La recherche de nouveaux matériaux à propriétés spécifiques de plus en plus performantes ou l’amélioration de produits existants, constitue un enjeu stratégique pour de nombreux pays dans un large éventail de domaines. A cette course, l’Equipe de Chimie du Solide de l’Unité de Catalyse (UCCS) participe depuis maintenant deux décennies dans la mise en évidence de nouveaux composés à base de bismuth.
Cet élément présente un doublet non liant 6s² dans sa structure électronique capable de générer des propriétés particulières aux matériaux en intervenant sous différents aspects. Il peut ainsi favoriser la polarisation des composés et l’apparition de propriétés liées à l’absence de symétrie telle que la piézoélectricité. La paire libre confère au bismuth une polarisabilité élevée qui, facilitant la mobilité des ions en son voisinage, induit des propriétés de conduction ionique intervenant dans un nombre considérable d’applications, en particulier dans le domaine énergétique.
Les matériaux oxydes présentent un large éventail de développements dû à leurs grandes stabilités. Ils occupent de ce fait une place importante parmi les composés étudiés au sein de l’Equipe CS de l’UCCS, particulièrement par les Groupes de Recherche « Oxydes innovants et phases dérivées » et « Matériaux conducteurs par ions oxyde ». L’oxyde de bismuth cristallise de 730°C à sa fusion à 825°C, dans une structure type fluorine un quart déficitaire en anions et désordonnée (forme δ) [Gattow 1962]. Cette variété cubique présente alors une conductivité ionique de l’ordre de 1 S.cm-1. Cette valeur est atteinte par la zircone stabilisée à l’yttrium (YSZ) mais à une température plus élevée (1000°C). Or, lors du refroidissement de la phase δ-Bi2O3, la présence d’une transition de phase « destructrice de céramiques » empêche la valorisation de cette propriété.
L’ion Pb2+, isoélectronique de Bi3+ présente des caractéristiques analogues. La substitution du bismuth par le plomb permet la stabilisation de solutions solides et génère la formation de lacunes anioniques, élément favorable à la mobilité des ions. Dans le système binaire Bi2O3-PbO, les composés les plus intéressants Bi2O3-δ et Bi8Pb5O17-β [Demonchy 1980, Honnart 1983] sont stables uniquement à haute température et se transforment lors du refroidissement.
Dans les systèmes Bi2O3-Ln2O3, l’usage comme dopant de Bi2O3, d’un oxyde de métal à haut degré d’oxydation tel que V2O5 ou P2O5, est un facteur de stabilisation des structures type fluorine [Portefaix 1997, Benkaddour 2002]. L’implication de cet oxyde conduit à la formation de composés définis comportant des anions tétraédriques. Parmi les structures en feuillets de type Aurivillius [1937], Bi4V2O11 composé mis en évidence au laboratoire, la présence d’anions tétraédriques VO3,5 2- déficitaires en oxygène et désordonnés, confère à la forme haute température (γ) une exceptionnelle conductivité anionique [Debreuille-Gresse 1986] ; cette propriété a pu être exploitée à une température modérée de 300°C dans une série de solutions solides dérivées de γ-Bi4V2O11, les BiMeVOx, obtenus par substitution partielle du vanadium par différents métaux tels que Cu, Co, Ta, Nb… [Abraham 1990, Vannier 1993, Vannier 1994, Théry 1996]. La substitution en taux plus ou moins important d’éléments (anions ou cations) est envisageable dans de nombreux composés définis avec conservation d’une structure étroitement apparentée à la structure originale. Dans un domaine de solution solide, les propriétés peuvent être amplifiées par une caractéristique de la substitution réalisée : conductivité améliorée par l’augmentation du nombre de porteurs de charges ou du taux de lacunes dans le sous-réseau des ions mobiles, piézo/ferroélectricité exacerbée par l’introduction d’un élément à structure électronique anisotrope. Si une transition de phase survient en fonction de la température, la modulation de cette température peut s’avérer intéressante. En effet, les propriétés non linéaires sont d’autant plus prononcées que l’on s’approche de la phase prototype haute température ; pour exploiter les propriétés d’une phase haute température, par exemple la conductivité par ions O2-, d’une phase issue de Bi2O3-δ, il est primordial d’éviter aux céramiques le stress mécanique lié à toute transition à partir de cette forme.
