Est-ce que chaque pays se doit d’avoir son industrie automobile ? Il fut un temps où cette question bousculait les ambitions des gouvernements cherchant à défendre leur secteur automobile. Nous voyons aujourd’hui que seuls quelques grands acteurs dominent le marché et la nationalité importe peu : Toyota à Valenciennes communique sur sa localisation géographique pour vendre ses Yaris aux Français. De manière similaire, faut-il un secteur du capital-risque dans chaque pays ? En effet dans le cadre de l’économie américaine, Gompers et Lerner (2001) présentent ce secteur comme un stimulant important de l’innovation. Dans les années 1960, les bureaucrates Japonais veulent implanter ce mode de financement au Japon. Il semble que pour le gouvernement japonais, il est évident que le pays a besoin de son capital-risque. Ce travail ne pose pas la question de la pertinence d’une industrie du capital-risque Japonais, mais choisit comme point de départ la réponse par l’affirmative des décideurs Japonais qui ont voulu imiter les Etats-Unis. Nous partons du constat qu’il y a eu une volonté de reproduire un ensemble de mécanismes visant à financer l’innovation : le capital-risque.
Nous définissons le capital-risque comme étant l’activité d’intermédiation financière entre des investisseurs et des entreprises non côtées plus ou moins avancées dans leur cycle de vie. Celles-ci ont la particularité de souffrir d’une opacité informationnelle forte qui leur interdit un financement par le canal classique de la dette bancaire ou l’appel publique à l’épargne. Elles sont généralement liées à une activité où la composante technologique est forte. Le venture capitalist (VC) apporte un financement, mais peut aussi le compléter avec des éléments extra-financiers qui sont de deux ordres : un système de contrôle et de sanction du dirigeant pour éliminer les conflits d’intérêts potentiels et une aide à la bonne réalisation des objectifs. Cette aide peut prendre différentes formes : une certification auprès des clients, des fournisseurs ou dans le processus de recrutement de personnes clés, ou encore une aide à la gestion et au développement. Cette combinaison du capital financier et de l’effort non financier est particulièrement propre au modèle originel observé dans la Silicon Valley, alors que le cas Japonais, qui nous intéresse, est différent.
Jusque récemment au Japon, le capital-risque fonctionne d’une façon complètement différente, et aujourd’hui, même s’il est possible de trouver des acteurs dont les pratiques se rapprochent du modèle américain, les standards en sont encore bien éloignés. Ce travail détaille les raisons de ces évolutions en cherchant à rationaliser les choix observés par rapport aux contraintes institutionnelles propre au Japon. Nous procédons par comparaison avec les Etats-Unis dans la mesure où nous avons constaté une volonté d’imitation . De là, se pose une autre question : faut-il lever ces contraintes institutionnelles pour que le Japon bénéficie d’un capital-risque dont le mode de fonctionnement converge vers le modèle américain, ou faut-il laisser mûrir l’équilibre propre au Japon ? Poser cette question revient à s’interroger sur les déterminants de l’innovation. Si, le capital-risque est le seul moyen de financer l’innovation, il faudra faire en sorte que cette fonction économique soit assurée.
Ce travail montre que les pratiques des acteurs du capital-risque Japonais modifient la définition de la fonction économique de celui-ci. Ainsi, les différences observées sont des différences, en temps que telles, par rapport au modèle de la Silicon Valley, mais sont aussi des réponses rationnelles répondant à une logique autre pour remplir des fonctions a priori non prévues dans le cadre américain. Autrement dit, dans une approche de comparaison par rapport aux Etats-Unis, nous appelons cela des « pratiques différentes » ; lorsque nous nous plaçons dans une logique interne au système Japonais nous observons des réponses rationnelles par rapport à une fonction économique donnée. Ce travail met l’accent sur la dimension comparative, mais cherche tout de même à définir la fonction issue des logiques propres au Japon. Nous étudions donc les fonctions du capital-risque au Japon et nous laissons la question de la stimulation de l’innovation de côté. Nous nous focalisons sur le capital-risque et son rôle dans le cadre Japonais.
Est-ce que le capital-risque attire plus d’attention qu’il ne le mérite, dans la mesure où gouvernements et chercheurs mobilisent leurs énergies pour une activité qui, en termes d’investissement reste modeste ? Sahlman (1990) évalue le montant total des investissements en capital-risque à 50% de l’investissement en recherche et développement d’IBM, qui est le plus gros investisseur, mais loin d’être le seul. Pourtant, malgré ces différences quantitatives, force est de constater qu’IBM n’est plus leader sur le marché des stations informatiques. Aujourd’hui, cette place est occupée par la société DELL, qui fut financée par des capitaux risqueurs durant la décennie 1990. Même si le volume des sommes investies dans le capital-risque reste modeste, nous ne pouvons pas en négliger l’importance managériale et disciplinaire du capital-risqueur. Les grandes firmes sont de jeunes pousses à leur création, et rien ne garantit leur position dominante sur le long terme. Une innovation technologique mal assimilée, des erreurs stratégiques peuvent compromettre cette position.
Plus l’investisseur arrive tôt, moins la somme à investir est importante. En effet, le risque étant très grand, le prix de l’actif est censé être bas. Il est donc normal que compte tenu du risque, les sommes investies tôt dans le cycle de vie d’une firme soient modestes. Des entreprises valant quelques dizaines de milliers de dollars dans leurs premières années sont devenues des géants de l’économie américaine voire mondiale. Apple, Microsoft, Amazon, FedEx, ou encore Cisco sont quelques exemples pertinents qui illustrent ce type de progression. Toutefois, toutes les firmes développant des systèmes d’exploitation ne peuvent espérer devenir « Microsoft », mais il a fallu la présence de certains acteurs, pour que chacune ait ses chances d’entrer dans le tournoi.
Pour qu’une idée géniale devienne une « innovation » et pour qu’elle puisse générer son potentiel de création de valeur, il lui faut des ressources financières et humaines. Gompers et Lerner (2001) citent plusieurs cas d’idées en mal de financement . Il faut des acteurs prêts à prendre un risque, et à être rémunérés en conséquence, pour financer ces innovations.
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