Le droit de l’urbanisme et les zonages écologiques

« Les matériaux de l’urbanisme sont le soleil, les arbres, le ciel, l’acier, le ciment, dans cet ordre et dans cette hiérarchie ». Le Corbusier

« Notre rôle et le vôtre, aujourd’hui, est de restituer la nature à l’Homme et de l’y intégrer »  .Pierre WINTER

La vision exprimée par LE CORBUSIER met en exergue l’impossible dissociation de l’urbanisme et de la nature. L’emploi courant, voire banal, de ce terme de nature, a pu générer une difficulté de définition parfois réduite à la seule acception «chlorophyllienne » . Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter à quelques définitions empruntées au panthéon des philosophes.

Par exemple, pour ARISTOTE, la définition de la nature est constituée d’une part, de « l’élément premier immanent d’où procède ce qui croît »auquel est associé « le premier mouvement immanent de chacun des êtres naturels en vertu de sa propre essence » et d’autre part, de l’élément primitif servant de base à un objet artificiel, «substance informe, et incapable de changement par sa propre puissance » . Ainsi, la nature serait matière et regrouperait en son sein, à la fois la matière vivante capable d’évolution et la matière inerte transformable, principalement par l’homme, en objet. La difficulté de cette définition prend tout son sens dans l’analyse du travail de Gottfried Wilhelm LEIBNIZ qui remet nettement en cause les frontières du naturel et de l’artificiel. Il prend comme exemple le rouage d’une machine qui perd son caractère artificiel lorsqu’il n’intervient plus pour l’usage auquel la machine est destinée. L’auteur envisage, certes, les êtres vivants comme des « machines de la nature » qui seraient en quelque sorte des automates naturels , mais qui demeureront machines « dans leurs moindres parties, jusqu’à l’infini » . La distinction entre le naturel et l’artificiel reposerait, non plus sur l’identification initiale de la matière, mais sur la composition intrinsèque de cette dernière à l’aune du temps qui passe et de la divisibilité de cette matière.

Le concept de nature souffre manifestement de l’absence de frontières clairement et aisément identifiables. Si l’on tente d’appliquer la première théorie à la toile tissée par une araignée, on ne peut affirmer qu’elle fasse partie de la nature tant il est délicat d’admettre qu’une telle toile soit une matière vivante ou un élément primitif transformable. Elle serait donc un élément artificiel, et non naturel, créé par l’araignée. L’élargissement des frontières développé par Gottfried Wilhelm LEIBNIZ n’aboutit pas à l’émergence de critères permettant d’établir des frontières intangibles. Sa vision nous conduit à douter de critères trop catégoriques dans la détermination de la nature.

Pour Jean-Jacques ROUSSEAU, la difficulté de cette définition tient au fait « que c’est dans le cœur de l’homme qu’est la vie du spectacle de la nature » . Cette perception « subjective » de la nature sera, dès lors, différente lorsque d’autres préoccupations occupent le « cœur » des hommes telle la religion. Ainsi, par exemple, chez Jean PIC DE LA MIRANDOLE, il semble que tout ce qui est créé par « Dieu » soit nature . Il est incontestable que la confusion engendrée par le recours au divin a sévi de nombreuses années dans la définition de la nature. Cette approche est dépassée pour la majorité des auteurs. Pour Edmund HUSSERL, le point de bascule s’est opéré avec GALILÉE ( Galileo GALILEI) : à la nature idéalisée est alors substituée la nature préscientifique . Avec ce basculement, la nature n’est plus perçue comme matière. Cette négation se fait, selon Alphonse DE CANDOLLE , au profit d’une définition de la nature comme étant un ensemble de phénomènes connus ou inconnus. Cette position se retrouve notamment dans la théorie d’Emmanuel KANT .

L’acception réductrice de la nature aux phénomènes qu’elle peut générer a été dépassée par la recherche d’une définition plus pragmatique, intervenue contre l’industrialisation et les dégâts, dans un premier temps, présumés puis réellement constatés à la nature . Il s’agit en réalité d’un changement de perspective dû au bouleversement apparent de l’équilibre des forces. La nature apparaissait toute puissante et aujourd’hui elle doit être protégée, comme le souligne Michel SERRE lorsqu’il affirme que « victorieuse jadis, voici la Terre victime » , ou Philippe SAINT MARC pour qui « il ne s’agit plus de protéger l’homme contre la Nature mais la Nature comme l’homme, contre le débordement de puissance et de vitalité de l’espèce humaine, afin qu’elle ne vienne pas, en détruisant la Nature, à se détruire elle-même » . Survient alors l’image de la nature « qu’il faudrait moins modifier que sauver de la démesure, de l’activisme productif » . Cette vision induit une définition contemporaine de la nature principalement basée sur la notion d’écosystème et permettant une protection adaptée. Ainsi, selon François RAMADE, on peut identifier la nature comme étant « l’ensemble des systèmes écologiques et des habitats continentaux ou marins peu altérés par l’homme » . Cette vision pose évidemment le délicat problème de la place et du rôle de l’homme par rapport à la nature.

