Nous allons présenter tout au long de cette thèse des théories sur la propagation du rayonnement cosmique. Mais commençons par revoir ce que sont les rayons cosmiques au travers d’un bref historique et d’une discussion sur les enjeux fondamentaux de cette recherche. Rappelons que l’étude du rayonnement cosmique appartient à un domaine parfois appelé astroparticules. C’est un domaine nouveau de la physique développé à partir de la moitié du XXème siècle. C’est une discipline regroupant astrophysique, cosmologie et physique des particules, elle englobe donc beaucoup de connaissances très récentes en physique. En effet la cosmologie a pu voir le jour suite aux travaux d’Einstein sur la relativité générale au cours des années 1900. La physique des particules elle, a connu un réel boom à partir des années 1950. Les toutes premières mesures du rayonnement cosmique ont été effectuées par Victor Hess en 1912 (Nobel Foundation 1936). À l’origine il ne cherchait pas à détecter un quelconque rayonnement provenant de l’espace mais il s’intéressait simplement aux mesures d’ionisation de l’atmosphère en fonction de l’altitude . cette découverte lui vaut le prix Nobel de physique en 1936. Charles Thomson avait déjà montré en 1900 que l’atmosphère était ionisée mais ne savait pas décrire ce phénomène. L’évolution de l’ionisation en fonction de l’atmosphère observée par Hess en 1912 le conduisit à postuler l’existence d’un rayonnement d’origine cosmique, mais il ne se prononça pas sur sa nature. Plus tard, Robert Millikan montrera qu’il s’agit de particules chargées. Il existe également dans l’espace un rayonnement électromagnétique dans le domaine des rayons γ souvent associé au rayonnement cosmique. Il s’agit bien d’objets ayant un bout d’histoire commun avec les rayons cosmiques mais ce ne sont pas les rayons cosmiques à proprement parler.
Depuis, leur découverte, de nombreuses expériences se sont succédées pour mesurer la composition et le flux du rayonnement cosmique en fonction de l’énergie. Au total, on mesure dans le rayonnement cosmique environ 86% de protons, 11% d’hélium, le reste est constitué d’électrons, de noyaux plus lourds et d’une petite quantité d’anti-matière. On sépare les rayons cosmiques en deux groupes : les primaires sont les cosmiques directement accélérés dans les zones appelées sources. Les secondaires sont produits par l’interaction des primaires avec le milieu interstellaire. Ainsi, les protons, l’hélium, le carbone, l’oxygène et le fer sont produits dans les étoiles et sont connus pour être des primaires. Le groupe lithium-béryllium bore n’est pas abondant dans la nucléosynthèse stellaire, on considère que ces trois espèces sont des secondaires, sinon ils apparaissent comme secondaires au sens propre. Une caractéristique importante des rayons cosmiques est leur spectre en énergie, ce dernier s’étend sur plusieurs décades en énergie , depuis le MeV jusqu’à 1021 eV. Notons que les spectres sont souvent représentés en unité d’énergie cinétique par nucléon. En effet dans cette unité le flux est quasiment déterminé par une loi de puissance, cependant elle présente des petites brisures de pente. Celles ci sont très faibles et au premier ordre on pourrait considérer qu’un phénomène s’étendant sur une telle gamme d’énergies décrit par une simple loi de puissance peut se modéliser facilement, mais nous allons voir qu’il présente en fait de nombreux problèmes. Ce spectre peut être divisé en six zones (Dorman 2006) :
– zone 0 : 10²¹ eV/nucléon ≥ Ecin/nuc ≥ 10¹⁹ eV/nucléon : Au-delà de ces énergies, la théorie la plus acceptée est une atténuation du rayonnement cosmique par effet GZK (pour GreisenZatsepin-Kuzmin en référence à leur découvreur) : les cosmiques interagissent avec les photons du fond diffus cosmologique baignant l’Univers et sont ralentis ou convertis. Dans cette zone les rayons cosmiques sont vraisemblablement produits au-delà de la galaxie, on ne connaît pas de processus galactique suffisamment énergétique pour modéliser cette zone.
– zone I : 10¹⁹ eV/nucléon ≥ Ecin/nuc ≥ 3×10⁶ GeV/nucléon . La provenance des rayons cosmiques de cette zone est assez discutée, on ne sait pas s’ils proviennent de la galaxie ou d’au-delà. La transition de la zone 0 vers la zone I s’appelle la cheville, elle n’est pas représentée sur la figure mais elle est difficile à expliquer car la brisure de pente associée est convexe.
