Outils d’analyse d’images et recalage d’individus pour l’étude de la morphogenèse animale et végétale

La biologie développementale est un thème des sciences du vivant qui  regroupel’ensemble des études visant à répondre à la question « Comment une simple cellule-œuf peut-elle évoluer et former un organisme complexe ? ». Dans ce but, les recherches sur l’embryogenèse, c’est-à-dire les processus de croissance et de développement des organismes multi-cellulaires, cherchent à éclaircir le lien entre la génétique et la variation phénotypique au niveau des individus, des populations et des espèces.

L’apparition de la microscopie et son utilisation en biologie marquent un tournant définitif dans l’approche de cette science, avec la découverte des cellules attribuée à Robert Hooke au cours du XVIIème siècle. Aujourd’hui, l’imagerie s’impose comme le principal moyen d’investigation pour la compréhension de l’embryogenèse [Megason 2007], dont les processus principalement étudiés sont :
— la différenciation cellulaire, processus permettant aux cellules de se spécialiser bien qu’ayant le même patrimoine génétique ;
— le contrôle génétique de la croissance cellulaire ;
— la morphogenèse, processus de développement des structures d’un organisme au cours de son embryogenèse.

Des organismes modèles

Définition
En biologie, un organisme modèle est une espèce étudiée de manière approfondie afin de comprendre un éventail de phénomènes biologiques, dans l’espoir que les résultats obtenus par l’expérimentation sur ce modèle soient applicables à d’autres organismes potentiellement plus complexes que le modèle [Bolker 1995, Ankeny 2011]. Le recours à des organismes modèles est justifié en raison, d’une part de l’universalité de la molécule d’ADN, d’autre part de l’unité cellulaire du vivant et de son unicité structurale et fonctionnelle. Aussi, certaines espèces ont été retenues car elles partagent plusieurs caractéristiques intéressantes du point vue génétique, expérimental et économique :
— génome bien caractérisé, souvent de faible taille, outils de biologie moléculaire disponibles pour son séquençage et sa manipulation à l’aide de diverses techniques;
— temps de génération relativement faible, descendance nombreuse ;
— facilité d’élevage ou de culture, faible encombrement.
Il convient de distinguer l’animal du végétal en biologie développementale. Chez l’animal, l’organogenèse s’établit au cours de l’embryogenèse et dès lors, le développement post-embryonnaire de l’organisme poursuit le plan précédemment établi, sans formation de nouvel organe excepté chez les animaux possédant un stade de larve dans leur développement. À l’inverse, la plante maintient tout au long de son développement sa capacité de créer de nouveaux organes à l’aide de quelques milliers de cellules souches formant des structures microscopiques, appelées méristèmes. Cette faculté d’organogenèse continue au cours de leur vie distingue les plantes des animaux.

L’ascidie comme organisme modèle chez l’animal 

« … at an extremely remote period a group of animals existed, resembling in many respects the larvae of our present Ascidians, which diverged into two great branches–the one retrograding in development and producing the present class of Ascidians, the other rising to the crown and summit of the animal kingdom by giving birth to the Vertebrata. » [Darwin 1888]

Les ascidies constituent une classe d’animaux marins invertébrés appartenant au sous-embranchement des tuniciers qui sont voisins des vertébrés. On trouve ces animaux dans tous les océans du monde, et en particulier dans les eaux peu profondes des littoraux où elles se fixent sur les roches, les fonds littoraux ou encore les coques de bateaux. À l’âge adulte, les ascidies sont des animaux benthiques filtreurs qui se nourrissent des nutriments contenus dans l’eau qui les traverse. Le développement des embryons d’ascidies est rapide et stéréotypé, avec des lignées cellulaires invariantes et une symétrie bilatérale du stade d’œuf jusqu’au stade de têtard (ou larve) [Lemaire 2009]. Toutes les espèces d’ascidies étudiées présentent un développement embryonnaire quasiment identique. Ce n’est qu’à l’âge adulte que des métamorphoses complexes résultent en une grande variété de formes selon les espèces d’ascidies .

Le développement embryonnaire se décompose en plusieurs grandes périodes (segmentation, prégastrulation, gastrulation, neurulation, organogenèse). Jusqu’au stade de gastrulation, au cours duquel on assiste à l’invagination de l’embryon et à la mise en place du tube digestif, les stades de développement d’un embryon d’ascidie sont déterminés par le nombre de cellules le composant. Puis ils sont définis par les événements majeurs de leur développement que sont la gastrulation, la neurulation, la croissance de la queue, jusqu’à ce que l’embryon atteigne le stade de larve éclose.

L’ascidie est un un modèle privilégié pour le déchiffrage et l’analyse des réseaux complexes de régulation des gènes du développement [Imai 2006] en raison de sa simplicité, son invariance, son faible nombre de cellules et la détermination rapide de leur destinée. Les génomes de plusieurs espèces d’ascidies ont été séquencés et sont accessibles via le portail ANISEED, permettant de caractériser des différences génomiques intra- et inter-espèces [Dehal 2002, Kim 2007] et d’analyser leurs répercussions sur les systèmes de régulation [Stolfi 2014]. La taille et la transparence de l’ascidie (en particulier Phallusia mammillata) rendent possible une imagerie à haute résolution spatiale et temporelle permettant d’observer à l’échelle de la cellule la croissance de l’embryon, avec la possibilité de segmenter et d’extraire les lignées cellulaires [Guignard 2015].

