Rôle de l’activité dans l’établissement des connexions rétine-cibles CS et CGLd
Rôle de l’activité rétinienne dans la formation de la carte œil spécifique
Les premières expériences réalisées afin d’étudier le rôle de l’activité ont été de bloquer l’activité au moyen de la tétrodotoxine (TTX), qui bloque les canaux sodiques voltagedépendants, empêchant ainsi la formation de potentiels d’action. Le blocage de l’activité par infusion de TTX au niveau du chiasma optique chez le chat entraine des défauts de ségrégation œil spécifique dans le CGLd (Shatz and Stryker, 1988; Sretavan et al., 1988). En revanche, l’infusion de TTX en intraoculaire chez le furet retarde mais ne perturbe pas à terme la ségrégation œil spécifique (Cook et al., 1999). De plus, des injections de TTX en intraoculaire chez le hamster et chez le rat n’induisent pas de défauts de ségrégation oeil spécifique dans le CS : la projection ipsilatérale est plutôt bien restreinte dans le SO (Fawcett et al., 1984; Thompson and Holt, 1989). Ces résultats contradictoires ne permettent donc pas de conclure quant au rôle de l’activité. Cependant, les injections de TTX entrainent une certaine toxicité, ce qui rend les résultats parfois difficiles à interpréter.
Ainsi, d’autres modèles plus ciblés ont été développés afin d’étudier le rôle de l’activité dans le développement des projections rétiniennes. Dans ces modèles, l’activité des CGRs est perturbée suite à la perturbation des vagues rétiniennes spontanées cholinergiques. Cette perturbation a été réalisée de deux manières : par délétion génétique de la sous-unité beta2 du récepteur à l’ACh (modèle beta2 knock-out (KO)) ou par injection intraoculaire d’épibatidine, une drogue capable de bloquer les récepteurs à l’ACh. Ces modèles ne bloquent pas complètement l’activité des CGRs. Chez les beta2KO, un certain pourcentage des CGRs sont inactives et celles qui sont encore actives présentent des vagues d’activité spontanée mais ces vagues sont fortement perturbées (Bansal et al., 2000; Singer et al., 2001; McLaughlin et al., 2003; Sun et al., 2008). Les rétines traitées par l’épibatidine ont 50% de CGRs inactives et 50% de CGRs actives cependant leur activité est augmentée et non corrélée (Cang et al., 2005; Sun et al., 2008).
Ces défauts de ségrégation sont toutefois rectifiés plus tard dans le CGLd comme dans le CS . Concernant le CGLd, les souris adultes beta2KO et les furets adultes traités par épibatidine ont des projections ipsilatérales et controlatérales ségrégées (Rossi et al., 2001; Huberman et al., 2002; Muir-Robinson et al., 2002; Xu et al., 2011). De plus, dans ces modèles, des enregistrements électrophysiologiques ont montré qu’une cellule thalamique reçoit des afférences provenant d’un seul œil comme c’est le cas chez la souris et furet contrôles adultes (Huberman et al., 2002; Grubb et al., 2003). Concernant la rectification du phénotype dans le CS, chez des souris beta2KO adultes, les projections ipsilatérales sont plutôt restreintes au SO même si certaines fibres sont encore présentes dans le SGS , cependant l’organisation en amas de la projection ipsilatérale n’est pas rectifiée. Cette rectification de la ségrégation œil spécifique dans le CGLd et le CS est probablement dûe aux vagues d’activité glutamatergiques III, qui semblent normales chez les beta2KO (McLaughlin et al., 2003).