Les matériaux, comportant des anions tétraédriques comme les vanadates ou arséniates, sont souvent le siège de transitions faisant intervenir des réarrangements structuraux correspondant généralement à la réorientation des anions. Celles-ci peuvent conduire à des propriétés non linéaires telle que la ferroélasticité, lorsqu’il s’agit d’une variation de déformation spontanée (BiVO4 [Dudnik 1978]), la ferroélectricité lorsqu’il y a évolution d’un moment dipolaire (Pb3(VO4)2-α [Gene 1975, Brixner 1975, Kasatani 1991]).
Ces propriétés ont suggéré un vif intérêt des chercheurs pour le système ternaire Bi2O3-PbO-V2O5. Des études ont révélé l’existence de plusieurs composés définis comme PbBiVO5 [Brixner 1974], Pb2BiVO6 [Mizrahi 1995] et Pb4BiVO8 [Mizrahi 1995] mais elles sont restées incomplètes à ce jour. Il nous a paru intéressant de les poursuivre avec l’espoir de mettre en évidence de nouveaux composés type oxyvanadates de bismuth et de plomb. Les ions Pb2+ et Bi3+ sont isoélectroniques et donc difficilement différenciable aux rayons X. Pour contourner cet obstacle, l’étude a été prolongée vers les systèmes Bi2O3-MO-V2O5, avec d’autres éléments M à degré d’oxydation 2+ de tailles voisines, Sr, Cd et Ca.
La description des travaux effectués et des résultats sur le système Bi2O3-PbO V2O5 se fera à partir des matériaux les plus riches en bismuth allant vers les teneurs en dopants plus importantes. Le diagramme, fig.1, visualise les composés connus au début de nos travaux Pb5Bi17V5O43 [Roussel 2002], Pb5Bi18V4O42 [Giraud 2003], PbBi6V2O15 [Lee 2002] qui dérivent de la structure fluorine type δ-Bi2O3. Hormis PbBi6V2O15, les structures ont été toutes résolues. Afin d’identifier la position du plomb au sein de ce matériau la synthèse de composés homologues MBi6V2O15 (M=Sr, Cd, Ca) a été envisagée. L’étude des structures cristallines des trois compositions a révélé l’existence de solutions solides. L’utilisation de ces trois éléments a également été appliquée à la composition M5Bi18V4O42. Les affinements structuraux ont montré des phases non stoechiométriques. Une solution solide Pb5(1-x)Bi18+5xV4O42+2.5x a été identifiée sur poudre. Des cristallisations aux taux x = 0,4 et 0,7 ont permis de mettre en évidence trois structures différentes.
Dans le système binaire BiVO4-nPbO, PbBiVO5 (n=1) avait été identifié [Brixner 1974] mais la structure cristalline proposée restait incertaine [Ling 1985, Vannier 1992] . Une transition de phase a été mise en évidence et les structures des deux formes (basse et haute température) ont été résolues à l’ambiante et à 530°C. La transposition au phosphate et à l’arsenic a permis de préparer le composé isotype PbBiPO5, et de déterminer la structure de PbBiAsO5, isotype à température ambiante de la forme haute température de PbBiVO5. Des substitutions par le phosphore, le manganèse, le chrome et l’arsenic sur le site du vanadium ont été testées afin d’abaisser la température de transition et éviter ainsi un stress mécanique lors du façonnage de céramiques.
L’existence du composé Pb2BiVO6 (n=2) avait été également signalée [Mizrahi 1995] dans ce même système binaire BiVO4-nPbO. Ce composé adopte plusieurs formes selon la température , nous présentons la version rectifiée en réétudiant le comportement thermique de Pb2BiVO6. Les phases α, β, δ, mélange γ et δ sont observées successivement en fonction de la température. Afin de comprendre le mécanisme transitionnel par examen des structures, des préparations de monocristaux ont été entreprises. La structure de la phase α a été résolue. La forme β-Pb2BiVO6 normalement stable sur un domaine étroit de température a pu être stabilisée à température ambiante permettant ainsi une résolution fiable . Des substitutions cationiques ont été également envisagées afin de stabiliser les formes identifiées à haute température. Des phases α’ et δ’ stables à température ambiante ont été obtenues par le remplacement du vanadium par du manganèse et du phosphore, leurs structures dérivant étroitement des formes α, et δ étudiée à 680°C par Evans [2002]. En fin de chapitre, une synthèse des résultats permet de cerner les réarrangements structuraux apparaissant lors des transitions de phase α →β→δ.
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