Notre travail est le fruit d’une réflexion qui trouve son origine dans notre expérience professionnelle. Enseignant les langues et cultures étrangères (arabe – français) et assurant des cours de traduction, nous souhaiterions former nos apprenants aux principes de base de la pratique de la traduction professionnelle.
La présente recherche a pour objectif de souligner la nécessité de l’ouverture interdisciplinaire entre deux disciplines que nous estimons complémentaires, à savoir, la traductologie et la didactique des langues et des cultures étrangères. Ceci dans l’objectif de réhabiliter la traduction dans sa conception au sein de l’établissement universitaire et améliorer son enseignement dans les départements et filières de langues.
Nous avons constaté qu’au niveau avancé de l’apprentissage des langues où le besoin d’une formation à la traduction professionnelle s’avère réel, l’objectif de la pratique de la traduction est parfois mal défini. Etant souvent intégrée aux cours de langue, la traduction utilisée comme outil d’enseignement de la langue risque d’être confondue avec la pratique de la traduction qui interviendra plus tard à un niveau avancé de l’apprentissage.
Ce constat nous amène à formuler une première hypothèse, à savoir :
La réhabilitation de la traduction dans les filières de langues étrangères passe par la remise en question de la conception même de cette activité et la mise en place, en fin de cursus, d’un cours autonome d’initiation à la traduction professionnelle.
Avant d’entreprendre ce travail, nous approuvions l’idée selon laquelle l’enseignement des langues étrangères et celui de la traduction sont deux disciplines différentes et bien distinctes. Aujourd’hui, nous remettons en question notre conviction de départ et nous formulons une deuxième hypothèse :
Il est possible d’établir un lien entre les deux disciplines. Dans une perspective discursive, elles pourraient se rejoindre sur de nombreux points.
Notre recherche vise à définir les conditions d’une possible convergence entre deux approches :
1- l’approche actionnelle préconisée par le CECR pour l’enseignement des langues étrangères, faisant appel aux paramètres du discours qui entrent en jeu dans la communication. L’approche actionnelle a pour objectif de faire de l’apprenant un usager compétent et expérimenté et lui permet, en tant qu’acteur social, d’agir avec la langue. Elle consiste à exposer l’apprenant à des scénarios portant sur des situations variées de la vie quotidienne et professionnelle. L’évaluation porte sur l’efficacité de la communication dans une situation aussi proche que possible de la réalité.
2- l’approche discursive fondée sur la Théorie Interprétative de la Traduction, constituant une base pour la didactique de la traduction. Elle est axée sur l’analyse et la transmission du sens tel qu’il se dégage du discours. Elle a pour objectif de doter l’apprenant d’une compétence traductive opérationnelle.
Notre travail prend la relève des réflexions exprimées dans des études antérieures. La thèse d’E. Lavault a le mérite de démontrer comment l’enseignant pourrait utiliser les exercices de thème et de version pour amener les élèves en classe de langue à apprendre à traduire.
J.-R. Ladmiral , de son côté, a dénoncé à maintes reprises la pratique de la traduction pédagogique dans le cadre de l’enseignement des langues. Il a proposé la pratique de ce qu’il appelle « la traduction traductionnelle » qui se rapproche de la traduction professionnelle par le fait qu’elle met les exercices de traduction dans une situation de communication.
Dans cette perspective, J.-R. Ladmiral propose qu’ « une compétence traductive quasi ou pré professionnelle» soit assignée comme objectif à l’enseignement des langues. Pour ce faire, une place centrale dans l’enseignement des langues sera accordée à un « séminaire de traduction ». Ce dernier sera un moyen de réhabiliter la traduction et de renouveler sa méthodologie.
Si les travaux cités ci-dessus se révèlent particulièrement proches de notre projet de recherche, dans la mesure où ils proposent de concilier deux objectifs – apprendre la langue et la traduction – ils se situent toutefois à un niveau différent de ce que nous proposons.