En revanche, malgré un sauvetage de la ségrégation œil spécifique des projections chez les souris beta2KO adultes, il faut noter que la position et l’extension du territoire ipsilatéral et du territoire controlatéral restent fortement perturbées : au lieu de former un amas restreint plutôt au centre du CGLd, la projection ipsilatérale forme plusieurs amas y compris dans le territoire controlatéral (Muir-Robinson et al., 2002) ; Tableau 2) ; de même des groupes de projections controlatérales sont présents dans le territoire normalement exclusivement ipsilatéral. A P15, il a été montré qu’à échelle individuelle les projections controlatérales provenant de la rétine VT sont normalement raffinées : elles ne présentent pas de branches ectopiques le long de l’axone, ne sont pas plus larges que les contrôles et présentent une complexité et densité similaires aux contrôles (Dhande et al., 2011). Ce résultat suggère que le défaut de carte observé dans le CGLd n’est pas dû à un défaut de raffinement de la projection à proprement dit mais plutôt à un défaut de positionnement de la projection à la bonne ZT.
La perturbation de l’activité pendant la seconde semaine postnatale notamment la perturbation des vagues glutamatergiques III entraine une déségrégation des projections ipsilatérales et controlatérales dans le CGLd ou dans le CS (Chapman, 2000; Demas et al., 2006; Blankenship et al., 2011; Zhang et al., 2011). Dans ces études, seule la projection ipsilatérale est vraiment plastique et envahit le territoire controlatéral par une croissance de novo tandis que les projections controlatérales ne sont pas ou très peu affectées par une perturbation de l’activité après la seconde semaine postnatale. Ces observations suggèrent que la projection ipsilatérale serait plastique plus longtemps que la projection controlatérale.
Ces données dans leur ensemble démontrent l’importance de l’activité dans les CGRs pour le développement de la carte œil spécifique, ségrégation œil spécifique et positionnement du territoire ipsilatéral et controlatéral, selon des périodes critiques spécifiques pour chacun de ces deux processus.
Des expériences d’énucléation ont suggéré l’idée d’une compétition activité-dépendante entre les projections provenant des deux yeux pour occuper un territoire particulier dans le CGLd. Chez différentes espèces (souris, rats, hamsters), le retrait d’un œil entraine une très large expansion dans les cibles des projections de l’œil intact (Godement et al., 1980; Fawcett et al., 1984; Thompson and Holt, 1989). Cette idée de compétition activité-dépendante a vraiment été explorée par des expériences chez le furet, où l’activité a été perturbée seulement dans un œil : la réduction de l’activité dans un seul œil par injection mono-oculaire d’épibatidine (Wong et al., 1995; Penn et al., 1998) ou l’augmentation de l’activité dans un seul œil par injection d’agoniste AMPc (Stellwagen and Shatz, 2002) entrainent une large expansion dans le CGLd des projections provenant de l’œil le plus actif.
Rôle de l’activité dans l’établissement de la rétinotopie
Les souris beta2KO et les souris traitées par épibatidine présentent un défaut de raffinement de la rétinotopie dans le CGLd et dans le CS : les projections voisines occupent une ZT plus large que la normale (Figure 9) et des enregistrements électrophysiologiques montrent que les champs récepteurs sont aussi plus larges que la normale (Grubb et al., 2003; McLaughlin et al., 2003; Chandrasekaran et al., 2005; Xu et al., 2011). Concernant la projection controlatérale provenant de la rétine VT, ce défaut de raffinement peut être expliqué à l’échelle de projection unique à P8-9, par la présence de branches ectopiques le long des axones et d’arborisations terminales plus larges (Dhande et al., 2012); Figure 6). Une rectification partielle de ce défaut de raffinement dans le CS de la souris beta2KO entre P7 et P14 a été observée par injection de DiI (Chandrasekaran et al., 2005; Dhande et al., 2012) ; elle est probablement dûe à un retour à la normale de l’activité chez les beta2KO lors des vagues rétiniennes glutamatergiques. Le fait que la rectification soit seulement partielle suggère que certains mécanismes importants pour le raffinement de la rétinotopie ont une période critique pendant la première semaine postnatale chez la souris.
