Le 4 octobre 1830, suite à une Révolution sanglante ayant débuté quelques mois auparavant, neuf provinces furent déclarées indépendantes du Royaume des Pays-Bas par le gouvernement provisoire . L’Etat belge était officiellement né. Comme pour tout jeune Etat, il fallut rapidement le doter d’un appareillage normatif suffisant pour le diriger . En matière de procédure pénale, le choix se posa sur le Code d’instruction criminelle de 1808, élaboré par Napoléon.
Près de deux siècles plus tard, la Belgique compte toujours parmi ses sources législatives ce Code d’instruction criminelle. Il fit bien entendu l’objet de révisions au fil des décennies. Cependant, il ne s’agissait que de révisions incidentes, n’abordant que certains pans de la procédure pénale à la fois. Les projets mis en place en vue de réformer la procédure pénale dans son ensemble furent systématiquement, tôt ou tard, laissés aux oubliettes. La dernière grande réforme avortée date de 2005 et fût celle que l’on appelle notamment « le grand Franchimont » . Ce dernier succédait au « petit Franchimont » , fruit de la même Commission Franchimont, qui fut quant à lui adopté par une loi du 12 mars 1998 et qui réforma l’information et l’instruction, nous donnant les grandes lignes de la phase préliminaire du procès pénal que nous connaissons encore aujourd’hui, et que nous détaillerons infra au point 2.1.1.
Au fil des ans, le besoin d’une réforme transversale de notre procédure se fait de plus en plus ressentir. C’est pourquoi Koen Geens décida de s’atteler à cette tâche titanesque. Interrogé sur les problèmes liés au Code actuel, il déclarait « [l]e Code d’instruction criminelle actuel est obsolète et, après de nombreuses adaptations ‘ad hoc’, il manque sérieusement d’efficacité, de cohérence et, par conséquent, d’effectivité pour que s’applique le droit dans un délai acceptable pour l’ensemble des parties concernées. Les garanties juridiques et les équilibres entre celles-ci se sont trouvés compromis, tout le monde ne bénéficiant plus d’une égalité de traitement. Ces insuffisances ont conduit au constat que le droit de la procédure pénale doit (…) être repensé et retravaillé de manière radicale. ».
C’est ainsi que, quelques années plus tard, en 2020, la « Proposition de loi contenant le Code de procédure pénale » fut déposée à la Chambre des représentants pour être débattue et, si elle est adoptée d’ici peu, révolutionner le système . Dans le cadre de ce travail, nous nous cantonnerons à l’examen du contrôle juridictionnel de la phase préliminaire du procès pénal.
Dans un premier temps, sera faite une description de l’avant-procès pénal en vigueur ainsi que de la manière dont le contrôle juridictionnel s’imbrique dans celui-ci. Aussi, n’en déplaise au régime actuel prévoyant la distinction entre information judiciaire et instruction préparatoire, l’instruction sera abordée à titre principal puisqu’elle seule fait l’objet d’un contrôle juridictionnel automatique . Il sera donc porté une attention toute particulière au rôle de ses acteurs que sont le juge d’instruction et les juridictions d’instruction, tant pendant l’instruction qu’au stade du règlement de procédure. Ensuite, les diverses critiques auxquelles le régime actuel fait face seront évoquées.
Et puis, il sera temps d’examiner le contrôle juridictionnel du déroulement de la procédure tel qu’il est organisé par la proposition de loi. Il sera question du contrôle exercé au cours de la phase préliminaire comme à la fin de celle-ci, et des acteurs intervenant dans le cadre de ce contrôle. En effet le juge d’instruction se voit remplacé par un juge de l’instruction, appelé dans le projet de loi ‘le juge de l’enquête’ . Responsable de la supervision de l’enquête menée par le ministère public, ce juge de l’enquête sera lui-même chapeauté par la chambre de l’enquête, qui se substitue à la chambre des mises en accusation que nous connaissons à l’heure actuelle. La chambre du conseil demeure, et sous cette même appellation, bien que son rôle en matière de contrôle juridictionnel ait été réduit à peau de chagrin au vu de la suppression du règlement de la procédure . Nous recourrons à un examen critique et comparatif vis-à-vis du régime actuel à cette fin.