Nous rejoignons la réflexion de Ladmiral en ce qui concerne la remise en question des exercices de thème et de version. Ceci dans la mesure où d’une part, ils inversent le processus de la traduction en insinuant que pour comprendre, il faut commencer par traduire ; et d’autre part, ils inculquent aux apprenants de mauvaises habitudes de transcodage, se limitant à un simple passage des mots et des phrases d’une langue à une autre.
Par ailleurs, tout en approuvant la pertinence de la « compétence traductive quasi ou pré professionnelle» proposée par J.-R. Ladmiral, nous estimons que dans une perspective communicative, l’enseignement des langues pourra préparer l’étudiant à acquérir la compétence traductive. Cette dernière sera par la suite explicité et mise en œuvre dans le cadre d’un cours d’initiation à la traduction professionnelle.
Nous pensons qu’il serait judicieux d’établir un rapport de complémentarité entre l’enseignement des langues et celui de la traduction. Ce dernier intervient à un niveau élevé de l’apprentissage, lorsque les langues concernées seront maîtrisées.
Dans cette optique, notre travail traite d’une situation d’enseignement bien particulière émanant d’une étude de terrain : l’enseignement de la langue étrangère repose sur les approches actionnelles, citées plus haut. Dans cette optique, la traduction n’est plus appréhendée comme moyen d’apprentissage d’une langue, mais vient compléter cet apprentissage. Au niveau L3, il est question d’initier un public de niveau avancé, censé maîtriser aussi bien la langue maternelle que la langue étrangère, à la traduction proprement dite.
L’observation de notre classe, nous a amené à constater que la majorité des étudiants, malgré les compétences actionnelles acquises en langue étrangère, lorsqu’ils se trouvent devant un texte à traduire, loin de mettre leur savoir-faire communicatif au service de la traduction, procèdent par une approche comparative se limitant à la recherche des correspondances des mots dans les dictionnaires.
Il convient de souligner que la date de publication de l’ouvrage concerné joue un rôle important dans la saisie du sens du texte. Édité en décembre 2006, il fait écho à la période située entre avril 2005 et mars 2006, un moment clé de l’histoire de l’Egypte lorsque le président Moubarak, au pouvoir depuis 1981, s’apprête à obtenir un cinquième mandat. Un cri de colère étouffé émane de la population lassée des abus du pouvoir, de la corruption et de la répression du gouvernement. Cette période, signalons-le, a vu naître un mouvement politique appelé « Kefâya », mot qui signifie » ça suffit ! « . Ce mouvement s’oppose à un éventuel nouveau mandat pour le président Moubarak et à une éventuelle succession de son fils. L’ouvrage est truffé de séquences ironiques et d’allusions qui reflètent bien ce sentiment de ras-le-bol des Egyptiens.
L’ouvrage met en lumière le phénomène de diglossie qui caractérise la langue arabe d’une manière générale. Cette dernière réunit deux niveaux de langue : le standard (langue formelle, écrite, le plus souvent utilisée dans un registre soutenu), et le dialectal (langue courante, orale, en usage dans la vie quotidienne des Egyptiens). Le récit de l’auteur est écrit dans une langue très soutenue qui se distingue nettement de la langue parlée des dialogues, ces derniers étant rédigés plutôt dans une langue courante. Il importe de souligner que dans les dialogues, il existe deux registres différents : la langue du narrateur énonciateur (langue courante d’une personne instruite) qui se situe à un niveau très différent de celle des chauffeurs de taxi (langue de la rue, style plutôt boulevardier). Toutes les critiques politiques ou sociales sont exprimées dans un registre vulgaire. En réaction à ces critiques, l’écrivain ne réagit pas et se contente d’être témoin. La langue « politiquement correcte » qu’il utilise dans ses dialogues témoigne de son attitude de vigilance face à la censure.
Enfin, l’ouvrage est marqué par la simplicité de son style. Il incarne la tendance des écrivains contemporains égyptiens à présenter un nouveau type d’écriture qui a la particularité d’adresser, dans un langage néanmoins simple et humoristique, les critiques les plus virulentes contre la société. Le style boulevardier adopté par l’auteur nous laisse déduire qu’il n’est plus question de réserver la littérature aux élites de la société.
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