Je suis psychologue et psychothérapeute depuis 1985. Cela doit être dit pour mieux comprendre le type de regard que je porte sur la médiation. Mon intérêt pour cette pratique est assez récent même si j’ai médié des conflits dans les groupes très souvent depuis que j’ai commencé à animer en 1983 et si j’ai été amené à animer des formations sur la gestion des conflits depuis le début des années 90. Je retrouve une première trace du terme de médiation dans mon journal le 13 décembre 1999. Je venais alors de terminer la formation à la médiation commanditée par les provinces de Trento et Bolzano et par le Ministère de la Justice italien. Cette formation fut l’expérience professionnelle la plus douloureuse de mon existence. Cela aurait pu me dissuader de m’intéresser jamais à la médiation, mais cette sensation d’échec fit naître en moi un fort désir de revanche. Le tout commença à la fin de l’année 1998. Je venais de m’installer en Italie. Je n’avais pas de travail. J’avais animé quelques formations pour un institut de formation au sein duquel j’avais connu un éducateur qui avait par ailleurs une formation d’avocat. Cet éducateur m’admirait beaucoup. J’étais pour ma part impressionné par sa beauté. Il était un véritable play boy, trop beau pour être vrai. Il semblait beaucoup jouer avec les femmes, mais sans vraiment avoir une vie amoureuse. Sa situation était étrange. Faire une formation d’avocat pour être éducateur, je trouvais cela insolite. Lorsque je m’installai en Italie, fin septembre 1998, j’imagine qu’il s’attendait à me fréquenter davantage, mais je ne répondis pas à ses attentes et il en fut manifestement déçu. Pourtant, c’est peut-être à lui que je dois ma « découverte » de la médiation. Il me présenta Antonella Zanfei qui était alors la directrice des Services sociaux près le Tribunal des Mineurs. Tous deux me demandèrent si je serais intéressé à animer une formation à la médiation auprès d’un groupe de professionnels de la justice qui se proposait de réaliser un projet expérimental de médiation pénale auprès des mineurs. La médiation pénale en Italie en était à ses balbutiements. Seule la ville de Turin avait déjà entamé une telle expérimentation. Ces deux personnes avaient compris que mon expérience des groupes, des relations humaines, du développement personnel, de la formation que je pratiquais depuis déjà dix ans alors, pouvait leur être utile. Je le pensais moi-même, mais je découvris peu à peu que ma connaissance de la médiation pénale qui était alors naissante en Italie était pratiquement nulle. J’étais, je pense, un excellent formateur, un excellente animateur de groupes, un excellent psychologue et peut-être aussi un excellent médiateur, mais j’ignorais à peu près tout de la médiation pénale. C’est à l’initiative de Giancristoforo Turri, Procureur de la République auprès du Tribunal pour Mineurs de Trento, que fut créé le groupe projet qui voulait donc se former à la médiation. Je fus ainsi présenté à ce groupe et mes rapports avec Turri furent tout de suite excellents. Il ne devait cependant pas participer à la formation. Il y avait au sein de ce groupe des conflits que je ne parvenais pas bien à identifier. Mais ce dont je me souviens et qui fut pour moi le plus douloureux était l’hostilité d’une participante qui s’appelait V. et qui était psychologue.
Malheureusement pour moi, je ne découvris cette hostilité qu’une fois la formation commencée, autrement j’aurais peut-être renoncé à animer cette formation. Cette femme ne me légitimait pas du tout. Je me souviens qu’elle levait les yeux au ciel lorsque je parlais dans une attitude de mépris total, qu’elle me faisait constamment des renvois négatifs et qu’à la fin elle demanda en plaisantant qu’on la retînt de commettre un délit. Ce délit me visait bien entendu. Le groupe rit. Je ris moi-même, mais je ris jaune. Son mépris me touchait d’autant plus que je l’attribuais à ma méconnaissance de la procédure pénale. J’aurais été capable de faire progresser le groupe dans le domaine de la médiation si les participants avaient été ouverts, s’étaient impliqués. Les attentes de la psychologue et peut-être d’une partie du groupe étaient cependant peut-être plus centrées sur la transmission d’un contenu, mais je n’en suis même pas certain. Ce que je sais, c’est que cette formation me sembla être un échec. Je sentais le groupe insatisfait. Il me semblait que dans ce groupe il y avait trois types de demandes. Un tiers du groupe était d’accord pour s’impliquer personnellement, parler de soi, se centrer sur soi. Un deuxième tiers était intéressé par des aspects méthodologiques, mais sans s’impliquer personnellement, peut-être parce que le groupe n’offrait pas les conditions de confiance nécessaires à l’implication à cause des conflits qui y régnaient et dont personne ne voulait parler. Un troisième tiers enfin dont faisait partie Antonella Zanfei n’était intéressé que par des discussions théoriques et n’aurait jamais fait de médiation. Je n’avais moi-même jamais pratiqué la médiation pénale et cela renforçait ma vulnérabilité. Ce fut pour moi une véritable humiliation. Et pourtant je savais que ce que je proposais avait de la valeur. Toutefois, ce n’est pas sur mes qualités qu’on m’évaluait, mais sur mes manques. Et mes manques étaient réels. Je me dis aujourd’hui qu’il ne me manquait pas grand-chose et que le problème était probablement ailleurs.
