Suite à l’ouverture de la Chine et aux réformes économiques et politiques depuis 1978, la société chinoise a connu des énormes transformations économiques, sociales et idéologiques. Le facteur nouveau qui accompagne le développement de la Chine est la mondialisation. L’adhésion de la Chine à l’Organisation Mondiale du Commerce a accéléré son insertion dans la mondialisation. Depuis que la Chine a fait son l’entrée à l’OMC, « les stratégies de croissance économique extérieure ont connu d’importants réajustements, passant d’une stratégie défensive à l’exploitation active des ressources planétaires et à un engagement volontaire dans une compétition mondiale. Ces stratégies ont immédiatement amplifié les investissements directs étrangers (IDE) et ont eu un impact profond sur les structures de la société chinoise. » [Tong, 2008, p.161]. Cette ouverture permanente de la Chine, surtout après l’entrée à l’OMC, favorise la mobilité internationale et rend par conséquent nécessaire l’apprentissage des langues étrangères en Chine. Le nombre des universités chinoises ayant un département de français est passé de 55 en 2003 à 84 en 2012 . Dans le même temps, l’Alliance Française s’est répandue en Chine très rapidement : une dizaine d’antennes ont été créées depuis l’an 2000 . Selon le directeur de l’Alliance française de la province de Canton, « il n’y a dans aucun autre pays un développement du français aussi fort qu’en Chine » [Pu Zhihong, 2006]. En outre, la mobilité chinoise vers la France a connu une augmentation considérable. Il y avait 27 100 étudiants chinois dans les établissements de l’enseignement supérieur en France en 2008-2009. La progression par rapport à l’année précédente était de 34.4%. En 2012 ce nombre s’est élevé à environ 30 000, soit 10% de l’ensemble des étudiants étrangers en France et deuxième contingent d’étudiants étrangers du pays après celui des Marocains.
Parallèlement à l’essor considérable du nombre des étudiants chinois en France et à celui de la langue française en Chine, les actions culturelles de la France augmentent régulièrement depuis une décennie. En 2003, le site internet officiel de la France en Chine a été créé. L’année suivante – celle de la France en Chine – a vu l’inauguration du Centre Culturel Français, premier centre culturel étranger en République Populaire de Chine. En 2008, Club France, un réseau social pour les anciens étudiants chinois de France, est officiellement lancé. Depuis, ce réseau s’est étendu dans plusieurs grandes villes chinoises et continue de se développer. Nous pouvons encore constater l’augmentation des portails d’entrée vers la culture française et vers la recherche scientifique franco-chinoise. En témoignent la création du site internet LatitudeFrance en 2009 et celle d’Aurore en 2010.
Comme nous le voyons, l’apprentissage du français se répand en Chine, les flux de mobilité chinoise vers la France s’enchaînent et les échanges franco-chinois et sino-français s’intensifient. Pourtant, dans ce contexte, le début de notre questionnement présente une contradiction dans la situation des échanges sino-français. En effet, selon nous, il existe une contradiction entre, d’un côté, l’essor du français et des échanges multiples qui sont accompagnés par une image positive de la France en Chine, et de l’autre, la difficulté d’intégration des Chinois en France qui s’accompagne d’une image moins positive.
J’ai étudié le français à l’université pendant quatre ans (2003-2007) en Chine. Au début de mes études en licence (2003), il y avait une cinquantaine d’universités chinoises qui enseignaient le français en tant que spécialité. À la fin de mes études, en 2007, il y en avait 77. C’était un des révélateurs de l’état florissant du français en Chine. Je vivais alors la réalité de la croissance de l’apprentissage du français dans ce pays.
Au printemps 2007, en même temps que je menais mes recherches d’emploie en Chine, j’ai fait la demande d’inscription en Master Français Langue Etrangère (FLE) pour cinq universités françaises. J’avais envie de voir la vraie France. J’ai été acceptée dans les universités de trois villes : Brest, Clermont-Ferrand et Le Mans. Suivant les conseils d’un ancien enseignant français, j’ai choisi Brest pour sa proximité avec la mer et son mélange de deux cultures : la française et la bretonne.
