La création d’élevages dans le tissu urbain, ainsi que le voisinage de la ville avec des animaux de ferme, sont des enjeux pour le développement durable des agglomérations. Aujourd’hui, les citadins sont de plus en plus à la recherche de contacts avec la nature, mais aussi en quête de produits alimentaires sains et dont ils connaissent la traçabilité. Cependant, l’élevage, ainsi qu’une majeure partie de la production agricole, se sont relocalisés dans des zones éloignées de la ville, dans les espaces périurbains, rurbains et ruraux. En effet, ce type d’activité et d’exploitations sont très gourmandes en ressources foncières et demandent de pouvoir acquérir des terres, ce qui est très difficile en ville, notamment à cause de la pression et spéculation dont le foncier fait l’objet.
Pourtant, depuis quelques années, il est possible d’observer une réapparition de l’agriculture urbaine dans les pays industrialisés. Le retour de cette activité dans le tissu urbain illustre un besoin de nature, mais aussi de reconnexion avec le monde rural agricole. Ainsi, l’élevage urbain s’impose peu à peu comme un enjeu alimentaire, environnemental, mais aussi social crucial pour la ville. En effet, cette reconnexion avec la nature tant désirée par les citadins passe aussi par la réintroduction d’animaux en ville et l’élevage. Cependant, la ville apparaît être un milieu défavorable à ce type d’activité. En effet, elle se caractérise comme un espace très artificialisé, qui laisse peu de place à la végétation, mais est aussi densément peuplé ce qui pose des problèmes de place, mais aussi de gestion durable de l’environnement urbain.
Ainsi, les porteurs de ce type de projet doivent prendre en compte de nombreux paramètres notamment celui que la ville est hostile à la fois aux activités agricoles, mais aussi aux animaux. De plus, les éleveurs urbains doivent prouver, aux élus et à tous les dirigeants de la ville, que leur projet peut avoir des impacts économiques et sociaux positifs. En effet, si l’élevage et l’animal sont tolérés dans la ville ils doivent pouvoir contribuer à son développement et à son entretien. Ainsi, aujourd’hui les quelques initiatives d’élevage recensées dans la région parisienne font la promotion de l’élevage en ville en déclarant cette activité bénéfique pour l’environnement. En effet, elle favoriserait le développement de services écosystémique et permettrait un entretien écologique des espaces verts. En outre, l’animal serait un formidable médiateur entre la nature et les citadins.
Malgré les multiples avantages que pourrait apporter l’élevage urbain, il reste le parent pauvre de ce développement de l’agriculture en ville. Il est à ce titre représentatif du manque d’intérêt des politiques quant à la présence d’animaux en zone intra-urbaine (in Nathalie Blanc, 2011). Cependant depuis quelques années l’animal est devenu un objet d’étude à part entière dans le domaine des sciences humaines. Les travaux de la géographe Nathalie Blanc ont notamment permis de mieux comprendre la place qu’occuper certains animaux dans l’espace des citadins et a ainsi ouvert la porte à une réflexion autour de l’intégration de l’animal dans la ville.
Ce mémoire, se situe dans le cadre conceptuel de la « Nature en ville », il tente d’esquisser le portrait d’une activité encore peu étudiée et de comprendre comment elle trouve sa place dans nos villes occidentales. Il s’agira donc d’analyser comment l’élevage urbain de petits ruminants, tels que les ovins et les caprins, s’est intégré dans le tissu urbain. Il sera aussi question d’élaborer un élément de réflexion à partir de l’analyse de trois initiatives dans le nord-est parisien et d’une entreprise d’éco-pâturage.
Ainsi, trois visites ont été faites dans le Nord-Est Parisien à Saint-Denis chez l’association Clinamen, Bagnolet chez Sors de Terre et dans la Ferme de Paris situé dans le parc de Vincennes dans le 12ème arrondissement de Paris. Le quatrième cas d’étude, s’intéresse à l’entreprise Ecomouton, et n’a pas fait l’objet de terrain, mais, dans entretien téléphonique et d’une analyse de son site internet.
Les visites effectuées se situaient dans une vaste zone de rénovation urbaine qui fait aujourd’hui l’objet de plan de requalification économique et sociale. Nous essaierons, tout d’abord, de contextualiser l’élevage urbain dans le cadre de la nature en ville. Nous insisterons notamment sur le manque d’articles scientifiques portant sur le sujet et les usages plus ou moins différenciés entre le Nord et le Sud, en nous appuyant à la foi sir des articles, mais aussi sites internet et coupures de presse. Puis nous justifierons notre choix d’étude et proposerons une problématique ainsi que des hypothèses. La deuxième partie vise à exposer l’unité mais aussi la grande diversité des terrains étudiés tout en essayant de comprendre comment chaque initiative a pu et su s’insérer dans le tissu urbain. Elle fera office de typologie en essayant de saisir la spécificité de chacun des terrains effectués. Nous nous appuierons essentiellement sur des interviews, mais aussi sur l’analyse de sites internet des différentes initiatives.
