Une étude des programmes officiels, des manuels scolaires, des pratiques des enseignants en classe et des évaluations (en classe et au baccalauréat) montre que l’analyse réelle enseignée dans nos classes, qui commence à partir de la 3ème année secondaire, est plutôt une analyse algébrisée : on ne donne pas suffisamment d’importance à l’aspect topologique des notions de l’analyse en lien avec leurs définitions formelles. A l’université, nos étudiants ont ensuite des difficultés pour assimiler les premiers cours sur les premiers concepts d’analyse (limites, continuité …), notamment les définitions formelles qui comportent différents quantificateurs et systématiquement une implication. Les élèves du secondaire partent donc à l’université avec des difficultés en rapport avec les concepts de base de l’analyse réelle. Par exemple, pour la notion de continuité d’une fonction numérique à variable réelle en un point, nous avons remarqué un automatisme implicite basé soit sur le tracé de la courbe dans le registre graphique (tracé continu ou présentant un saut), soit sur l’expression algébrique de la fonction (en se référant aux théorèmes du cours « dits généraux ») sans aucune coordination entre les deux registres. Ainsi, on peut affirmer qu’il s’agit d’un problème de conceptualisation de la notion de continuité, pouvant engendrer des conflits cognitifs chez les futurs étudiants (Tall et Vinner, 1986, p. 298) « … Such factors can seriously impede the learning of the formal theory, for they cannot become actual cognitive conflict factors unless the formal concept definition develops a concept image which can then yield a cognitive conflict.» Il nous a paru intéressant, d’étudier, dans le cadre de cette thèse, les apports d’un enseignement de l’analyse intégrant les nouvelles technologies pour l’apprentissage de la notion de continuité des fonctions numériques, en fin du cycle secondaire. L’objectif de cette recherche est donc de mettre en place une ingénierie didactique qui tiendrait compte des potentialités (et des contraintes) d’un outil informatique, des spécificités pour l’enseignement et apprentissage de la notion de continuité, même plus précisément la définition formelle de la continuité, en lien avec les registres graphiques et algébriques, au niveau du lycée, dans le cadre des programmes tunisiens.
Dans la phase d’exploration de notre recherche sur l’enseignement de la continuité pour les élèves de troisièmes années (sections scientifiques), nous avons choisi de faire une première étude à travers la passation d’un questionnaire aux enseignants de troisièmes années sections scientifiques, et une deuxième à travers quelques compte – rendus des inspecteurs de mathématiques exerçant dans différentes circonscriptions choisies comme échantillon parmi les 26 de tout le pays, il s’agit d’une étude plus globale. Elle est faite sur les CRE de Nabeul, Tunis I, Bizerte, Kairouan et Siliana. Elle est orientée à la base des questions proposées dans le questionnaire conçu pour l’étude du recours des enseignants aux activités introductives du concept de continuité proposées par le manuel scolaire et les éventuelles difficultés rencontrées.
Concernant l’introduction de la nouvelle notion de continuité, les enseignants déclarent avoir trouvé des difficultés dans la gestion de l’activité 1 proposée par le manuel scolaire (qui est unique en Tunisie) et dans l’explication du commentaire proposé à la fin de l’activité qui propose une définition intuitive de cette notion dans le registre de la langue naturelle. La définition formelle en β et α de la notion de continuité, elle-même est aussi source de difficultés non seulement pour les élèves (compréhension) mais pour les enseignants qui n’arrivent pas facilement à mettre en place ce nouveau concept. Dans ce même contexte, ils trouvent également des difficultés dans la gestion des tâches proposées dans les questions en rapport avec la reconnaissance graphique de l’image et/ou l’image réciproque d’un intervalle par une fonction.
D’autant plus, cette étude a montré que beaucoup d’enseignants évitent d’entamer les activités qui font appel à l’usage de la définition formelle de la continuité comme celles proposées pour établir la continuité de la valeur absolue et de la racine carrée.
En ce qui concerne les compte – rendus des inspecteurs à propos de l’enseignement de la continuité (recours au manuel scolaire, gestion des activités en classe, difficultés remarquées, …), nous donnons ci-dessous une synthèse des principaux témoignages :
Le formalisme accompagnant le concept de continuité se trouve délaissé par la plupart des enseignants qui font le choix didactique orienté vers la reconnaissance graphique et l’appel à l’usage des théorèmes admis sur la continuité des fonctions de référence. Dans le cadre du recours aux activités proposées par le manuel scolaire comme support d’introduction de la continuité, la majorité des enseignants ne donnent pas de l’importance nécessaire aux objectifs assignés et voient que :
– La définition de la continuité à l’aide de 𝛽 et α comme dans les anciens programmes s’avère peu difficile pour les élèves à ce niveau ;
– Les activités du manuel scolaire signalées dans le questionnaire semblent à la limite du programme officiel, qui délimite la reconnaissance de la continuité à l’aide du graphique et de l’expression de la fonction en appliquant les théorèmes du cours (éventuellement admis) ;
– La définition mathématique ou formelle (à l’aide de 𝛽 et 𝛼) semble implicitement reportée à l’université.
Les enseignants qui ont l’habitude de suivre le scénario proposé par l’unique manuel scolaire consacrent suffisamment de temps, dans ce chapitre, pour la gestion des activités et pour atteindre les objectifs sous-jacents des auteurs du manuel. Le lien entre la définition mathématique de la continuité et sa caractérisation graphique n’est pas toujours évoqué. Ils soulignent également que la gestion de ces activités en classe dépend de l’enseignant (en terme d’expérience, de compétence pédagogique et didactique, de maitrise de la matière, de la volonté à mettre en place la définition de la continuité avec le 𝛽 et 𝛼 …) et, principalement, du niveau des apprenants.
Beaucoup d’enseignants évitent d’entamer ces deux activités considérées comme un support d’introduction de la définition de la continuité, ils voient que les tâches ne sont pas à la portée de leurs élèves et font appels à des techniques de résolution basées sur des connaissances antérieures insuffisamment travaillées. On parle de la caractérisation des voisinages, l’image d’un intervalle par une fonction.
Chapitre I: Introduction |