Par après, en lien avec cette analyse critique, il sera procédé à une analyse de ce qui se fait dans l’ordre juridique néerlandais. En effet, nos voisins se sont déjà détournés du Code de Napoléon et ont, à l’instar d’autres pays de civil law, adopté le régime d’une enquête unique menée par le ministère public, chapeautée par un juge indépendant et impartial. Le rechtercommissaris y est considéré comme un acteur central qui procède au contrôle juridictionnel préliminaire . Il sera opportun de comparer cet acteur à notre figure centrale en matière de contrôle juridictionnel qu’est le juge de l’enquête et de voir ce qui les unit, et ce qui les distingue, et tirer profit des critiques ou des éloges proférées à l’encontre du système néerlandais.
Tout au long de ce travail de fin d’études, nous tenterons d’apporter des éléments de réponse à la question centrale : « le contrôle juridictionnel tel que décrit parvient-il à maintenir l’équilibre délicat entre les valeurs d’efficacité de la procédure et de protection des droits des parties au procès ? ». Nous nous interrogerons également sur la place occupée par le juge et donc le contrôle juridictionnel au sein de la procédure préliminaire, tant dans le système belge en vigueur et réformé, que dans le système néerlandais. La conclusion sera quant à elle tournée vers l’avenir de la procédure pénale relativement au contrôle par le juge lors de la procédure préliminaire.
Avant qu’une affaire ne soit amenée devant le juge pénal pour que soit déterminée la culpabilité ou non de son ou ses auteurs, le dossier créé autour de cette affaire est étoffé par l’acteur responsable de son traitement. Dans notre ordre juridique, la direction de l’enquête préliminaire sera prise soit par le ministère public, soit par le juge d’instruction, selon l’orientation qu’a pris le dossier. Cette orientation ne sera pas sans incidence. Avant que l’affaire n’arrive au fond, celle-ci n’aura pas nécessairement fait l’objet d’un contrôle par un juge indépendant et impartial au préalable. En effet, on estime qu’environ 95 pourcents des dossiers poursuivis au pénal le seront sous la direction des magistrats du ministère public, nonsujets à l’obligation légale d’impartialité . Ceux-ci sont responsables de l’information préliminaire, laquelle ne fait, en principe, pas l’objet d’un contrôle par un juge.
Dans le modèle qu’est le nôtre, les acteurs aptes à exercer un contrôle juridictionnel dans l’avant-procès pénal sont le juge d’instruction d’une part, et les juridictions d’instruction que sont la chambre du conseil et la chambre des mises en accusation, d’autre part. Il sera désormais procédé à un examen détaillé de leur rôle et des circonstances dans lesquelles un contrôle juridictionnel a lieu dans l’avant-procès pénal.
Juge au niveau du tribunal de première instance, le juge d’instruction est l’acteur qui dirige la procédure du même nom . A ce titre, il a la particularité d’avoir un statut hybride puisqu’il exerce les fonctions à la fois d’enquêteur et de juge . Le juge d’instruction exerce des fonctions d’enquêteur dans la mesure où il rassemble les éléments de preuve pour les dossiers dont il est ou dont il s’est saisi . Dans le cadre de ses fonctions d’enquêteur, il procède à la réalisation de tous les actes « de la police judiciaire, de l’information et de l’instruction » qu’il estime nécessaires pour qu’un jugement au fond puisse in fine être rendu. Ainsi, le magistrat-instructeur peut, à titre d’exemple, décerner des mandats d’arrêt, des mandats de perquisition ou encore pénétrer sans autorisation du propriétaire dans un système informatique donné afin d’instruire son dossier .
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