Afin de comprendre les spécificités de l’élevage en ville, il est impératif d’analyser le contexte dans lequel s’insère cette activité agricole. En effet, le développement d’initiatives d’agriculture dans le tissu intra-urbain n’est pas une évidence dans les pays du Nord, elle s’explique notamment par les rapports ambigus qu’entretiennent la ville et la nature.
Alors que plus de 50 % de la population mondiale vit en milieu urbain, les désirs de nature des citadins n’ont jamais été aussi forts. Cette nature fantasmée, apparait dans l’imaginaire urbain, comme l’illustration de la liberté et de la beauté (in Bourdeau-Lepage, Torre 2013) en opposition avec une ville policée, polluée et minée par les tensions sociales. De plus, la prise de conscience des problèmes environnementaux actuels n’ont fait qu’exacerber ce sentiment et ont motivé la mise ne place de politiques urbaines visant à bâtir la « ville durable ». Cette reconnexion avec la nature répond à une demande sociale. En effet, au-delà de la fonction paysagère et environnementale, elle permet la création de lieux de loisir mais aussi de pratiques sportives. La nature en ville est aussi une opportunité pour créer des aménités. Elle est une source de bien-être, mais aussi d’inspirations artistiques et spirituelles, comme tendent à le montrer certaines études (Konijnendijk, et al. 2013).
Ainsi, ce besoin de nature s’est toujours satisfait de multiples manières. Pour une partie de la population, majoritairement occidentale, ce désir s’est matérialisé par la création de nombreux espaces verts et la mise en place d’une gestion différenciée. Les cités jardins sont une réponse à la demande de nature. Cette traduction de « Garden city » terme introduit par Sir Ebenezer Howard dans son ouvrage To-morrow: a peaceful path to real reform, désigne une ville aux dimensions limitées construite dans un cadre rural et qui vise à offrir une alternative aux grandes villes et aux banlieues industrielles. En France, le concept de « cité-jardin » est repris par HenriSellier qui entre 1919 et 1939 était à la fois ministre et maire de Suresnes. Dans le contexte hexagonal, les cités jardins désignent des quartiers nouveaux qui sont bâtis à des fins sociales dans des communes de l’ancien département de la Seine. Sellier a pour idée de construire des villes moyennes afin de décongestionner la capitale. Ainsi dans les années 30 pas moins de 15 cités jardins sont construites offrant plus 20 000 logements. Les plus importantes se situent à Suresnes, Plessis Robinson, Stains, Drancy et Pré-Saint-Gervais. Il s’agit de villes vertes qui favorisent la gestion différenciée de leurs espaces publics.
D’autres initiatives voient aussi le jour tels les jardins partagés, ouvriers ou communautaires. Elles s’orientent vers l’agriculture et tentent de lui redonner une place dans la ville.
En effet, l’agriculture urbaine n’est pas non plus un phénomène récent, elle a toujours plus ou moins existé. Les anciennes ceintures maraîchères illustrent les liens que tissait l’espace urbain avec l’agriculture (in Déalle-Facquez, 2013).
Ainsi, les banlieues ont pendant longtemps servi à nourrir la capitale. Cette agriculture se caractérisait par sa spécialisation dans le maraichage et notamment les cultures de légumes, fruits, fleur, mais surtout vignes (in Poulot-Moreau, Rouyres, 2000). Ainsi dans les années 70 dans la bordure Nord-ouest de l’agglomération parisienne on pouvait compter pas moins de 4800 ha de vergers. Quant à la culture de fleurs, par exemple, elle correspond à une tradition rappelée par les toponymes de certaines banlieues telles l’Hey-les-roses ou Fontenay-auxRoses.
Cependant, beaucoup d’autres productions étaient présentes : champignon, cressons ; mais aussi élevage de volailles, de vaches laitières, d’ovins, de caprins et de chevaux de course, qui permettaient à la ville un approvisionnement en produit frais. (in Phlipponeau, in Veyret, 1957). Cette polyculture des banlieues parisiennes va progressivement disparaître à partie du XXe. (in Poulot-Moreau, Rouyres, 2000).
En effet, peu à peu émergent les principes d’une agriculture productiviste avec la mise en place des principes des ingénieurs agronomes. Ainsi les petites exploitations disparaissent au profit de grandes propriétés terriennes qui préfèrent la spécialisation et la monoculture. C’est ainsi le début d’une crise paysanne, sans précédent, renforcée par le développement de la concurrence avec l’amélioration des transports et notamment des chemins de fer. En effet, ils mettent en place une dissociation spatiale entre les lieux de production agricole et marchés de consommation. Le vignoble francilien va ainsi disparaitre face à la compétitivité des vins du midi. Les produits frais sont aussi très largement menacés et peu à peu le beurre breton et le lait normand s’imposent sur les tables parisiennes. La politique agricole française, va en effet, miser sur une stratégie de « spécialisation régionale», ainsi chaque région va se voir attribuer une production spécifique afin de maximiser les rendements, ce qui a court-circuité une grande partie des petites productions locales (in Poulot, 2011) .