Ayant un diplôme universitaire de français, mes démarches administratives pour préparer le séjour en France étaient moins compliquées que pour les Chinois qui ne le possèdent pas. Je me sentais chanceuse de pouvoir continuer mes études et de passer un bon moment en France avant de retourner, à l’issue de celles-ci, en Chine pour enseigner le français. Cette facilité dans les démarches a conforté un sentiment d’assurance déjà acquis durant mes années de licence, grâce au statut du français en Chine, et m’a permis de croire, de façon illusoire, que mon séjour en France serait agréable. Ainsi, par exemple, j’imaginais qu’il y aurait, comme en Chine, une soirée de rentrée à l’université, et que je pourrais préparer une petite performance de danse.
Or, ce qui m’attendait, c’était plutôt une épreuve d’adaptation académique et quotidienne sans guide. En effet, une fois en France, les discussions avec les étudiants français étaient difficiles, car nous n’avions pas, comme ils disaient souvent, les mêmes « références culturelles ». Ce qui fait que cette expression est restée longtemps, chez moi, liée à la frustration. Malgré tout, d’un point de vue pratique, grâce à mes quatre ans d’études de français en Chine, je me débrouillais globalement dans la vie quotidienne.
En revanche, j’ai très vite senti que ma base de français acquise en Chine était insignifiante pour être à la hauteur des exigences académiques, intellectuelles, méthodologiques et culturelles. Ainsi l’année de Master 1 FLE ne s’est déroulée que dans un état de semi-compréhension. L’acquisition des savoirs me prenait trois fois plus de temps qu’à mes condisciples français. Quand une collègue chinoise et moi passions des heures à compléter les notes d’un cours à la bibliothèque, nos condisciples français avançaient dans les lectures associées au cours. En outre, pendant chaque cours, le sentiment d’incapacité se renforçait car je pouvais à peine suivre le cours, alors que les étudiants français et européens échangeaient aisément avec l’enseignant. Au moment de la rédaction du mémoire et des examens, les lacunes dans la capacité de compréhension et d’expression écrite surgissaient encore plus clairement.
Tous ces éléments quotidiens et académiques me donnaient le sentiment permanent d’être en difficulté. Mais, dans aucun cas, je n’osais parler aux enseignants de mes difficultés, qui, dans mon esprit, remettaient directement en cause ma légitimité et mon futur diplôme français.
Dans le même temps, les rencontres avec des étudiants chinois de licence m’apprenaient que leur réalité était bien plus difficile. Nombre d’entre eux avaient « échoué » au concours d’entrée à l’université en Chine. Ne voulant pas se lancer de nouveau dans la préparation infernale pour repasser le concours ni accepter d’entrer dans une université de mauvais classement, leurs familles et eux-mêmes avaient décidé de venir en France et de « se faire dorer » avec un diplôme étranger. Mais je me demandais bien comment ils se débrouillaient, sachant que leur bagage linguistique et culturel se limitait à un apprentissage intensif du français durant quelque mois en Chine et, en France, à une formation linguistique d’un an dans un groupe souvent exclusivement composé de Chinois. Comme on le comprend, leurs difficultés d’adaptation académique et d’intégration culturelle étaient considérables.
La trajectoire de vie en France de ces étudiants chinois se limitait souvent aux cours à la fac et aux courses au supermarché. Une fois rentrés chez eux, ils passaient leur temps à surfer sur internet. S’ils ne sortaient pas, c’est parce qu’« il n’existe rien pour s’amuser ici », « il n’y a pas de bon restaurant chinois ni de karaoké » et que « les Français adorent les bars, mais ça ne m’intéresse pas trop ».
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