Arabidopsis comme organisme modèle chez la plante

Dans le règne végétal, Arabidopsis thaliana appartient à la famille des Brassicacées (sous-groupe des dicotylédones). Largement répandue à travers le monde et qualifiée de « mauvaise herbe » par tout un chacun, il s’agit d’une plante annuelle mesurant 20 à 25 cm de hauteur à l’âge adulte et ornée de fleurs blanches d’un diamètre de 3 mm .

L’histoire commune entre Arabidopsis thaliana et les biologistes date du début du XXème siècle. En 1943, Friedrich Laibach suggère pour la première fois l’utilisation de l’arabidopsis comme un organisme modèle [Laibach 1943]. Finalement, c’est dans les années 1990 que l’arabidopsis s’impose comme telle. Aujourd’hui, elle revêt une importance comparable à celle des drosophiles ou des souris en biologie animale, avec un nombre considérable de publications scientifiques faisant mention du terme « Arabidopsis » dans leur titre, leur résumé ou leurs mots-clés (plus de 50000 publications au cours de ces 50 dernières années) [Provart 2016]. Aujourd’hui, l’arabidopsis est largement utilisée pour la recherche génétique et développementale. Il s’agit de la première plante dont le génome a été complètement séquencé. L’intérêt pour l’arabidopsis s’explique par :

— la taille de son génome, parmi les plus petits du monde végétal ;
— son cycle de vie très court (environ 2 mois) ;
— sa petite taille idéale pour sa culture en laboratoire ;
— l’absence d’enjeu agronomique, ce qui la préserve de toute tentative d’appropriation industrielle et facilite le partage d’information entre laboratoires.

En biologie développementale, l’imagerie se décline en deux types d’observations. Les observations de type morphologique permettent d’accéder à la forme des tissus cellulaires. Les observations de type fonctionnel ont pour but d’étudier la physiologie du tissu (mécanique, physique et biochimie d’un organisme). Dans ce manuscrit, nous considérerons exclusivement des observations de type morphologique sur des tissus vivants. Dans la majorité des cas, les structures observées sont les noyaux et les membranes des cellules. Imager les noyaux permet de réaliser une détection et un suivi du déplacement des cellules, mais n’offre pas une information précise sur la forme des cellules, alors que l’imagerie des membranes permet d’accéder à la morphologie des cellules. Dans de nombreux cas, l’imagerie en 3D+t de ces structures est une tâche complexe : tissus opaques, absorption et dispersion de la lumière, surexposition de l’organisme à la lumière entraînant une perturbation de son développement… Les techniques d’imagerie et les protocoles d’acquisition sont constamment revus afin d’être moins invasifs et plus précis. Lorsqu’il est possible de marquer les structures avec des fluorophores, la microscopie par fluorescence s’impose comme un moyen efficace d’imagerie dans le cadre d’études sur la morphogenèse par le biais de la microscopie confocale et la microscopie bi-photon [Keller 2013] .

Les avancées en imagerie cellulaire in vivo non-invasive rendant possible la quantification des activités cellulaires sont décrites dans [Liu 2015]. La suite de cette section présente brièvement les techniques d’imagerie et de marquage ayant permis d’acquérir les données sur lesquelles je me suis appuyé au cours de ma thèse.

Table des matières

1 Avant-propos
2 Introduction générale
2.1 Biologie développementale
2.1.1 Définition
2.1.2 Des organismes modèles
2.2 Imagerie
2.2.1 Microscopie par fluorescence
2.2.2 Marquage des structures
2.3 Analyse d’images
2.3.1 Pré-traitements
2.3.2 Détection et segmentation des noyaux et des cellules
2.3.3 Lignées cellulaires
2.3.4 Quantification de l’expression des gènes
2.4 Plan de la thèse
3 Comparaison de segmentations
3.1 Motivations
3.2 Cas de figure
3.3 Mesure de recouvrement de régions
3.3.1 Taux d’inclusion de l’érodé
3.3.2 Relation avec des indices symétriques
3.4 Matrices d’intersections de régions labellisées
3.5 Association des labels .
3.6 Expériences
3.6.1 Données de test
3.6.2 Résultats
3.7 Conclusion
4 Segmentation de membranes cellulaires
4.1 Introduction
4.2 Fonction de planéité
4.2.1 Introduction
4.2.2 Modèle planaire
4.2.3 Fonction de réponse
4.3 Binarisation des membranes
4.3.1 Extraction des plans centraux
4.3.2 Inhomogénéité de l’intensité des membranes
4.3.3 Fonction de seuillage adaptatif
4.3.4 Histogrammes axiaux
4.3.5 Seuils axiaux
4.4 Reconstruction d’une image d’intensité par vote de tenseurs
4.4.1 Introduction
4.4.2 Les votes de tenseurs
4.5 Segmentation des cellules
4.5.1 Détection de graines
4.5.2 Ligne de partage des eaux
4.6 Expériences et résultats
4.6.1 Données
4.6.2 Évaluation de la binarisation des membranes .
4.6.3 Évaluation du pré-traitement
4.6.4 Saillance membranaire
4.7 Conclusions et perspectives
5 Conclusion

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