Plusieurs écrits scientifiques nous démontrent l’importance de la prosocialité dans le bien-être et le développement optimal de l’enfant (Rose-Krasnor et Denham, 2009; Durlak et al, 2011; Coutu et al, 2012; Oberle et al, 2016; Laurent et Ensink, 2017; Beaumont et Garcia, 2018). Ces études confirment ce que l’on pense intuitivement en mentionnant que les comportements prosociaux, sous forme d’empathie et de bienveillance par exemple, sont nécessaires pour le bon développement du cerveau de l’enfant (Gueguen, 2017). Ces comportements, aussi appelés prosocialité, sont un ensemble de comportements sociaux observables orientés vers le bénéfice d’autrui (aider, réconforter) ainsi que le partage de coûts et de bénéfices avec autrui (partager, coopérer, etc.) (Bouchard et al., 2015). La prosocialité chez l’individu est nécessaire afin d’interagir positivement avec les autres (Lafontana et Cillessen, 2002; Denham et al., 2003; Warden et MacKinnon, 2003; Ladd, 2005; Spinrad et Eisenberg, 2009; Ladd et Sechler, 2013). Eisenberg et ses collaborateurs (1999) ont également mentionné que la prosocialité s’avère un avantage important à long terme pour les enfants. En effet, ceux-ci ont démontré que les comportements prosociaux observés à l’intérieur d’un groupe d’enfants âgés de 4-5 ans prédisaient leur niveau de prosocialité vers 19-20 ans, soit à l’âge adulte. Par ailleurs, un nombre considérable d’études antérieures ont démontré l’existence de liens étroits entre la compétence sociale chez les enfants et un développement sain ainsi qu’une bonne capacité d’adaptation ultérieure (Crick et Dodge, 1994; Parker et Asher, 1987; Rubin et Krasnor, 1986). La compétence sociale constituerait un important facteur de protection chez l’enfant et un élément clé de son bien-être et de ses relations avec autrui (Beaumont et Garcia, 2018; Coutu et autres, 2012; Durlak et autres, 2011; Laurent et Ensink, 2017; Oberle et autres, 2016; Rose-Krasnor et Denham, 2009; Luis et Lamboy, 2015). À l’inverse, une carence en ce qui concerne le développement des compétences psychosociales est l’un des déterminants majeurs de comportements à risque tels que la prise de substances psychoactives, les comportements violents et les comportements sexuels à risque (Dupras, 2012; Luis et Lamboy, 2015). En ce sens, l’école est appelée à jouer un rôle d’agent de cohésion et de socialisation en contribuant à l’apprentissage du vivre ensemble et en outillant les jeunes à actualiser leur plein potentiel, tant sur le plan social qu’intellectuel (MEES, 2001). Depuis 2008, des efforts importants sont réalisés en ce qui concerne l’amélioration du climat scolaire afin de le rendre sécuritaire, positif et bienveillant; des programmes orientés sur la prévention de la violence et de l’intimidation ont été mis de l’avant (Parent et St-Louis, 2020). Pour ce faire, le gouvernement souligne l’importance du développement de l’estime de soi, de l’empathie, de la coopération et de la résolution de conflits par la médiation. Les sports, les activités scolaires et parascolaires sembleraient être un moyen efficace afin de favoriser le développement social (Moulin-Stożek et al., 2018). De son côté, le yoga tend à démontrer son efficacité depuis des années dans le monde occidental. On lui attribue une multitude de bienfaits, y compris chez les enfants, telle qu’une amélioration de l’estime de soi, de l’humeur et de l’anxiété (Ferreira-Vorkapic et al., 2015), des progrès dans le domaine de l’attention, de la mémoire et des fonctions exécutives (Gothe et McAuley, 2015) et une amélioration des compétences socioémotionnelles dont l’autorégulation, la conscience de soi et les compétences relationnelles (Bergen-Cico et al., 2015; Felver et al., 2015; Khalsa et Butzer, 2016; Frank et al., 2017). Ses bienfaits chez les jeunes présentent un intérêt particulier car les données actuelles soulèvent que le yoga peut s’avérer une modalité d’intervention efficace et innovante face à l’augmentation des difficultés sociales et émotionnelles chez les jeunes (Felver et al., 2020). C’est pourquoi les milieux scolaires introduisent de plus en plus le yoga comme un outil afin de favoriser le bien-être socioémotionnel et faire face au stress (Hagen et Nayar, 2014; Butzer et al., 2016).
