Une histoire d’interactions L’assimilation de données et l’océanographie physique sont aujourd’hui deux disciplines scientiVques fortes d’un historique respectable, d’une communauté vivante et d’une connaissance solidement construite, dont la richesse de leurs perspectives respectives et conjointes conVne au vertige. Pour bien comprendre les diXcultés posées par les développements présents et futurs de l’océanographie physique aux méthodes d’assimilation de données, il faudrait pouvoir embrasser à la fois les fondements et enjeux des deux domaines. Il faut pourtant en présenter un, puis l’autre. Le sujet d’étude étant l’assimilation de données, il paraîtrait naturel de l’aborder dès le début, au risque d’y perdre de vue les enjeux portés par le champ d’application qui nous intéresse. Commençons alors par l’océanographie, ses questionnements et ses déVs, en nous autorisant à perdre potentiellement de vue leurs impacts sur l’assimilation de données. . . Cette première diXculté, complètement formelle, qui ne devrait regarder que moi, illustre pourtant un aspect problématique, complexe et passionnant tout à la fois, de la réunion de systèmes complexes : les interactions qui en résultent. Le mot « interaction » peut se lire dans de nombreuses situations :
– L’océan présente plusieurs régimes d’écoulements, régis par de nombreux processus. La circulation générale océanique est le résultat des interactions, souvent non-linéaires, entre ces diUérentes dynamiques.
– D’un point de vue méthodologique, les spéciVcités des sciences géophysiques induisent de nombreuses contraintes sur l’assimilation de données.
– A contrario, la rétroaction des méthodes d’assimilation de données sur le système géophysique est dépendante desdites méthodes. Ainsi, les interactions, imbrications, rétroactions de dynamiques d’écoulements et de processus physiques d’une part et de la réunion de l’océanographie physique et de l’assimilation de données d’autre part, sont au cœur de notre travail.
Un océan complexe à étudier En considérant par exemple à la fois la circulation thermohaline s’étendant sur des milliers de kilomètres, à des vitesses de l’ordre de 1 cm.s⁻¹ sur plusieurs dizaines d’années, et les courants de marées, induisant un transport des masses d’eau sur quelques kilomètres à des vitesses de 1 m.s⁻¹ , nous entrevoyons alors que l’océan est le terrain de jeu de dynamiques physiques complexes, s’étendant sur un large spectre d’échelles spatiales et temporelles.
Au cours des trois dernières décennies, un aspect crucial pour la compréhension de la cirulation générale et ses applications est clairement apparu : l’océan est empli de processus dynamiques évoluant à des échelles spatiales de l’ordre de quelques dizaines de kilomètres : la dynamique méso-échelle. Elle est principalement de nature turbulente. Physiquement, des instabilités de grandes échelles vont provoquer l’apparition de structures de plus petites échelles (tourbillons, fronts, Vlaments) qui à travers leurs dynamiques transféreront de l’énergie aux plus petites échelles ou la réinjecteront dans les grands courants océaniques.
Autrement dit, comprendre la circulation océanique implique non seulement de comprendre les dynamiques évoluant à diUérentes échelles spatiales et temporelles: il faut également comprendre leurs interactions.
D’un point de vue mathématique, le fait que la somme des diUérents mécanismes physiques ne décrit pas la circulation générale et le fait que l’évolution d’un modèle n’est pas forcément proportionnelle à ses forçages (variabilité intrinsèque de l’océan) signiVent que ce système n’est pas linéaire.
Il faut également souligner que ces dernières années, un intérêt fort est porté à la dynamique subméso-échelle (i.e. d’échelles spatiales inférieures au rayon de déformation interne), dynamique pouvant avoir un impact certain sur les processus biogéochimiques océaniques, par exemple, correspondant aux mêmes échelles par exemple.
Pour comprendre, expliquer et prévoir la circulation océanique, il faut pouvoir la décrire. Pour ce faire, deux outils, hétérogènes mais complémentaires sont disponibles : les observations et la modélisation.
