attachent plutôt à définir les contours de ce domaine économique qualifié de « tiers secteur », situé entre le privé et le public, en caractérisant ses divers acteurs aux statuts variés (Defourny, Develtere & Fonteneau (Eds), 1999 ; Labie, 1999 etc.). Ainsi, audelà des controverses théoriques qui caractérisent l’objet , il nous faut procéder à divers éclaircissements conceptuels, à même de mieux comprendre en quoi consistent les pratiques microfinancières et notamment le microcrédit, relevant du champ de l’économie sociale et solidaire. Cela permet de souligner également le regain d’intérêt suscité par ces formes de financiarisation dans le contexte de crise économique et sociale actuel.
Comme le relève Jégourel (2008), quand on parle de microfinance, « si le préfixe est explicite, le terme « finance » ne doit pas être mal interprété, car ce secteur d’activité se nourrit en réalité davantage d’une vision bancaire que de techniques financières complexes ». C’est cette idée d’une certaine vision bancaire, se démarquant de l’approche traditionnelle , que nous désignerons par « un ensemble de pratiques » qui, partant d’un acte financier, généralement le crédit, s’étend sur une dimension extra financière en se déclinant différemment selon les contextes.
Dans les pays du Sud, une majeure partie des populations vit dans une extrême pauvreté avec des conséquences négatives en termes de capacité financière pour entreprendre une activité économique, mais aussi d’accès à l’éducation scolaire ou à la santé. Dans ces conditions, c’est la notion de groupe qui est principalement utilisée par les promoteurs de la microfinance (notamment le microcrédit) pour asseoir les mécanismes de solidarité et d’entraide mutuelle, dans les régions où il existe encore une forte cohésion sociale, notamment dans les communautés villageoises. Dans ce cas, c’est le microcrédit de type collectif qui est principalement utilisé par les IMFs en offrant des contrats de prêts de groupe assortis de clause de coresponsabilité entre les membres. Cette coresponsabilité implique une solidarité de groupe librement formé d’emprunteurs qui acceptent de s’assurer mutuellement pour le remboursement du prêt. C’est ainsi que cette technique financière a permis aux IMFs (comme la Gramen Bank) de fournir du financement à des agents économiques pauvres sans une exigence de garanties matérielles, généralement indispensables pour un prêt classique .
Dans les pays industrialisés, caractérisés par des besoins et un environnement socioéconomique différents, le microcrédit tout comme la dimension extra financière de solidarité s’exercent davantage à un niveau individuel, à travers un couplage des services microfinanciers à des services d’encadrement appropriés et souvent bénévoles. Dans ce contexte, le microcrédit de type individuel est assorti d’une garantie minimale au-delà de l’encadrement fourni aux bénéficiaires afin de le distinguer des conditions d’un prêt bancaire classique. Précisons que si notre attention porte uniquement sur le microcrédit qui est l’aspect le plus connu des services microfinanciers, ceux-ci vont au-delà en incluant notamment, de la microépargne, de la microassurance, les transferts de fonds etc. L’objectif de ces pratiques/techniques financières vise simplement à développer une finance de petite échelle, qui puisse répondre aux besoins spécifiques d’agents économiques pauvres et/ou exclus des services bancaires traditionnels. De plus, les deux modalités de microcrédit (individuel et collectif) sont complémentaires et non exclusives, car elles coexistent au sein d’un même pays (industrialisé ou non) et sont fournies parfois par une même IMF en fonction de sa cible.
Ainsi, pour saisir le contenu et toute la portée de la pratique du microcrédit, nous reprenons la définition proposée par Verbeeren & Lardinois (2003) qui considèrent que « le microcrédit est un outil financier, destiné aux micro-entrepreneurs, présentant des lacunes d’adaptation au marché, proposé par des opérateurs, prenant en charge plusieurs dimensions, au travers de partenariats » .
De cette définition, découlent plusieurs éléments qu’il convient de détailler.
1 L’outil financier fait référence à la notion de prêt , qui suppose un remboursement. Ce faisant, nous sommes bien dans une conception du microcrédit dite « entrepreneuriale », c’est-à-dire qui ne finance que des activités économiques génératrices de revenus nécessaires pour rembourser, contrairement à une certaine idée présentant le microcrédit comme un système d’aide sociale.
2 Les cibles de ces offres de microcrédit peuvent être distinguées en deux catégories d’entrepreneurs. Il peut s’agir d’une part de micro-entrepreneurs urbains, auxquels s’adressent essentiellement le microcrédit individuel, cherchant à financer la création ou le développement de micro-entreprises ; et d’autre part, d’un entrepreneuriat rural, dans le cas des microcrédits collectifs en faveur des communautés rurales, visant à financer de microprojets générateurs de revenus à cycle court, tels que de petits commerces informels, des activités artisanales etc.
3 Il ressort également que la caractéristique commune des clients cibles du microcrédit (individuel ou collectif), est de ne pas avoir accès selon les conditions du marché aux ressources externes dont ils ont besoin pour entreprendre. D’où leur exclusion des canaux traditionnels de financement bancaire, présentée comme étant des « lacunes d’adaptation au marché ».
4 C’est dans ces conditions qu’émergent les opérateurs de microcrédit qui proposent leurs offres pouvant être de divers types (bancaire ou non), en fournissant à la fois des services financiers et non financiers, dans une approche partenariale et une perspective solidaire qui demeurent nécessaires pour mutualiser les ressources et les compétences, indispensables pour la réussite des programmes.
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