L’enfance est une période cruciale en termes de socialisation et de construction identitaire (Bouissou, 2001). Les travaux de Borst (2019) ainsi que de Cadoret et Bouchard (2019) démontrent que l’enfant présente des potentialités d’apprentissages importantes, mais qu’il est tout autant vulnérable en raison de son système nerveux « immature». En effet, la capacité du système nerveux à s’adapter, ou à se modifier en fonction des changements environnementaux – plasticité du cerveau -, est beaucoup plus marquée à l’enfance (Amad, 2014). Ainsi, les évènements marquants que l’enfant vivra lors de ce stade précoce de la vie sont susceptibles d’influencer son parcours (Traoré et al., 2018). Quant au milieu scolaire, il constitue un point central pour l’enfant dans le développement global et harmonieux de ses besoins sociaux et affectifs, de sa sécurité et de sa réussite éducative (Conseil supérieur de l’éducation [CSE], 2012, 2016, 2017, 2018). Pour ce faire, adopter de bons comportements et miser sur des rapports sociaux de qualité sont deux aspects primordiaux au bon développement de l’enfant. En effet, les compétences personnelles et sociales font partie du premier champ des déterminants de la santé de l’individu de tout âge (Perreault, 2011). Elles englobent plusieurs types d’habiletés (physiques, cognitives, affectives) et incluent les habiletés de communication, la capacité de gérer ses émotions, de résoudre des problèmes ou de faire face aux situations difficiles, en plus des habiletés à coopérer et à établir des relations sociales de qualité. À l’inverse, les insuffisances quant aux compétences psychosociales, telles que l’apathie ou l’incapacité à gérer ses émotions, contribuent au risque d’augmenter les comportements défavorables à la santé tels que les problèmes de santé mentale, les comportements violents et la consommation de substances psychoactives (alcool, drogues illicites, tabac) (Luis et Lamboy, 2015). Par conséquent, depuis de nombreuses années « l’incapacité d’un grand nombre de jeunes de s’adapter aux situations d’apprentissage scolaire et de vivre des relations sociales harmonieuses et valorisantes constitue une préoccupation importante des agents d’éducation » (Poliquin-Verville et Royer, 1992, p.5). C’est pourquoi, depuis un certain temps, le système d’éducation déploie plusieurs moyens de prévention afin d’optimiser un bon développement social chez leurs jeunes. « Un de ces moyens de prévention consiste notamment à favoriser, dès la petite enfance, l’apprentissage d’habiletés sociales et émotionnelles qui facilitent l’adaptation sociale au sein de leur groupe en service de garde » (Bouchard et al., 2016, p.6). Dans les prochaines lignes, nous explorerons plus précisément trois problèmes vécus chez les enfants d’âge primaire, pouvant causer ou être causés par un manque d’habiletés sociales et pouvant affecter leurs probabilités de vivre des relations sociales harmonieuses : la violence en milieu scolaire, la détresse psychologique ainsi que les difficultés scolaires.
