Depuis une vingtaine d’années, on assiste au développement d’une multitude de modèles dit de plasticité cristalline. Les motivations pour développer de tels modèles qui reposent sur une connaissance fine des mécanismes physiques à l’origine de la plasticité sont multiples.
Les modèles macroscopiques sont notoirement phénoménologiques et de cette caractéristique découle des limitations sur leur domaine d’application. Ils doivent être utilisés avec précautions en limitant leur emploi à un domaine d’application pour lequel les sollicitations imposées restent proches des conditions de l’expérience. L’extension du domaine d’application requiert l’ajout de paramètres supplémentaires et rend l’identification lourde et coûteuse pour un bénéfice en matière de performance relativement discutable.
L’idée de développer des modèles physiquement fondés répond notamment à cet enjeu : il s’agit d’obtenir des modélisations robustes à large spectre d’application pour un nombre limité de paramètres. A cette fin, ils requièrent un jeu des variables d’état pertinent pour décrire le système. Comme les dislocations sont le support de la déformation plastique, leur densité – qui est bien un paramètre d’état du système – est le premier paramètre incontournable de ce type de modèle. Les modélisations physiques ont toutefois un essor moins important que celui auquel on pouvait s’attendre pour différentes raisons. Les descriptions actuelles du comportement sont proposées au niveau d’un grain (ou du monocristal), ce qui rend impossible la simulation d’une pièce industrielle comportant plusieurs millions de grains. Par ailleurs, même si les promoteurs de ces modèles revendiquent un caractère physique de leur représentation, il n’en reste pas moins qu’une bonne partie de ces modèles recourent à des artefacts phénoménologiques pour rendre compte d’effets pas encore très bien compris au niveau physique.
C’est particulièrement le cas lorsqu’il s’agit de décrire l’écrouissage cinématique qui se manifeste lors de trajets de chargement alternés. L’ensemble des modèles existantes bute sur cet écueil et ne s’en tire qu’au prix d’une modélisation phénoménologique qui bien que formulée sur un système de glissement est très peu inspirée par la physique.
La raison est sans doute qu’il n’existe pas de représentation claire de l’origine de l’écrouissage cinématique sur laquelle fonder un modèle physique. Cependant, en explorant la littérature, on s’aperçoit que l’origine de l’écrouissage cinématique repose sans doute sur un effet des microstructures de dislocations qui s’établissent au cours de la déformation. Néanmoins, aucune règle généralisable à l’échelle d’un modèle n’est proposée. On comprend ainsi mieux la faiblesse constitutionnelle des modèles actuels qui n’utilisent que la densité de dislocations comme variable de description globale de la microstructure, faute de pouvoir assoir la modélisation sur des phénomènes bien compris.
La situation actuelle n’est donc pas transcendante. Les performances des modèles physiques stagnent et le lien entre les propriétés à l’échelle locale et le comportement macroscopique est obtenu en recourant à des techniques lourdes d’homogénéisation ou de calcul éléments finis bornant in fine l’application à des cas portant sur des agrégats composés d’au plus quelques milliers de grains.
Une autre voie, qui consiste à inférer le comportement global en dégageant des lois de comportement collectif synthétisant la multitude de phénomènes microstructuraux, paraît essentielle pour parvenir à une modélisation exploitable à un niveau supérieur. Elle n’est, quant à elle, que peu ou pas du tout adoptée par la communauté scientifique.
Le paramètre d’état fondamental caractérisant la microstructure globalement à un instant t donné est sa densité ρ. Nous avons alors vu que ce paramètre seul n’est pas suffisant puisqu’il ne donne aucune indication sur les spécificités locales de la microstructure. Celles-ci consistent en des dislocations non-uniformément réparties en volume qui effectuent des glissements plastiques différents et génèrent ainsi un champ de contrainte hétérogène. Il est toutefois montré que cet état de contrainte hétérogène est décrit méthodiquement en introduisant :
– une première série (semi-infinie) de variables d’état, notée s, prenant des valeurs aléatoires s’étendant de 0 à l’infini (+∞), qui physiquement représente l’ensemble des niveaux de contrainte à courte distance potentiellement subis par une dislocation, ou autrement dit l’ensemble des seuils potentiels d’activation de son glissement;
– une seconde série (semi-infinie) de variables d’état, notées fρ(s), qui est une densité de probabilité construite sur la variable aléatoire s, indiquant la probabilité qu’a une dislocation donnée de subir un champ de contrainte à courte distance égal à une valeur s donnée ;
– une troisième série (semi-infinie) de variables d’état, notée X(s), qui représente le champ de contrainte à longue distance s’exerçant sur n’importe quelle dislocation dont la contrainte à courte distance vaut s .
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