La réponse à l’analyse de Le Corbusier précitée, formulée par Pierre WINTER lors du congrès d’architecture moderne d’Athènes de 1933 , laisse transparaître en filigrane la complexité de ces rapports entre l’homme et la nature qui perdure aujourd’hui. Cette dernière trouve sa source dans la double ambition de l’Homme qui cherche tout à la fois à s’approprier la nature et à la préserver. Dans cette perspective, les concepts d’urbanisme et de protection de la nature peuvent apparaître antinomiques notamment du fait de la consommation d’espaces engendrée par l’urbanisation. Ce phénomène n’est pas uniquement due au développement de la population urbaine, il tient aussi, notamment, à la tendance au changement d’affectation des espaces ruraux née d’un certain déclin de l’agriculture.

Le principe d’intégration apporte une solution à cette apparente opposition. Ce principe, d’essence internationale et communautaire, doit permettre de prendre en considération les préoccupations écologiques dans des ensembles normatifs dont ce n’est pas la vocation première. Le droit de l’urbanisme a, depuis de nombreuses années, intégré de manière progressive et continue les problématiques écologiques en affirmant notamment l’existence d’un patrimoine commun de la nation et en ayant recours, avec parcimonie, à la notion de développement durable.

Face à la relative faiblesse de l’effectivité de ces concepts ou principes, le droit de l’urbanisme tente d’apporter une solution concrète en recourant à la technique du zonage. Cette méthode ancienne désigne le recours au découpage d’un territoire en plusieurs zones auxquelles sont affectées différents usages . L’intensification de cette pratique, née de la « juridicisation de l’espace » , a été largement marquée par des nécessités liées à l’urbanisation mais aussi par la prise de conscience de la dégradation de la nature du fait de l’action de l’Homme .

Table des matières

INTRODUCTION
Section 1 – Le principe d’intégration des préoccupations écologiques en droit de l’urbanisme : une effectivité nuancée
Section 2 – La technique juridique du zonage écologique : instrument privilégié de l’intégration en droit de l’urbanisme
– PREMIÈRE PARTIE – L’INTÉGRATION PAR « GÉNÉRATION » DE ZONAGES ÉCOLOGIQUES EN DROIT DE L’URBANISME : UNE DÉCENTRALISATION LACUNAIRE
– CHAPITRE PREMIER – UNE DÉCENTRALISATION INCOMPLÈTE : L’ABSENCE DE TRANSFERT DE COMPÉTENCES POUR LA PROTECTION DE CERTAINS TERRITOIRES
Section 1 – La planification réglementaire imposée aux collectivités territoriales : les zonages écologiques de montagne et du littoral
Section 2 – La planification stratégique mise en place par l’administration centrale : les zonages écologiques de protection d’espaces soumis à des enjeux particuliers
– CHAPITRE SECOND – UNE DÉCENTRALISATION IMPARFAITE : DE LA DÉPENDANCE DU DÉPARTEMENT À L’ENCADREMENT DE LA COMMUNE
Section 1 – Une décentralisation départementale « sous dépendance » en matière de protection des espaces naturels sensibles
Section 2 – Une décentralisation encadrée au détriment des communes
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE
– SECONDE PARTIE – L’INTÉGRATION PAR « INCORPORATION » DE ZONAGES ÉCOLOGIQUES EN DROIT DE L’URBANISME : UNE HIÉRARCHISATION COMPLEXE DES NORMES
– CHAPITRE PREMIER – UNE HIÉRARCHISATION ATYPIQUE DES ZONAGES ÉCOLOGIQUES EN DROIT DE L’URBANISME
Section 1 – L’identification d’une hiérarchie entre de nombreux zonages écologiques et le droit de l’urbanisme
Section 2 – La caractérisation d’une hiérarchie matérielle basée sur une formation du droit par degrés
– CHAPITRE SECOND – UNE LÉGALITÉ MULTIFORME DES NORMES DOMINÉE PAR LA DÉTERMINATION DE LEUR SUBSTANCE
Section 1 – L’établissement d’un rapport entre les différentes composantes de la hiérarchie en droit de l’urbanisme : une graduation complexe du lien normatif
Section 2 – L’effectivité du rapport normatif entre les différentes normes de la hiérarchie : des variations dépendantes de l’État et de l’étendue du lien normatif
– CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE –
– CONCLUSION GÉNÉRALE

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