Cette thèse traite de problèmes de diffusion d’ondes en milieu complexe. Plus précisément, elle s’intéresse aux statistiques spatiales et spectrales des cavités chaotiques électromagnétiques ouvertes, c’est-à-dire présentant des pertes. Ces systèmes possèdent des comportements statistiques universels décrits et modélisés de manière très précise grâce au formalisme de l’hamiltonien effectif et à la théorie des matrices aléatoires, tout deux originellement introduits dans le contexte de la physique nucléaire. Grâce à l’équivalence formelle entre l’équation de Schrödinger et l’équation d’Helmholtz pour un champ scalaire, ce formalisme ne se limite pas aux seuls systèmes quantiques mais peut être étendu à d’autres systèmes ondulatoires, au rang desquels les cavités électromagnétiques quasi-bidimensionnelles, cavités pour lesquelles l’une des dimensions est petite devant la longueur d’onde. En effet, tant que cette dimension reste inférieure à la demi-longueur d’onde, seuls les modes transverses magnétiques d’ordre zéros peuvent se propager. Le champ électromagnétique dans ces cavités est donc entièrement décrit par la seule composante non-nulle du champ électrique et se comporte donc comme une onde scalaire. Ainsi, depuis le début des années 90, les cavités électromagnétiques quasi bidimensionnelles sont devenues l’un des systèmes modèles dans lesquels les prédictions statistiques issues de la théories des matrices aléatoires ont été intensément vérifiées. D’un point de vue plus appliqué, les cavités électromagnétiques sont couramment utilisées pour réaliser des tests dit de compatibilité électromagnétique sur des objets embarquant de l’électronique. Dans ce contexte, elles sont alors appelées chambre réverbérantes (éventuellement « à brassages de modes » grâce à une pièce métallique disposée à l’intérieur et permettant d’en changer la configuration). Un des objectifs de cette thèse est de montrer comment, en considérant les chambres réverbérantes comme un système typique du chaos ondulatoire, on peut mieux maîtriser , et donc aussi améliorer, leur comportement. Pour remplir cet objectif, il est toutefois nécessaire de répondre à un certain nombre de questions de physique fondamentale. En effet, pour introduire dans une chambre réverbérante un objet à tester, les dimensions de celle-ci sont telles que la cavité ne peut plus être considérée comme quasi-bidimensionnelle. Ainsi la nature vectoriel du champ électromagnétique doit nécessairement être prise en compte. Or, jusqu’à présent, les cavités chaotiques électromagnétiques tridimensionnelles n’ont que très peu été étudiées et les quelques travaux de la communauté du chaos ondulatoire sur le sujet ont, soit négligé, soit rendu les pertes négligeables. Cependant, ces dernières sont un élément incontournable des chambres réverbérantes expérimentales et on ne peut donc faire fi de leur rôle lorsque l’on s’intéresse à une situation concrète d’utilisation. Un autre objectif des travaux de thèse présentés dans ce manuscrit sera donc de montrer comment étendre le formalisme de l’hamiltonien effectif et les prédictions des matrices aléatoires aux systèmes chaotiques ouverts dont le champ est vectoriel.
