Le 11 mars 2020, l’organisation mondiale de la santé, plus connue sous l’acronyme « O.M.S. », a décrété que l’infection Covid-19, causée par le virus coronavirus, constituait une pandémie sanitaire d’ordre mondial . Afin d’endiguer cette crise pandémique dotée d’une virulence contaminante et réactionnaire extrême, les différents pays touchés par ce virus ont dû prendre d’importantes mesures afin de limiter de manière généralisée les contacts entre individus.
En ce qui concerne la Belgique, c’est le 17 mars 2020 que la première ministre de l’époque, Sophie Wilmès, annonça un confinement de la population strict, qui sera effectif dès le lendemain, le 18 mars 2020 . A cet égard, au vu des restrictions de rassemblement et de déplacement imposées par le conseil de sécurité national, certains secteurs fondamentaux pour la continuité de la vie publique et institutionnelle du pays ont dû adapter leur mode de fonctionnement.
Au sein de cet exposé, nous nous intéresserons au secteur institutionnel fondamental étatique de la justice, et plus spécifiquement, aux mesures qui ont été décidées lors de ce premier confinement en ce qui concerne la tenue de ses audiences judiciaires. En effet, les audiences judiciaires rassemblent en général un nombre assez important de personnes : justiciables appelés devant le juge, avocats, greffiers, magistrats, personnes venant simplement assister aux audiences, etc. Cela peut faire beaucoup de monde ! Et en période de confinement, ces rassemblements n’ont plus été plus permis.
A cet égard et en matière judiciaire civile, le gouvernement belge, doté des pouvoirs spéciaux en vertu d’une loi du 27 mars 2020 , a édicté le 9 avril 2020 l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n°2 concernant la prorogation des délais de prescription et les autres délais pour ester en justice ainsi que la prorogation des délais de procédure et la procédure écrite . Afin d’éviter des zones de rassemblement au sein des salles d’audience, l’article 2 de cet arrêté enjoint d’inverser le principe de procédure orale d’une affaire en principe de procédure écrite. Le juge prend par là une affaire en délibéré, sans que des plaidoiries orales lui aient été exposées. Également, cet article 2 prévoit la faculté pour le juge de décider de tenir une audience judiciaire par voie de vidéoconférence.
Dès lors, au sein de cet exposé, nous allons étudier la compatibilité de ces deux alternatives à la tenue d’une audience judiciaire classique, à savoir la procédure écrite et le recours à la vidéoconférence, avec le principe constitutionnel d’audience publique. Effectivement, ce principe constitue une garantie procédurale assez fondamentale dans le chef du justiciable. Le caractère public des audiences revêt plusieurs enjeux considérables permettant d’assurer la tenue d’un procès équitable. Plusieurs normes internes et internationales imposent ce principe. Tenant compte de ces facteurs, il semble utile de vérifier si les mesures imposées par l’arrêté royal n°2 du 9 avril 2020 respectent le principe de publicité des audiences, qui est, en Belgique, régi par l’article 148 de la Constitution , et dans une certaine mesure par l’article 149 de la Constitution.
Avant d’analyser la comptabilité de ces mesures alternatives à l’audience judiciaire avec le principe de publicité des audiences, seront développés les différents enjeux découlant de ce principe, ainsi que sa concrétisation historique et constitutionnelle en Belgique. Nous détaillerons ensuite les normes nationales et internationales relatives à la publicité des audiences, avant d’enfin en venir à la survenance de la crise sanitaire du coronavirus, et de l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n°2. A titre de droit comparé, parallèle sera ensuite fait avec les mesures qui ont été prises en France en la matière lors du premier confinement de mars 2020. Enfin, nous analyserons la compatibilité des mesures de l’arrêté royal n°2 avec le principe d’audience publique, et des risques de la potentielle pérennisation de celles-ci.
Parmi les nombreuses garanties procédurales que diverses normes nationales et/ou internationales édictent à l’égard des justiciables, existe celle de la publicité des audiences. De ce fait, en Belgique, sous réserves d’exceptions clairement définies , chaque audience judiciaire doit se dérouler de manière publique . Par là, il est sous-entendu que quiconque présent dans l’enceinte d’un palais de justice peut entendre ce qui se dit au sein des salles d’audience. Les portes de ces salles doivent rester ouvertes en permanence. La justice joue à cet égard la carte de la transparence totale envers ses citoyens.
Avant d’aborder en détail les enjeux et objectifs découlant de ce principe de publicité des audiences, partons du fait que ce principe vise à protéger deux groupes ; il comporte deux facettes protectrices. D’une part, il vise à protéger les justiciables appelés à prendre directement part à une audience judiciaire. D’autre part, il vise à protéger l’ensemble des citoyens d’un pays d’un État de droit, qui, même s’ils ne sont pas appelés à la barre, ont également tout intérêt à ce que justice soit correctement rendue.
Le principe d’audience publique est au service des intérêts de la démocratie, et lorsqu’il est question de mêler les notions de démocratie et d’organisation judiciaire, il est indéniable de mentionner Montesquieu, reconnu comme étant l’élaborateur classique de la théorie de la séparation des pouvoirs. En effet, au sein de son œuvre majeure « L’Esprit des lois », le philosophe français a repensé la démocratie sous son angle juridique. Il a fait de la séparation des pouvoirs une réelle garantie juridique au service de la démocratie et de ses citoyens en séparant de manière limpide et non-étanche les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires.
L’indépendance de ces trois pouvoirs, tant au niveau de leur mode de désignation qu’au niveau de leur fonctionnement, permet, selon la philosophie de Montesquieu, d’aboutir à un juste équilibre démocratique dénué de tout arbitraire au sein de l’institution judiciaire. Cette institution judiciaire s’exerce dès lors de manière totalement impartiale et indépendante vis-à-vis des deux autres pouvoirs législatif et exécutif.
A cet égard, le principe d’audience publique contribue de manière non négligeable au bon déroulement du système démocratique au sein d’un État. En effet, ce principe, qui lie l’institution à l’espace public, prend racine dans le fonctionnement même du système de la démocratie. En rendant les audiences judiciaires publiques, le pouvoir judiciaire est placé directement sous le contrôle du peuple. Cette publicité des débats permet aux citoyens de veiller au bon fonctionnement de l’organisation judiciaire, et ainsi à leur permettre de marquer leur satisfaction ou désapprobation quant au mode de fonctionnement de la justice.
Par là, le principe d’audience publique respecte à la perfection l’étymologie grecque du terme démocratie, à savoir « le pouvoir qui appartient au peuple ». Dans ce cas, le pouvoir appartient ici au peuple de veiller à la bonne exécution de la justice, composante essentielle d’un État de droit.
En devant dévoiler à tout un chacun la manière dont se déroulent ses audiences, le pouvoir judiciaire se doit de faire gage de constance et d’équilibre maximal dans les décisions qu’il rend aux justiciables, autrement dit, dans sa jurisprudence. Par conséquent, cela l’empêche catégoriquement de recourir à l’arbitraire, ou d’être inégalitaire vis-à-vis des justiciables, sans que ceux-ci n’aient la possibilité d’invoquer l’inégalité dont ils ont été victimes par le système judiciaire.
Ce principe de publicité favorise par là une bonne administration de la justice, et la garantie d’un procès équitable. Chaque partie à la cause est en droit d’exercer ses droits de défense, et d’être entendue entièrement et convenablement durant l’audience. Le caractère public des audiences permet de s’en assurer. Nous verrons infra que plusieurs instruments juridiques internationaux garantissent ce caractère de publicité des audiences sous son angle procédural et équitable.
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