Un océan complexe à observer et modéliser. Un outil d’expérimentation communément utilisé en océanographie physique prend la forme des équations décrivant l’écoulement océanique : les modèles. Ils sont le réceptacle de la connaissance des lois régissant la caractérisation et la circulation des masses d’eau de l’océan. L’état dynamique de l’océan est représenté par des « variables d’état » : la température de l’eau, sa salinité, sa vitesse et sa hauteur en surface. Ces équations sont déduites des lois de conservation de masse, d’énergie et des lois de la thermodynamique et, à ce jour, elles n’admettent pas de solution analytique. Elles sont alors discrétisées sur une grille numérique aVn de pouvoir simuler l’évolution de l’état de l’océan. Nous pouvons noter d’ores et déjà que cette source d’information sur l’océan est entâchée d’erreurs :
– Les équations utilisées en océanographie résultent d’hypothèses simpliVcatrices dont la validité peut être mise à mal selon les échelles considérées.
– Le problème discrétisé est par nature diUérent du problème continu, ce qui constitue une deuxième source d’erreur.
Comme nous l’avons expliqué précédemment, pour bien comprendre la circulation océanique dans son ensemble, il est nécessaire de représenter des dynamiques évoluant sur une large gamme d’échelles spatiales et temporelles. Ceci induit que le système océan (et plus largement de nombreux systèmes géophysiques) présente un nombre important de degrés de liberté. Plus particulièrement, en voulant représenter les phénomènes méso- (et subméso-) échelles, ce nombre s’accroît encore. En terme de modélisation, ceci a deux implications fortes :
– Des diXcultés liées à l’augmentation de la résolution Pour comprendre particulièrement ces échelles, il faut les représenter. En d’autres termes, cela revient à augmenter la résolution de la discrétisation. Ceci a un fort impact sur les modèles, que ce soit au niveau des propriétés des schémas numériques employés ou du coût numérique des simulations.
– La paramétrisation « sous-maille » Au vu des problèmes soulevés ci-dessus par l’augmentation de la résolution, il n’est aujourd’hui pas possible de résoudre numériquement toutes les échelles, particulièrement les plus petites (de la subméso-échelle à l’échelle moléculaire). Seulement, ces échelles jouent un rôle clé dans le circuit énergétique de l’océan dynamique, notamment en tant que principal puit d’énergie via la dissipation moléculaire, par exemple. Comme ces échelles ne sont pas représentables, ces mécanismes sont alors paramétrisés de façon à prendre en compte leurs eUets sous-maille (dissipation, par exemple) dans le modèle.
Historiquement, la connaissance de la circulation océanique s’est construite (et se construit encore) en premier lieu à partir d’une autre source d’information : l’observation de l’océan. Aujourd’hui, les instruments de mesure de l’océan peuvent être distingués en deux grandes catégories :
– Les observations in-situ Ce type d’observations consiste à eUectuer des mesures à l’aide d’instruments en contact direct avec l’océan, via des réseaux de mouillages, des campagnes de mesure, des instruments embarqués sur des navires d’opportunité, ou des Wotteurs (comme le réseau ARGO, par exemple). Le grand avantage de ce type d’observations est l’accès à la dimension verticale de l’océan, la plupart de ces instruments relevant des mesures sur une partie conséquente de la colonne d’eau. En revanche, le coût des Wotteurs, inhérent à tout appareil de mesure in situ, fait que ces types de mesures ne sont que très partielles comparativement à la taille de l’océan.
– Les observations satellitaires Depuis une trentaine d’années, des satellites observent la surface de l’océan. En mesurant principalement la hauteur de l’eau, ces satellites successifs (programmes TOPEX/Poséidon, Envisat, Jason 1 et 2, …) fournissent un grand nombre de données, denses en espace et en temps. Les satellites encore opérationnels aujourd’hui réalisent des mesures altimétriques le long de traces espacées d’une dizaine à quelques centaines de kilomètres. D’autres programmes satellites permettent d’observer d’autres quantités telles que la température de surface, la salinité ou la couleur de l’eau. Pour répondre aux enjeux de la compréhension de l’océan turbulent, grâce aux développements de nouveaux instruments de mesure, le programme altimétrique SWOT (lancement prévu en 2019) prévoit de fournir des données d’une résolution de quelques dizaines de mètres seulement sur de larges fauchées et non plus seulement le long de la trace satellite.
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