Quel est le point commun entre une moto, un smartphone, une lampe à néon, un avion de ligne ou un char d’assaut ? Tout ces systèmes embarquent des composants électriques ou électroniques dont le fonctionnement est à la fois générateur de « pollution » électromagnétique et perturbé par l’environnement électromagnétique. Avant que ne soient mis en service de tels systèmes, il est donc nécessaire de connaitre leur émissivité, c’est-à-dire caractériser les champs EM générés lors de leur fonctionnement et leur susceptibilité (ou immunité), c’est-à -dire caractériser les champs EM pouvant engendrer un dysfonctionnement du système. Ces problèmes, dits de compatibilité électromagnétique (CEM), sont bien connus du grand public (on demande par exemple d’éteindre son téléphone cellulaire dans un avion pour éviter des dysfonctionnements des systèmes vitaux de l’appareil), et font l’objet de normes [4–6] et de directives internationales qui fixent les limites acceptables d’émissivité et de susceptibilité. Ainsi, un industriel doit à la fois pour des raisons légales et pour identifier et corriger les défauts de CEM de son matériel réaliser des tests CEM qui peuvent être mis en œuvre soit dans une chambre anéchoïque [7]– cavité métallique dont les parois internes sont tapissées par un absorbant EM – servant à illuminer l’objet sous test avec un champ EM direct et polarisé, soit dans une chambre réverbérante à brassage de mode (CRBM) [4], dans laquelle l’objet sous test est plongé dans un champ EM statistiquement uniforme et isotrope , non polarisé et pouvant atteindre des intensités relativement élevées. Cette propriété attendue dans les CR rend particulièrement pertinent leur emploi pour les tests d’immunité électromagnétique. En effet, lors de son utilisation, un même équipement électrique ou électronique est soumis à des ondes électromagnétiques pouvant venir aussi bien de sources naturelles que de sources artificielles, pouvant être « intentionnelles » ou « non intentionnelles » . Cet équipement doit donc être immunisé vis à vis des ondes EM appartenant à une large gamme de fréquences et d’intensités, d’orientations et de polarisations très diverses (variables) et souvent non prévisibles. Dans une CRBM, le champ EM est supposé statistiquement uniforme et isotrope, son énergie est donc repartie uniformément sur l’objet sous test (OST) quelle que soit sa position, ce qui permet en une seule campagne de mesures et sans bouger l’objet sous test de rechercher pour quelles fréquences il présente un dysfonctionnement sans se soucier de l’orientation et de la polarisation de la perturbation.
Une chambre réverbérante électromagnétique à brassage de modes consiste en une cavité métallique, généralement parallélépipédique, équipée d’un ou plusieurs brasseurs mécaniques, eux aussi métalliques, d’antennes et/ou de sondes pour exciter et mesurer le champ EM à l’intérieur. Du fait de la forme irrégulière du ou des brasseurs, la géométrie globale de la CR (murs+brasseur(s)) est relativement complexe. Le brasseur est également un élément mobile de la CR ; le plus souvent mis en rotation par un moteur, il permet de modifier les conditions aux bords de la cavité EM. Les procédures de CEM rassemblées dans un document qui fixe la norme [4] ne donnent aucune précision sur la géométrie ni le nombre de brasseurs utilisés. Cependant, la norme précise que le brasseur doit avoir une dimension non négligeable par rapport à la longueur d’onde associée à la fréquence minimum utilisable (en anglais the lowest useable frequency (LUF)) ; les définitions de la LUF sont rappelées un peu plus loin. Enfin, l’emploi de métaux à forte conductivité électrique (∼ 10⁷ S/m) tel que le cuivre, l’aluminium ou l’acier galvanisé, assure, dans les gammes de fréquences utilisées, un facteur de qualité assez élevé. Ce dernier permet l’obtention, avec un minimum d’amplification en entrée, de niveaux de champ relativement élevés à l’intérieur de la CR, et traduit l’isolation de celle-ci vis à vis de l’environnent électromagnétique extérieur.
Un champ statistiquement uniforme et isotrope est en principe assez facile à obtenir, il suffit de sommer un nombre suffisant d’ondes ayant des caractéristiques spatiales, même régulières, suffisamment différentes. Voici deux exemples :
– On peut sommer un grand nombre d’ondes planes de phases et d’amplitudes très variables (assimilables à des variables aléatoires indépendantes), cela revient alors à faire une somme aléatoire d’ondes planes . On pourra citer par exemple les tavelures (speckles) laser obtenues lorsqu’un faisceau laser rencontre un milieu désordonné, comme une feuille de papier, et qui correspond à la figure d’interférences de toutes les ondes planes diffusées ou retrodiffusées par chaque élément du milieu [9, 10].
– On peut sommer un nombre suffisant de modes propres d’une cavité. En faisant cela on obtient un champ statistiquement uniforme et isotrope dont la distribution spatiale n’a plus rien à voir avec la distribution spatiale des modes intervenant dans la somme. Le champ proche d’une fibre optique multimodes illuminée avec un angle important est obtenu de cette façon : la diffraction à l’entrée de la fibre sélectionne un nombre non négligeable de modes [11–15], dont on récupère la superposition après leur propagation dans la fibre. Cependant, si le nombre de modes impliqués dans la somme n’est pas suffisant, les caractéristiques spatiales de chaque terme vont influencer le champ résultant qui peut alors ne plus être statistiquement uniforme et isotrope .
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