Les fluides à seuil sont des fluides particuliers dont le comportement mécanique et plus généralement les caractéristiques physiques sont intermédiaires entre celles des liquides et des solides. Ils ne s’écoulent en apparence comme des fluides visqueux que lorsqu’ils sont soumis à une contrainte supérieure à une valeur critique appelée le seuil de contrainte. En deçà de cette contrainte, ils se déforment tout en restant dans leur état solide. Nous rencontrons ce type de comportement dans beaucoup de domaines autour de nous : agroalimentaire (purées, compotes, sauces, yaourt,…), cosmétiques (mousses, crèmes, gels,…), génie civil (peintures, bétons, plâtres, colles), nature (boue, magma,…).
Le comportement rhéologique de ces matériaux a été largement étudié au cours de ces dernières décennies. Pour des fluides à seuil simples (non thixotropes) tels que les gels, les émulsions et les mousses, nous en avons aujourd’hui une relativement bonne connaissance. Leurs principales propriétés rhéologiques (en volume) sont bien caractérisées et un accord entre les prédictions théoriques à partir de la rhéométrie conventionnelle (macroscopique) et les caractéristiques locales de l’écoulement a été montré dans différentes géométries (conduites, Couette,…).
En revanche, il existe un large éventail de procédés qui mettent en jeu les propriétés de ces matériaux le long de surfaces solides et pour lesquels nos connaissances sont encore peu développées. On peut distinguer deux catégories de phénomènes de ce type :
– La première concerne le comportement des fluides à seuil dans des écoulements à surface libre de faible épaisseur. Il s’agit par exemple de l’application des crèmes ou des gels cosmétiques, l’étalement des peintures ou de revêtements, le dépôt d’adhésifs, l’adhésion des produits d’enduction et de contrecollage à la surface des textiles… Considérons par exemple la problématique du dépôt. De nombreux procédés industriels requièrent de déposer une épaisseur déterminée de fluide sur une surface solide : peinture, vernissage, zincage de plaques d’acier, fabrication de verre de lunettes, etc. Cette épaisseur doit être précisément ajustée, que ce soit pour des raisons de coût ou parce qu’elle participe à la fonction de l’objet. Quel que soit le procédé de dépôt utilisé, l’épaisseur finale est due principalement à un couplage entre les propriétés du fluide et celles du solide. Une maîtrise de l’écoulement du fluide sur la surface solide est nécessaire pour pouvoir prédire cette épaisseur.
– La seconde catégorie concerne le déplacement d’objets à travers des fluides à seuil. Dans les boues de forage il est en effet important que les éléments de roches arrachées se maintiennent en suspension même lors de l’arrêt du système de forage. La stabilité de divers produits (détergents, produits cosmétiques, sauce…) contenant des inclusions solides ou fluides (particules, bulles, gouttelettes), dépend de la capacité de ces inclusions à rester en suspension. Par ailleurs, le déplacement d’objets à travers un fluide est à la base de nombreuses techniques de caractérisations connues sous le nom de pénétromètrie. Ces techniques sont largement utilisées dans divers domaines industriels pour tester les propriétés des fluides (résistance, texture, viscosité…). Toutefois, le manque d’informations sur les caractéristiques de l’écoulement autour de l’objet fait que ces techniques sont essentiellement utilisées de façon comparative. Une clarification du lien entre les données de ces techniques et le comportement rhéologique effectif des matériaux permettrait une interprétation plus pertinente et une utilisation plus efficace de ces techniques.
Pour mieux appréhender ces phénomènes, il est impératif de comprendre la façon dont intervient la dualité solide/ fluide dans ce type d’écoulement, d’identifier les propriétés du fluide qui régissent son comportement aux « interfaces », et de déterminer jusqu’à quel point ce comportement diffère de celui des fluides newtoniens.
Lorsqu’une petite surface de la plaque est au contact du fluide , les effets de la tension de surface peuvent jouer un rôle non négligeable sur l’écoulement du fluide ; nous nous intéressons alors aux propriétés de mouillage et d’adhésion du fluide sur la plaque. Finalement nous cherchons à utiliser ce dispositif pour mesurer directement la tension superficielle en procédant à des essais dans l’esprit de la méthode de Wilhelmy .
Lorsque la plaque est largement enfoncée dans le fluide (fig.1.b), nous cherchons à relier la force mesurée le long de la plaque aux paramètres rhéologiques du matériau et aux caractéristiques géométriques du système. Par des mesures de PIV, nous décrivons les caractéristiques locales de l’écoulement autour de la plaque et nous déterminons la répartition des zones solides/liquides.
Les fluides à seuil sont très fréquents dans la nature et dans notre vie quotidienne. Yaourts, compotes, sauces, mousses, crèmes, gels, peintures, bétons, colles, sang, boue présentent selon les circonstances, les caractéristiques d’un solide élastique oud’un fluide visqueux. Contrairement à un liquide simple, la mousse à raser ne s’écroule pas sous son propre poids et tient sur le visage. Une peinture s’étale comme un liquide épais. Mais une fois étalée, elle ne s’écoule plus, même sur un mur vertical. Pour faire sortir le dentifrice ou le mayonnaise de leurs tubes, il faut exercer une certaine pression : si la pression est trop faible, le dentifrice ne sort pas. Au delà d’une pression critique il s’écoule subitement.
Le point commun de tous ces matériaux est leur structure dense et désordonnée constituée d’éléments mésoscopiques (particules, bulles, gouttes, agrégats, polymères) de tel sorte que l’agitation thermique n’arrive pas à vaincre l’énergie d’interaction entre les constituants. Il en résulte une contrainte seuil à l’échelle macroscopique. Les matériaux à seuil peuvent être classés en deux types selon leur structure : ceux dont les interactions entre particules sont attractives : les gels colloïdaux et les suspensions d’argile, et ceux dont les interactions sont répulsives : les émulsions, les mousses et les micro-gels polymères [1]. Les fluides du premier groupe sont souvent qualifiés de fluides à seuil thixotropes, ce qui signifie qu’ils évoluent spontanément dans le temps sous l’effet de l’agitation thermique et des interactions entre éléments. La microstructure devient alors de plus en plus résistante à l’écoulement. Ce phénomène est appelé le « vieillissement ». Lorsque le fluide s’écoule, sa viscosité diminue dans le temps suite à la rupture progressive de la structure tridimentionnelle ; ce comportement est appelé « rajeunissement ». Un état d’écoulement stationnaire peut être obtenu quand il y a équilibre entre vieillissement et rajeunissement. Le seuil d’écoulement apparent n’est pas unique, il varie avec l’histoire de l’écoulement subie par le matériau. Les fluides de la deuxième classe sont qualifiés de fluides à seuil simples (non thixotropes). Au repos, les éléments de ces fluides (bulles, grains, gouttelettes,…) sont confinés et les particules se repoussent entre elles (contraintes stériques, déformation capillaire d’interfaces, forces élastiques…). Contrairement au cas des gels colloïdaux, la taille de ces particules est trop importante pour que l’agitation thermique parvienne à réarranger la structure et il y a peu de vieillissement. Pour faire couler le matériau, il faut lui appliquer une contrainte externe supérieure à une valeur critique (unique) pour vaincre le confinement géométrique entre les particules.
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