De façon surprenante, il a été montré qu’à P15 dans le CGLd de la souris beta2KO, les projections controlatérales provenant de la rétine VT sont normalement raffinées : elles ne présentent pas de branches ectopiques le long de l’axone, ne sont pas plus larges que les contrôles et présentent une complexité et densité similaires aux contrôles (Dhande et al., 2011). Ce résultat suggère que le défaut de raffinement de la taille de la ZT observée chez le beta2KO dans le CGLd (Xu et al., 2011) est dû à un défaut de positionnement des arborisations terminales plutôt qu’à un défaut de raffinement de la projection à proprement dit. Ainsi, le défaut de carte oeil-spécifique chez les beta2KO (avec maintien d’arborisations ipsilatérales dans le territoire controlatéral et maintien d’arborisations controlatérales dans le territoire ipsilatéral) pourait avoir un impact sur le raffinement de la rétinotopie.
Cette idée est confortée par l’analyse de la rétinotopie dans un modèle beta2KO où la sous-unité beta2 du récepteur à l’ACh a été réinsérée dans les CGRs (modèle beta2TG ; (Xu et al., 2011). Cette réexpression entraine une activité normale dans les CGRs à l’exception du fait que les vagues d’activité corrélée au sein de CGRs voisines sont plus petites. Dans ce modèle, la ségrégation œil spécifique n’est pas sauvée ; la rétinotopie quant à elle, est sauvée comparée aux beta2KO sauf dans la zone initialement innervée de manière binoculaire. L’énucléation dans ce modèle betaTG permet de sauver la rétinotopie même dans la zone de projection initialement binoculaire ce qui suggère que des défauts de ségrégation interfèrent avec le raffinement rétinotopique.
Raffinement fin de la rétinotopie
Le raffinement fin de la rétinotopie est dépendant de l’activité rétinienne (Tableau 2). En effet, le blocage de l’activité rétinienne par injection intraoculaire de TTX de P11 à P14 empêche le raffinement fin d’avoir lieu : à P15-16, un neurone cible dans le CGLd reçoit des afférences de nombreuses CGRs comme chez le contrôle immature à P8-P10 ((Hooks and Chen, 2006). De plus, dans le CS des souris beta2KO à P6 P7, un neurone cible reçoit des afférences de 8 ou 9 CGRs différentes (Chandrasekaran et al., 2007) alors que dans le CS contrôle à P6-P7, un neurone cible reçoit des afférences d’environ 5 CGRs différentes (Chandrasekaran et al., 2007). Cette multi-innervation dans le CS chez la souris beta2KO est toutefois rectifiée à P21-25.
Ce raffinement fin de la rétinotopie coincide avec le début de l’activité visuelle évoquée (Demas et al., 2003) et avec la maturation des synapses cortico-thalamiques et corticocolliculaires et des synapses inhibitrices dans le CGLd. La modulation de l’activité rétinienne par le GABA et la compétition éventuelle des projections rétiniennes avec les projections cortico-thalamiques et cortico-colliculaires pourraient participer au raffinement fin des connexions rétino thalamiques et colliculaires.
Mécanismes en aval de l’activité rétinienne
Il est maintenant admis que l’activité est importante pour le développement des cartes visuelles. L’étape suivante a été de découvrir par quels mécanismes l’activité soustendait le raffinement des projections rétiniennes. L’activité peut jouer un rôle à de nombreux niveaux. D’une part, elle peut entrainer la transcription de gènes dans le noyau pour synthétiser des protéines effectrices ou elle peut agir directement sur des voies de signalisation sensibles au calcium. Dautre part, elle peut agir via la libération synaptique calcium-dépendante de neurotransmetteurs ou de neurotrophines et avoir un impact sur d’autres cellules qui en retour peuvent envoyer des signaux de façon rétrograde sur la cellule présynaptique. L’étude de ce dernier effet de l’activité dans le développement du système visuel est pertinent car il y a des synapses fonctionnelles rétino-géniculées et rétino-colliculaires dès P3-4 juste au début du processus de raffinement de la carte œil-spécifique et de la carte rétinotopique (Mooney et al., 1996; Shah and Crair, 2008).
La perturbation spécifique de chacune de ces voies permet de décortiquer les différents effets de l’activité et de savoir quel aspect de l’activité est impliqué dans quelle étape du développement des projections rétiniennes.
Introduction |