A Grasse, l’industrie de la parfumerie connaît ses débuts au XIVème siècle. Diverses plantes aromatiques sauvages telles que le lentisque, le myrte et la lavande furent à l’origine des premières activités destinées à parfumer les cuirs, donnant naissance à une profession spécifique : les Maîtres Gantiers et Parfumeurs [1]. Il faudra quatre siècles et une révolution industrielle pour faire évoluer cet artisanat vers une intensification des cultures de plantes à parfums et l’ouverture des marchés internationaux. Sous un remarquable micro-climat, la rose (Rosa centifolia), le jasmin (Jasmin grandiflorum), la tubéreuse (Polianthes tuberosa) et la violette (Viola odorata) s’épanouissent et deviennent de véritables symboles de la région. D’autres plantes sont importées : le santal des Indes (Santalum album), l’osmanthus de Chine (Osmanthus fragrans), la vanille (Vanilla planifolia) et l’ylang ylang (Cananga odorata) des îles de l’océan indien, le vétiver (Vetiver zizanoide), et le patchouli d’Indonésie (Pogostemon cablin Benth), la fève tonka d’Amazonie (Dipteryx odorata) [2] etc. Les fabricants développent des procédés d’extraction aux solvants volatils, élargissant ainsi la palette des matières premières avec de nouvelles notes et propriétés (fixatrices avec par exemple le benjoin, la vanille). L’industrie grassoise prend alors un nouvel essor. La découverte de la synthèse de molécules naturelles comme la coumarine (1868), l’héliotropine (1869), la vanilline (1874), les ionones (1898) [2] permet l’entrée de nouveaux acteurs dans cette filière, et ouvre notamment le champ des possibilités pour les parfumeurs. La transposition de la synthèse à l’échelle industrielle marque la disparition progressive des manufactures. Par ailleurs, la compétition avec des pays à plus bas coûts de main d’œuvre provoque le recul des cultures de plantes à parfums dans le bassin grassois. Grasse reste néanmoins la capitale mondiale de la parfumerie, et le lieu incontournable dans le marché des ingrédients naturels de par son expertise et sa connaissance de ces matières. Une projection vers l’avenir par l’innovation est aujourd’hui une des priorités.
Les fabricants de matières premières se retrouvent confrontés à plusieurs problématiques : la qualité olfactive de leurs produits due à la plante fraîche et aux différentes étapes de production, les risques sur la santé publique par l’utilisation de produits phytosanitaires ou de contaminations, et la falsification intentionnelle de produits nobles (adultération). Aujourd’hui la qualité olfactive d’un extrait est maîtrisée par la connaissance analytique de la fraction volatile grâce à l’utilisation de la chromatographie en phase gazeuse associée à une évaluation olfactive. En revanche les contaminations et les adultérations sont de plus en plus complexes à identifier. La contamination soulève une difficulté technologique majeure : les composés sont souvent présents à l’état de traces dans les extraits et leurs sources peuvent être multiples (traitement phytosanitaires des cultures, contamination des extracteurs par de précédentes campagnes d’extraction de différentes plantes, etc.).
L’adultération peut, elle aussi, être de nature très diverse : le mélange avec des extraits issus d’origines botaniques apparentées, d’origines géographiques différentes, l’ajout volontaire de composés synthétiques ou d’un extrait végétal étranger.
Afin de répondre à ces enjeux majeurs d’authentification, nous avons proposé dans ces travaux une approche originale basée sur l’utilisation de la métabolomique appliquée à la fraction non volatile des absolues. La stratégie choisie est celle d’une approche globale à empreinte métabolomique des extraits. La chromatographie en phase liquide couplée à la spectrométrie de masse haute résolution (UHPLC ToFMS) est un instrument adapté pour cette application, combinant la haute résolution et la vitesse d’analyse [3]. Deux extraits de plantes à parfums symboliques de la parfumerie fine ont été sélectionnés : l’absolue de feuilles de violette de l’espèce Viola odorata et les absolues de pétales de rose des espèces Rosa damascena et Rosa centifolia.