Cependant, les productions maraichères vont continuer à s’étendre afin de répondre aux besoins toujours plus importants du marché parisien (in Philipponeau, in Veyret, 1957). La ville va, néanmoins, s’avérer une menace pour ces banlieues agricoles. En effet, la pression foncière devient de plus en plus forte au fur à mesure que la ville s’étend et cette urbanisation entraine des transformations des sols qui deviennent incompatibles avec l’agriculture. Ainsi, les liens vivriers entre habitants et agriculteurs franciliens vont continuer à se distendre. La mise en place de la politique agricole commune dans les années 60 va achever le modèle traditionnel agricole francilien. (in Poulot, 2011) Le productivisme devient le maître mot et la céréaliculture s’impose dans toute la région. Ainsi l’association traditionnelle élevage/culture disparait ce qui provoque une baisse des troupeaux ovins et caprins. C’est une véritable révolution agricole qui donne naissance à l’agri-business.
Ainsi les relations capitale-banlieue parisienne illustrent bien les rapports ambigus entre ville et nature. Depuis toujours désirée, elle a pourtant sans cesse été relocalisée loin des villes. En effet, l’étalement urbain et la transformation des milieux qu’impose la ville lui sont favorables dans le cadre de la concurrence foncière. De plus, le passage d’agriculture paysanne à l’agri-business mondial a profondément modifié les modes de production alimentaire qui demandent beaucoup d’espace et l’utilisation d’intrants chimiques incompatibles avec la ville.
Pour faire face à cette nouvelle crise du monde paysan, l’Etat met en place des mesures de conservation, mais aussi de patrimonialisation de l’agriculture francilienne dans les zones urbaines dès les années 70. De petits espaces de quelques dizaines d’hectares sont ainsi aménagés avec l’aide de la SAFER d’Ile-de France et l’Agence des espaces verts afin de mettre en œuvre la politique régionale en matière d’environnement (in Poulot, Rouyvres, 2000). Ils se situent dans la ceinture verte près des villes nouvelles à proximité desquelles il est plus facile d’organiser la préservation d’espaces agricoles, ou dans les secteurs de la petite couronne parisienne ayant des traditions maraichères. (in Poulot, Rouyvres, 2000). Le monde paysan francilien est ainsi maintenu artificiellement par les politiques agricoles. Nous pouvons ainsi parler d’une muséification du monde paysan. En effet, ces petites parcelles seraient bien incapables d’être viables économiquement, il a donc fallu penser à une diversification des activités afin qu’elle puisse arriver à un certain équilibre financier, tout en s’intégrant au tissu urbain. (in Poulot, 2011) .
Le cas de Périgny-sur-Yerre est un exemple intéressant de maintien d’activité agricole, mais aussi de diversification d’activité. La ville a su associer agriculture, mais aussi activités de loisir en créant un complexe agro-touristique (in, Poulot, Rouyvres, 2000). Située dans le Val-deMarne, il s’agit d’un ancien centre maraîcher inclus dans la Zone naturelle d’équilibre du plateau de la Brie créée en 1975. Le maire de la commune, avec l’accord des agriculteurs, souhaitait conserver un espace agricole. Ainsi, lors de la cessation d’activité d’une grande exploitation, la SAFER aide à la mise en place du projet de la commune en achetant 90 ha, mais aussi 6 espaces verts et chemins. De plus, Périgny-sur-Yerre obtient une subvention du ministère de l’Agriculture afin de restructurer et aménager ces terres (in, Poulot, Rouyvres, 2000). Ainsi 12 lots de 5 et 7 ha ont été créés et vendues à des maraichers au prix de 9F soir 1, 37 € le m2 . Le lotissement créé doit son succès au prix raisonnable des parcelles, mais aussi à son intégration paysagère (in, Poulot, Rouyvres, 2000). Les maisons maraichères sont ainsi regroupées en hameau et un chemin piéton, bordé d’arbuste bas, circule entre les parcelles (in, Poulot, Rouyvres, 2000). La création d’un parc de 4 ha et la construction d’une Maison de l’Environnement, cofinancées par la Région et le ministère de l’Environnement, permettent d’accueillir des classes vertes et le développement d’activités touristiques. Cette mesure, qui a rencontré un grand succès, a ainsi permis le maintien d’une génération d’agriculteur. Les contraintes d’usage du sol sur ces parcelles sont très strictes mais garantissent ainsi une stabilité foncière. Ainsi, la SAFER a eu un droit de regard sur les ventes pendant 15 ans, et les propriétaires se sont engagés à ne pas vendre à des fins non agricoles.
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