– zone II : 10⁶ GeV/nucléon ≥ Ecin/nuc ≥ 10² GeV/nucléon . Les rayons cosmiques sont produits dans la galaxie, très probablement dans les supernovæ. La transition de la zone I vers II s’appelle le genou, elle n’est pas encore expliquée, on ne sait pas s’il s’agit d’un changement d’accélérateur de rayons cosmiques, d’une brisure de pente dans la physique de l’accélération du rayonnement cosmique, d’une dominance d’éléments plus lourds que les protons dans le spectre ou encore de sources extra galactiques.
– zone III : 10² GeV/nucléon ≥ Ecin/nuc ≥ 30 MeV/nucléon . On trouve des rayons cosmiques d’origine galactique. La transition de la zone II vers III correspond au passage où l’effet du soleil n’a presque plus d’influence sur le rayonnement cosmique.
– zone IV : 30 MeV/nucléon ≥ Ecin/nuc ≥ 1 MeV/nucléon. L’origine des rayons cosmiques peut être multiple et n’est pas claire : accélération via des éjections solaires, par onde de choc à proximité de la magnétosphère. La transition de la zone III vers IV correspond au minimum du spectre en énergie cinétique par nucléons des rayons cosmiques.
– zone V : Ecin/nuc ≤ 1 MeV/nucléon . La limite entre IV et V est artificielle et dépend beaucoup de l’activité solaire, les processus d’accélération dans cette zone peuvent être nombreux et assez complexes, ils dépendent des champs magnétiques stellaires et des ondes de chocs interplanétaires.
La matière noire est un terme générique pour décrire un des problèmes modernes de l’astrophysique. En 1930, alors que la physique est en pleine effervescence avec l’apparition de la mécanique quantique et de la relativité générale, l’astrophysique planche sur des problèmes en apparence plus classiques. À l’époque on vient juste de confirmer l’existence des galaxies. Aussi des chercheurs essaient d’évaluer leur masse, et plus particulièrement la masse des amas de galaxie. Le théorème du iriel est un théorème mathématique permettant de relier l’énergie gravitationnelle d’un objet, reliée à sa masse, à sa vitesse. Ainsi en estimant la masse d’une galaxie grâce à la connaissance théorique de tous les objets qu’elle contient, on peut estimer les vitesses relatives des galaxies les unes par rapport aux autres. En parallèle, l’effet Doppler, qui est un décalage de la longueur d’onde des photons émis par des objets en mouvement permet de mesurer la vitesse de ces galaxies. Or Fritz Zwicky, le premier a avoir essayé de comparer pour un même amas de galaxies (l’amas des sept galaxies de Coma), la vitesse mesurée par effet Doppler et la vitesse estimée par le théorème du viriel, a observé qu’il manquait dans ces galaxies a peu près 400 fois la masse estimée pour faire correspondre les deux mesures de vitesse (Zwicky 1933). La précision des mesures de l’époque et le caractère du personnage n’ont pas séduit la communauté scientifique de l’époque et la mesure n’a pas eu d’impact, du moins pour quelques années. Trois ans plus tard Sinclair Smith refait la même mesure dans l’amas de la Vierge et retrouve un résultat similaire (Smith 1936), qui a été lui aussi peu perçu par ses pairs. Il faudra attendre une trentaine d’années plus tard, pour qu’en 1976 Vera Rubin, avec l’évolution des technologies, puisse faire cette mesure au sein d’une seule galaxie : NGC 3114 (Rubin et al. 1976). Elle mesure alors la vitesse de rotation d’une galaxie en fonction de la distance jusqu’à son centre. Le résultat est beaucoup plus marquant, la courbe de vitesse de rotation obtenue n’est pas du tout celle qui est dérivée simplement en construisant la galaxie avec toute la matière connue à l’époque .
Depuis le problème est considéré très sérieusement et répond au nom de matière noire. Beaucoup d’observations ont mis en évidence l’existence de cette matière noire et des effets qu’elle peut avoir sur son environnement astrophysique et cosmologique. Aujourd’hui principalement deux théories s’opposent pour expliquer ces problèmes :
– La matière noire est un nouveau type de matière (qui n’est pas de la matière connue) : si on ajoute cette matière à la matière connue dans la galaxie, on retrouve les bonnes courbes de rotation .
– La matière noire est une modification des lois de la gravitation aux petites accélérations : c’est la MOND pour « modified Newton Dynamics » (Sanders & McGaugh 2002). Dans cette formulation de la gravitation, le terme d’accélération dans la loi de Newton est transformé pour être modifié aux « faibles » accélérations et conservé aux « fortes » accélérations, constituant la physique Newtonienne. Les mots fort et faible sont ici séparés par une accélération de référence qui est de
a₀ = 1.2 × 10⁻¹⁰ m · s⁻².
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