« Le travail scientifique [. . . doit] satisfaire aux exigences d’une rupture avec toutes les images premières ou perceptives du sujet, [il doit se présenter] ensuite comme devant construire ses faits et enfin les éprouver dans l’expérience. [Ce sont] ces trois mouvements par lesquels l’épistémologie bachlardienne définit la science. » Entretien entre Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, 1966.
L’intitulé de ce manuscrit de thèse associe une caractéristique très spécifique les flots microscopiques et dégage un thème global le mécanisme de la diffusion en phase liquide. Évidemment ce travail n’est qu’une pierre à l’édifice de la tâche entamée de longue date qui vise à comprendre et exprimer quel est le mécanisme, d’un point de vue microscopique, de la diffusion d’une particule dans un liquide et pour se faire notre approche consiste à calculer des flots microscopiques. Si un caillou est placé dans une rivière, on observe un écoulement ou flot de l’eau autour de celui-ci. On connaît le mécanisme de ce phénomène et nous sommes donc en possession d’une équation, celle de Navier-Stokes, définie macroscopiquement, qui nous permet par sa résolution de reproduire ce flot, ce qui nous donne des images très réalistes dans les films d’animation. Si maintenant on observe un grain de pollen en suspension dans l’eau, celui-ci se meut dans le liquide de manière erratique. À travers ses multiples collisions avec les molécules d’eau diffuse dans le liquide. Le modèle de ce processus est celui de Stokes-Einstein qui relie le coefficient de diffusion à la force de friction hydrodynamique subie par notre grain de pollen se déplaçant dans le liquide. Bien que très efficace cette relation repose sur des arguments macroscopiques, la force considérée est la force hydrodynamique. Sa validité reste à être prouvée à l’échelle microscopique. On peut en revanche calculer des coefficients de diffusion par simulation de dynamique moléculaire mais on est rapidement confronté à des difficultés si l’on étudie le mouvement de particules dans des flots complexes. Des méthodes mixtes ont été développées dans ce sens telle que la dynamique stochastique rotationnelle [1] mais celle-ci nécessite une connaissance du couplage entre le déplacement de la particule et le flot. De même le transport de particules dans des systèmes nanofluidiques demande de connaître le couplage entre diffusion, hydrodynamique et conditions aux bords. Nous allons dégager des caractéristiques de la diffusion de particules microscopiques et tester les modèles théoriques sur des cas particuliers limites où des ingrédients de ces modèles nonidentifiables a priori peuvent être explicités à l’aide de simulations moléculaires. Ainsi ce manuscrit de thèse propose de concilier les points de vue développés par les théories microscopiques et la théorie hydrodynamique. Nous testons les hypothèses hydrodynamiques et tentons d’obtenir une reformulation de celles-ci à partir d’arguments microscopiques. Notre approche consiste à calculer à partir d’un formalisme microscopique des fonctions de réponses, qui vont s’avérer être des fonctions de corrélation spécialement construites. Nous emploierons pour cela des simulations de dynamique moléculaire classique. Nous pourrons ainsi avoir une compréhension du flot à l’échelle microscopique, ce qui nous permettra ponctuellement de remonter vers des modèles analytiques.
La diffusion est un phénomène par nature hors-équilibre et il n’existe pas d’unique formalisme pour traiter ce type de problème. Chacun d’eux a ses avantages et inconvénients et permet une approche particulière au problème. Comme énoncé dans l’introduction nous allons exposer deux approches très différentes l’une basée sur la construction de relations stochastiques du mouvement brownien et l’autre sur une approche microscopique comme la théorie de la réponse linéaire basée sur le travail de Kubo [27]. Sur ces acquis, nous allons présenter la méthode des opérateurs de projection (PO) proposée par Zwanzig [28] qui sera d’autant plus appréciée après avoir développé et compris les éléments centraux des théories stochastiques présentées au préalable.
