La détérioration des matériaux par les sels est un phénomène connu depuis longtemps. Hérodote observait déjà en ancienne Egypte « la saumure partout efflorescente, assez âcre pour endommager les pyramides » [Héro40]. Les sels pénètrent dans les matériaux en solution puis cristallisent suite à des changements environnementaux (température, humidité relative, etc.). La détérioration, dont les mécanismes n’ont pas encore été complètement élucidés, est liée à la répétition du cycle de dissolutionrecristallisation des sels à l’intérieur du réseau poreux du matériau. Ce type de détérioration est souvent observé sur les matériaux de construction traditionnels (pierre, brique, mortier, enduit, etc.) dont sont constitués de nombreux monuments historiques et sites archéologiques où une grande quantité de sels a pu s’accumuler au cours des siècles. Pour préserver notre patrimoine culturel, il est donc nécessaire de trouver des moyens pour limiter la détérioration de ces matériaux par les sels.
Un certain nombre de traitements a été développé pour adresser ce problème dès les débuts de l’histoire moderne de la conservation. Certaines méthodes visent à limiter les effets néfastes de la présence des sels en contrôlant le mécanisme de cristallisation-dissolution, mais sans chercher à les retirer du matériau. D’autres traitements ont pour but d’extraire les sels présents dans les objets contaminés, ou tout du moins à réduire leur quantité, action que l’on qualifie alors de dessalement. Seul un nombre limité de ces méthodes est cependant utilisable in situ et donc applicable au patrimoine architectural. La méthode des compresses est l’une d’entre elles. Ce traitement consiste en l’application sur le substrat contaminé par les sels d’une pâte humide appelée compresse, traditionnellement à base de matériaux argileux ou cellulosiques. Pendant le dessalement, les sels sont transportés du matériau vers la compresse, puis éliminés du système lorsque celle-ci est retirée.
Les compresses de dessalement sont depuis longtemps utilisées par les praticiens de manière empirique comme en témoignent les nombreuses études de cas publiées dans la littérature. Chacun développe ainsi sur le terrain des formulations de compresse basées sur sa propre expérience. Mais les compresses n’ont commencé à être étudiées en laboratoire que depuis seulement une vingtaine d’années. Ces dernières études cherchent généralement à évaluer l’influence d’un ou plusieurs paramètres sur la quantité de sel extraite d’un matériau donné par un certain type de compresse après avoir choisi une méthode d’application et des conditions de dessalement. Chaque étude, par son choix de substrat, de sel et de compresse, a donc tendance à n’être qu’un cas particulier dont les résultats ne sont pas directement applicables de manière plus large. C’est une des raisons pourquoi, malgré le nombre d’études menées, des principes généraux manquent encore pour aider le praticien à choisir la compresse dont la formulation est la plus adaptée à un substrat et des sels donnés.
La détérioration des matériaux par les sels est un phénomène connu depuis longtemps, mais il faut attendre le XIXe siècle pour qu’elle devienne un sujet d’investigation scientifique. La littérature consacrée à ce domaine n’a depuis cessé de croître pour atteindre aujourd’hui plus de 1800 articles traitant du sujet dans de multiples disciplines [Doeh03].
Plusieurs auteurs ont tenté de résumer cette vaste littérature scientifique et de faire le point sur les connaissances acquises. Il y a déjà plusieurs décennies, Evans fit œuvre de pionner en présentant une remarquable revue de la littérature remontant aux articles majeurs du XIXe siècle et traitant à la fois des expérimentations de terrain, des expériences de laboratoire et des théories développées jusqu’alors [Evan70]. Un récent regain d’intérêt pour le sujet a entrainé l’actualisation de l’état de l’art, aussi bien de la part de géomorphologues [Goud97] que de scientifiques dont le focus s’est porté sur la conservation du patrimoine culturel [Dutt93, Hamm96b, Char00, Verg01b, Doeh03]. Cet engouement actuel se traduit également par la publication de numéros spéciaux de journaux scientifiques (par exemple, International journal for restoration of buildings and monuments 11 (6) 2005, Environmental geology 52 (2) 2007) et l’organisation, ces dix dernières années, de nombreuses conférences entièrement dédiées à la détérioration par les sels et aux méthodes de traitement [Böni96, Sect96, Leit03, Labo06, Tech08]. Finalement, on peut signaler que depuis 1991 pas un programme-cadre de recherche européen n’a été financé sans qu’au moins un projet portant sur une problématique liée à la détérioration par les sels ne soit accepté (Sea salt control in monuments, Control of salt damage, Scost, Asset, Compass, ESDCoN, Desalination, Saltcontrol, etc.). Malgré cette impressionnante masse de travaux scientifiques, beaucoup de questions restent sans réponse. La compréhension du mécanisme même de la détérioration des matériaux poreux par les sels n’étant pas l’une des moindres [Char05]. Si plusieurs théories ont été développées au fil des ans, aucune ne fait aujourd’hui l’unanimité, aucun des modèles proposés n’expliquant de façon complètement satisfaisante les observations faites sur le terrain et les résultats expérimentaux .
Quand un sel est dissous dans l’eau, les liaisons de son réseau cristallin sont rompues et ses ions vont se dissocier pour former d’autres types de liaison avec les molécules d’eau. La présence des ions va avoir de nombreux effets sur les propriétés de l’eau. La modification de l’équilibre eau liquide-eau vapeur induite par la présence du sel est particulièrement pertinente par rapport au phénomène de cristallisationdissolution qui est au cœur des problèmes de détérioration des matériaux poreux par les sels.
Lorsqu’un volume d’eau pure est placé dans un milieu fermé, un équilibre, qui dépend de la température, s’établit entre les phases liquide et gazeuse. On appelle pression de vapeur saturante, la pression de la vapeur d’eau à l’équilibre.
Lorsqu’une solution saline est placée dans un milieu fermé, le rapport des masses volumiques de sa phase vapeur et sa phase liquide est tel qu’un changement dans la phase vapeur n’a pratiquement aucun impact sur le système. La solution conditionnera donc la phase vapeur. C’est pourquoi on utilise des solutions salines pour imposer des humidités relatives dans des volumes confinés [Arno91]. En revanche, dans un milieu non confiné un faible volume de solution saline sera en contact avec une masse d’air que l’on peut considérer comme illimitée. C’est par exemple le cas lorsque l’on considère une solution saline présente dans le mur d’un bâtiment. C’est alors la phase vapeur, c’est-à-dire l’humidité de l’air, qui va conditionner la solution et contrôler la dissolution-cristallisation du sel. On peut alors définir pour chaque sel une humidité relative d’équilibre (HReq) caractéristique, qui est l’humidité relative de l’air en équilibre avec la solution saline saturée.
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