La violence à l’école rassemble tous types de comportements non désirés, perçus comme étant hostiles et nuisibles et qui portent atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’une personne, à ses droits ou à sa dignité (Bowen et al., 2018). Dans l’intention de mieux comprendre le contexte de déclenchement des actes agressifs et violents, Dodge et Coie (1991), mettent en lumière leurs deux actes : proactive et réactive. « L’agressivité proactive est le résultat d’une stratégie visant à contrôler, à dominer ou à s’accaparer » (Bowen et al., 2018, p. 202). L’intimidation, incluant le harcèlement, en fait partie. À l’inverse, l’agressivité réactive est une réaction agressive, impulsive et souvent disproportionnée face aux gestes d’autrui. Sans même chercher à comprendre la nature du geste dirigé vers eux, ces enfants lui attribueront bien souvent des intentions hostiles et y réagiront de façon disproportionnée. Cette violence proviendrait d’une difficulté d’adaptation chez l’élève, se manifestant par des mécanismes insuffisants d’autorégulation socioémotionnelle et comportementale (Bowen et al., 2014). La violence peut donc être proactive ou réactive, mais elle peut également être de deux types, soit directe ou indirecte. L’agression directe se fait en présence physique de l’individu. Il s’agit de tous les actes physiques tels que frapper, bousculer, faire trébucher, etc. Également, toutes menaces et insultes, verbales ou non en font partie (p. ex. air de dégoût lorsqu’un ami parle ou p. ex. « si tu ne joues pas avec moi, je ne serai plus ton ami»). Quant à l’agression indirecte, elle se produit en l’absence physique de la personne. Elle peut se faire via une autre personne ou via les médias sociaux. Plus difficile à voir que la violence physique, elle se présente davantage sous forme de violence sociale (p. ex. exclure la personne du groupe d’amis, propager des rumeurs), matérielle (voler, briser les objets de la personne), électronique (p. ex. diffuser des photos compromettantes de façon anonyme). Chez les enfants, les agressions indirectes apparaissent vers l’âge de trois ans, augmentent entre quatre et six ans, pour demeurer relativement stables jusqu’à l’âge de dix ans (Vaillancourt et al., 2007). Lors de la période scolaire, les enfants rapportent être témoins en moyenne de 50 actes de violences indirectes par semaine par leurs pairs (Coyne et al., 2006). Les résultats publiés par Dubé (2006), permettent de constater que les comportements d’agressions indirectes les plus fréquents se rapportent à ceux de ridiculiser et d’insulter un pair. Ceux-ci sont constatés par la majeure partie du personnel des écoles primaires, avec des taux avoisinant les 85 %. Plus récemment, en 2010- 2011, l’Enquête longitudinale sur les comportements de santé des jeunes d’âge scolaire (Health Behaviour in School-aged Children [HBSC]), menée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), rapporte qu’au Canada, près de 20 % des jeunes déclaraient avoir été intimidés au moins une fois au cours des derniers mois (Bowen et al., 2018). Quant aux filles, elles déclarent subir davantage d’intimidation indirecte, telle que de l’exclusion et du commérage. En ce sens, l’étude de Desbiens et al. (2003) démontre que la « petite violence » est le plus gros problème et qu’il est minimisé.
Cette violence scolaire est un réel facteur de risque pour le développement de l’enfant. D’abord, l’exposition des jeunes à la violence physique, psychologique, sexuelle ou même virtuelle vécues dans leurs relations amoureuses ou amicales peut représenter un risque accru pour leur développement, en affectant leur santé physique, psychologique et mentale (Laforest et al., 2018). Plus précisément, l’élève victime d’actes de violence, notamment d’intimidation, sera assurément plus à risque de rencontrer des problèmes d’intégration et d’adaptation sociale. D’un autre côté, l’élève qui commet l’acte d’intimider, est lui-même plus à risque de présenter certaines problématiques telles que de la solitude, un désintérêt pour l’école, une consommation excessive d’alcool ou de drogues, que les élèves non impliqués (Bowen et al., 2018). Tout compte fait, les agressions directes et indirectes sont associées à des effets tels qu’une faible estime de soi, des problèmes d’anxiété sociale, d’évitement social, de solitude et de détresse psychologique, particulièrement ressentie plus intensément chez les enfants d’âge primaire ainsi que chez les filles (Caron, 2007; Crick et Nelson, 2002). Finalement, cette violence vécue durant l’enfance et l’adolescence augmente la possibilité que l’individu en subisse à l’âge adulte (Laforest et al., 2018).
Les facteurs causant les actes agressifs et violents sont multiples chez les agresseurs. Dans le processus d’intimidation, l’étude de Fougeret-Linlaud et al. (2016) émet comme hypothèse que l’intimidation serait causée par une perturbation émotionnelle chez l’intimidateur, soit une lacune en matière de sa prosocialité. En effet, pour ces chercheurs cet acte de violence part d’une difficulté à se mettre à la place de l’autre, mais aussi d’une lacune dans la verbalisation des ressentis. Ainsi, l’alexithymie se définissant par l’absence de capacité pour exprimer ses émotions ou sentiments (Loas, 2010), et le manque d’empathie seraient des composantes importantes dans le processus d’intimidation.
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