La théorie stochastique du mouvement brownien [32], initiée par Einstein et Smoluchowski est basée sur une hypothèse probable mais non prouvée qui relie les effets du bain sur la dynamique de la particule brownienne. Cette théorie a reçu une justification moléculaire grâce à la méthode des opérateurs de projection introduit initialement par Zwanzig. Sur le plan mathématique, cette théorie permet d’obtenir des expressions exactes et compactes ; certes, mais assez formelles et difficiles à calculer concrètement. Il faut inévitablement avoir recours à des approximations. Il est cependant très utile de déterminer la structure des équations exactes et d’introduire les approximations au stade formel du calcul. Un autre intérêt se présente : une telle approche permet de développer une ‘interprétation géométrique’ de diverses grandeurs physiques : sous-espaces orthogonaux dans l’espace des opérateurs associés respectivement classiquement aux variables lentes et rapides ; séparation claire de la force totale en force de Langevin et force de friction grâce à l’étude de l’évolution des composantes de la force totale initiale dans les sous espaces lents et rapides. . . Avant tout nous avons besoin de définir ce qu’est l’opérateur de projection dans l’espace des opérateurs. Pour cela la théorie de la réponse linéaire est un guide utile. On peut établir l’équation linéaire de Langevin non-markovienne dont la forme est valable quel que soit le produit scalaire ou projection choisi. Si les variables considérées sont ‘lentes’ nous verrons que cette dernière est réduite à l’équation de Langevin markovienne.
Pour faire des mesures sur un système et étudier en particulier l’évolution temporelle on peut le soumettre à une force suffisamment faible pour altérer le moindrement celui-ci et observer la réponse du système. La théorie de la réponse linéaire repose sur le calcul explicite en régime linéaire des fonctions de réponse qui s’expriment en terme de fonctions de corrélation de variables dynamiques à l’équilibre thermodynamique. Nous allons utiliser les équations microscopiques classiques afin de calculer la valeur moyenne d’une grandeur physique en présence d’une perturbation. Ceci nous permettra de retrouver le coefficient de transport présenté précédemment : le coefficient de diffusion.
Le formalisme de Mori-Zwanzig est un paradigme central dans le cadre de la mécanique statistique irréversible [33–36]. C’est une procédure formelle au moyen de laquelle le système dynamique est reformulé, à l’aide d’une méthode de projection, comme un système de dimension plus petite pour un ensemble de variables sélectionnées que l’on nommera par la suite pertinentes. Contrairement à une méthode qui consiste à remplacer l’ensemble des équations du mouvement par un ensemble réduit d’équations où certains degrés de libertés sont éliminés à l’aide de moyennes, la méthode de projection procède sans supposer que ces degrés de liberté sont instantanément à l’équilibre. Le système dynamique résultant est décrit par l’équation de Langevin généralisée (GLE) qui représente l’évolution hors équilibre de n’importe quel ensemble de fonctions définies sur l’espace des phases du système microscopique. Celle-ci incorpore les degrés de libertés dans ce que nous appellerons la mémoire, qui contient une intégrale sur les valeurs passées de la variable pertinente, et un bruit qui est une fonction du temps qui a la particularité d’être la solution d’une équation auxiliaire que l’on appelle équation dynamique orthogonale qui résulte des variables non-pertinentes. La dynamique projetée résultante n’est pas la dynamique réelle que l’on peut calculer via des simulations de dynamique moléculaire. Avec un cadre probabiliste approprié le bruit peut-être vu comme un processus aléatoire. Ce formalisme a reçu un regain d’intérêt récemment dans le contexte de la réduction de variables et de modèle stochastique [37–40]. Le point crucial de la procédure repose sur l’opérateur de projection. Les fonctions qui dépendent de toutes les coordonnées du système seront projetées dans un sous espace de fonctions qui ne dépendent que des variables pertinentes. Cependant cette projection n’est pas unique et il y a une certaine liberté concernant le choix de cet opérateur ou, dit autrement, il y a une liberté de choix concernant le sous-espace dans lequel les fonctions sont projetées et son sous-espace complémentaire. Généralement, on considère que la projection est faite vers un espace de fonctions qui sont linéaires aux variables pertinentes [36]. Une autre possibilité est de projeter les fonctions vers un sous-espace de toutes les fonctions des variables pertinentes, dans le cadre probabiliste cela correspond à l’espérance conditionnelle [34, 37]. Cette projection peut-être vue comme la projection optimale mais se trouve difficile à calculer. En pratique, il existe une variété de choix.
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