Les extraits naturels utilisés en parfumerie
Des centaines d’ingrédients constituent l’orgue du parfumeur. Une centaine est ensuite sélectionnée pour la composition d’un parfum. Ils sont de plusieurs natures :
1) Naturels : il s’agit d’huiles essentielles, d’extraits aux solvants, d’isolats (fractions d’un extrait ou composés simples isolés) etc.
2) Synthétiques : d’une part les molécules de synthèse nature-identiques (vanilline, coumarine, linalol), d’autre part les molécules artificielles, inexistantes dans la nature (éthyl vanilline, calone, éthyl maltol). Les parfums alcooliques proposés sur le marché contiennent moins de 25 % d’ingrédients naturels, et le plus fréquemment entre 0,5 et 5 % (ce pourcentage était encore de 75 % dans les années 1960) .
Généralités sur les extraits naturels
Le choix des procédés d’extraction des matières premières naturelles est réalisé selon plusieurs critères. Il va dépendre de sa fragilité, mais aussi des propriétés de l’extrait désirées : odeur, texture, densité, rendement, coût, composition chimique, stabilité etc. Les différents types d’extraits naturels utilisés en parfumerie fine sont ici présentés selon leur nature et en se limitant aux procédés industriels traditionnels.
Les huiles essentielles
Les huiles essentielles sont issues de l’extraction de graines, de racines, de rhizomes, de bois, de gommes-résines, de feuilles, de fruits, de fleurs etc. Mises à part celles obtenues par expression à froid, elles sont principalement constituées de composés volatils. Plusieurs procédés d’extraction permettent de les obtenir [5] :
• l’hydrodistillation (matière immergée dans l’eau portée à ébullition)
• l’entraînement à la vapeur (employé pour les matières premières plus fragiles : plante en contact direct avec la vapeur d’eau)
• l’expression à froid (pour les agrumes)
• la distillation sèche (cade, bouleau) .
Les extraits par fluide supercritique
Un fluide à l’état supercritique réunit les propriétés de faible viscosité, de diffusivité d’un gaz et de densité d’un liquide. Il favorise ainsi le transfert de matière et la pénétration simplifiée du fluide dans les pores d’une matière solide. L’ensemble des fluides possèdent un état supercritique, mais seul le CO₂ est actuellement employé en parfumerie. En effet, il est abondant et les conditions supercritiques sont facilement accessibles (31,1 °C, 74 bars). Les matières premières fragiles peuvent alors être traitées sans risque de dénaturation. De plus, il s’agit d’un fluide non toxique, peu coûteux, inerte dans les conditions d’extraction, qui est un bon solubilisant des composés apolaires. Selon les conditions de pression et de température appliquées, l’extrait obtenu se rapprochera soit de la composition d’une huile essentielle, soit de celle d’une concrète (au voisinage du point critique, une élévation de la pression entraîne une augmentation du pouvoir solubilisant du fluide) [6].
Les résinoïdes et concrètes
Les résinoïdes sont issus de l’extraction de matières sèches : racines, feuilles … ; riches en résines. Les concrètes sont issues de matières fraîches : feuilles, fleurs … Concrètes et résinoïdes sont obtenus par un même procédé. Il s’agit d’une macération dans un solvant volatil. L’hexane et les solvants apolaires sont principalement utilisés pour leur apolarité, permettant ainsi d’extraire les composés volatils des différentes familles chimiques : aldéhydes, esters, hydrocarbures, terpènes, acides gras, etc. Le produit final pâteux et dur est obtenu après filtration et évaporation du solvant ou mélange de solvants. Les extraits étudiés dans ces travaux sont obtenus à partir de concrètes. En effet, ces ingrédients étant destinés à la formulation de parfums alcooliques, ils doivent alors être parfaitement solubles dans l’alcool. Ils sont lavés à l’alcool au moyen d’une batteuse. Le mélange est ensuite refroidi (glaçage) pour faire précipiter les composés peu solubles dans l’éthanol, puis filtré. Après évaporation de l’alcool, le produit très visqueux obtenu est appelé absolue [5].
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