L’énergie nucléaire produit des déchets radioactifs qui nécessitent pour leur stockage des mesures de protection particulières qui dépendent de leur niveau d’activité. La classification de ces déchets se fait suivant deux critères, (i) la période de demie vie des éléments radioactifs contenue dans le déchet, (ii) le type de rayonnement et le niveau de radioactivité. Il en résulte une classification de ces déchets en trois catégories :
– Déchets A, de faible et moyenne activité à vie courte, qui constituent 85 % du volume total des déchets mais moins de 1% de la radioactivité ;
– Déchets B, de moyenne activité à vie longue qui représentent environ 4% du volume total des déchets et moins de 8% de la radioactivité ;
– Déchets C, de haute activité à vie longue qui constituent environ 2% du volume total mais 92% de la radioactivité. Ils sont exothermiques.
Les déchets à faible activité sont stockés dans des centres de stockage en surface. En revanche, pour des raisons de sécurité et suite à leur longue période d’activité (de dizaines à centaines de milliers d’années), on considère préférable de ne pas stocker les déchets de moyenne et haute activité en surface. Une des options envisagée dans plusieurs pays est l’enfouissement dans des formations géologiques profondes peu perméables, comme les roches argileuses, le granit ou les formations salines. Dans ce contexte, les agences de gestion de déchets de plusieurs pays mènent des travaux de caractérisation des barrières géologiques hôtes potentielles dans des laboratoires souterrains. En France, l’Andra (Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs) étudie le comportement de l’argilite du Callovo Oxfordien (COx), dans le laboratoire souterrain de Meuse/Haute-Marne, excavé à 490 m de profondeur. En Suisse, le laboratoire souterrain de Mont Terri est situé dans une roche argileuse appelée l’Argile à Opalinus, entre 230 et 320 m de profondeur.
Lors des différentes phases d’excavation et d’exploitation, ces roches seront soumises à des sollicitations Thermo-Hydro-Mécaniques (THM) couplées. L’excavation des galeries souterraines conduit à la création d’une zone endommagée mécaniquement par l’excavation, couramment appelée EDZ (Excavation Damaged Zone). Pendant la phase d’exploitation, la ventilation des galeries impose une contrainte hydrique qui a tendance à désaturer la roche à proximité des parois des galeries. Une fois le stockage effectué et les galeries obturées, la nature exothermique des déchets engendre une augmentation de température dans le champ proche des galeries alors que s’initie la réhydratation des massifs non saturés (roches et bouchons à base de bentonite).
La caractérisation expérimentale des propriétés THM des argilites est une opération délicate, du fait de leur faible perméabilité, de leur sensibilité aux changements de teneur en eau et de leur grande sensibilité à l’endommagement, qui est couplée avec leur capacité de gonflement. Cette caractérisation fait l’objet de nombreux travaux de recherche menés in-situ dans les laboratoires souterrains et également dans des laboratoires de surface sur des éprouvettes prélevées. Compte tenu de complexité du comportement THM des matériaux argileux et de la difficulté de leur identification expérimentale, la détermination de leurs caractéristiques THM reste à compléter pour une meilleure compréhension de la réponse du champ proche des galeries de stockage.
Le travail de thèse présenté dans ce mémoire a été réalisé en relation et avec le soutien des agences de gestion des déchets radioactifs française (Andra) et suisse (Nagra). L’objectif de ce travail est l’étude et la caractérisation expérimentale des couplages thermohydromécaniques de deux roches argileuses très peu perméables, l’argilite du CallovoOxfordien en France et l’Argile à Opalinus en Suisse. Dans le prolongement de travaux précédents réalisés sur ce thème dans le laboratoire d’accueil, des dispositifs spécifiques sont développés et mis en œuvre pour compléter la base de données existante sur ces matériaux.
Les échantillons testés proviennent des sites de Bure en France (argilite du CallovoOxfordien) et de Lausen en Suisse (Argile à Opalinus). Le programme réalisé dans cette thèse porte sur la caractérisation des propriétés mécaniques de ces matériaux, incluant les caractéristiques poroélastiques, la réponse sous sollicitation déviatorique et la détermination des critères de rupture, ainsi que quelques aspects de la réponse sous sollicitation thermique.
L’argilite du Callovo-Oxfordien est une roche sédimentaire argileuse considérée par l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) comme roche hôte potentielle pour le stockage géologique profond des déchets radioactifs en France. Déposée dans le bassin parisien il y a 155 millions d’années, la couche d’argilite du COx se situe entre 420 et 550 m de profondeur sur une couche subhorizontale avec un pendage de 2° par rapport à l’horizontale vers le nord-ouest . Elle est déposée sur une couche de calcaire de Dogger et recouverte par une couche de calcaire Oxfordien.
Le laboratoire de recherche souterrain de Meuse/Haute-Marne dans le nord-est de la France à coté de Bure se situe à 490 m de profondeur, au milieu de la couche d’argilite du COx, à une profondeur où la proportion argileuse est proche de 50% . Depuis les années 2000, l’Andra mène un programme expérimental in-situ et en laboratoire terrestre pour la caractérisation des propriétés THM de l’argilite du COx, dans le but de démontrer la faisabilité du stockage profond des déchets radioactifs. Des galeries de grande taille et des micro-tunnels sont creusés au niveau du laboratoire pour l’étude de l’impact des travaux d’excavation et du stockage des déchets exothermiques sur la roche.
La couche géologique de l’argilite du COx est devisée verticalement en trois unités lithostratigraphiques.
– Unité Argileuse (UA) : d’une épaisseur d’environ 2/3 de l’épaisseur totale de la couche. Elle contient la proportion la plus élevée en particules argileuses avec environ 40 à 60% au niveau du laboratoire souterrain de Bure .
– Unité de Transition (UT) : qui est une unité de transition entre l’Unité Argileuse (UA) et l’Unité Silto-Carbonaté (USC) et qui contient plus de carbonate (40-90%).
– Unité Silto-Carbonatée (USC) : avec une épaisseur de 20 à 30 m, la composition minérale dans cette unité varie progressivement marquant l’initiation de la couche du calcaire Oxfordien.
La composition minéralogique de l’argilite du COx a été étudiée par diffraction des rayons X (DRX) (Gaucher et al. (2004), Andra (2005), Yven et al. (2007) et Robinet (2008)). Au niveau du laboratoire souterrain à 490 m, la phase argileuse est prédominante avec environ 45-50% qui constitue une matrice composée de 10-24% de minéraux intersratifiés illitesmectite (I/S), 17-21% illite, 3-5% kaolinite, 2-3% chlorite (Gaucher et al., 2004). La présence de smectite (50 et 70% des intersratifiés I/S) assure une capacité de gonflement de l’argilite du COx (e.g. Mohajerani et al., 2012; Delage et al., 2014) et d’auto-colmatage (Davy et al., 2007; Zhang, 2011; Menaceur et al. 2015).
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