Deux ans plus tard, je fus amené à intervenir, tout au long de l’année universitaire 2001/2002, dans un DEUST (Diplôme d’Études Universitaires Scientifiques et Techniques) sur la médiation au sein de l’université Marc Bloch de Strasbourg. L’université de Trento me proposa ensuite d’intervenir en 2002 dans un séminaire sur la médiation. J’animai la même année une formation à la médiation de douze jours pour le compte d’une association appelée « Laboratoire d’Éducation au Dialogue » (LED) à Trento. 2002 est aussi l’année où je fus invité par l’UNICRI (United Nations Interregional Crime Research Institute) à Turin pour faire une conférence sur la médiation pénale auprès de l’association nationale des juges de paix. Le président de l’association me dit alors que je devais écrire un livre sur la médiation. Toutes ces marques de reconnaissance ne suffisaient pas à réparer la blessure que m’avait infligée le groupe de 1999 et en particulier V. J’avais depuis acquis des connaissances spécifiques sur la médiation, mais j’avais conservé une sorte de sentiment d’infériorité sur le sujet de la médiation. Les années 2003 et 2004 furent très polarisées sur la formation à la gestion des conflits que je mis en place auprès de la compagnie Air France à l’intention de son personnel front line (personnel des escales, personnel commercial, personnel navigant commercial) qui représentait potentiellement 25 000 personnes. C’est en 2006 que je reçus un appel de la Région du Trentin-Haut-Adige. La directrice qui avait en charge le Centre de Médiation Pénale de la Région souhaitait me rencontrer. Elle me proposa dans un premier temps de rentrer dans le Comité Scientifique qui servait de support aux pratiques du Centre de Médiation Pénale. Plus tard, la Région me confia la supervision de ce même Centre dont je devins dans le même temps le référent scientifique, développant un modèle «non directif intervenant» de médiation. En 2007, je fus chargé par l’université de Trento de la sélection et de la formation d’un groupe d’étudiants parmi lesquels la Région devait recruter ses futurs médiateurs. La Région du Trentin-Haut-Adige préférait mon approche de la médiation à celle de l’association Dike qui avait formé la première vague de médiateurs du Centre. Le ministère de la Justice italien m’invita cette année-là à quatre séminaires internationaux à Naples sur la médiation pénale auprès des mineurs. J’eus ainsi l’occasion de connaître successivement et personnellement Michèle GuillaumeHofnung, professeur de droit public à l’université Paris XI, Marc Umbreit, grand expert de la Victim Offender Mediation aux États-Unis, Roberto Gimeno Vidal, médiateur à Barcelone et enfin Siri Kemeny, norvégienne, présidente du Forum Européen pour la Justice Réparatrice. Enfin, je fus invité par le même ministère à participer à un groupe de réflexion sur la rédaction d’un projet de loi portant sur la médiation pénale auprès des mineurs.
Mais mon expérience de la médiation ne s’arrête pas au domaine de la médiation pénale. Je pratique en effet depuis 1992 la médiation conjugale, la médiation dans les entreprises, la médiation interculturelle, etc. En 2008, je suis également devenu le superviseur du centre de médiation des conflits de la ville de Modène en Émilie.
J’ai formé depuis six ans le projet d’un livre sur la médiation. Les récentes opportunités qui m’ont propulsé sur le devant de la scène dans le domaine de la médiation en Italie (je suis même indûment cité dans un dossier du journal Liberazione comme le pionnier de la médiation pénale en Italie) ont rendu ce projet plus que jamais d’actualité. J’avais commencé en 2005 une thèse de doctorat sur la non-directivité. Les évènements en question m’amenèrent à décider de changer le sujet de ma thèse. Il n’était pas très réaliste de vouloir réaliser simultanément une thèse de doctorat en français sur la nondirectivité et un livre en italien sur la médiation, le tout en poursuivant par ailleurs une activité professionnelle assez intense. J’ai donc décidé de concentrer mes recherches sur la médiation. Il y a d’ailleurs des liens étroits entre la non-directivité et la médiation, nous aurons l’occasion de le voir.
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