Une pratique remise au goût du jour : microfermes et agroforesterie en réponse à une forte demande sociétale
Les vergers-maraichers, encore extrêmement rares au début de ce siècle, connaissent actuellement un fort engouement auprès des porteurs de projets (Figure A-2). Depuis le début des années 2010 et l’essor du maraichage bio-intensif (Morel, 2016; Morel et al., 2017; Morel and Léger, 2016), les formes d’agricultures écologisées sur petite surface couplant maraichage diversifié et arboriculture suscitent l’intérêt de nombreux néo-agriculteurs. Cela se produit notamment en réponse à une forte demande sociétale visant à raccourcir les circuits alimentaires et à écologiser les systèmes agricoles (Lamine, 2017; Navarrete et al., 2012). Pour la première fois en France, le programme CASDAR SMART6 a cherché à décrire et caractériser cette forme particulière d’agroforesterie professionnelle. Sur la base de 126 réponses à un questionnaire en ligne, une description de la structure, du fonctionnement et la sociologie de ces fermes a pu être effectuée. Les exploitations sont généralement en agriculture biologique, réalisée sur de petites surfaces (63% d’entre elles ont moins de 5 hectares et les parcelles agroforestières représentent 1.3 ha en moyenne).
Les agriculteurs combinent une grande variété d’espèces et comptent majoritairement sur des circuits de commercialisation courts (Léger et al., 2019, 2018; Warlop et al., 2017). Ils ne sont majoritairement pas issus du milieu agricole (73%) et possèdent un niveau d’études supérieures relativement haut. En revanche, la grande hétérogénéité des situations et le fait que l’agroforesterie était souvent trop récente sur les fermes enquêtées n’ont pas permis de tirer des enseignements robustes sur les processus biologiques en jeu et les interactions arbres-cultures. Il existe plusieurs termes pouvant faire référence aux vergers-maraichers, en fonction de l’importance relative du maraichage et de l’arboriculture, mais aussi en fonction du degré d’anthropisation de ces systèmes : potagers-forestiers, jardin-forêt, jardin-multiétagé, vergers-potagers. Dans un contexte d’agriculture professionnelle, une définition du verger-maraicher que nous pouvons retenir est la suivante : le verger-maraicher est un type d’agroécosystème destiné à la production de fruits et de légumes dans une configuration agroforestière. Un exemple d’agencement d’une parcelle en verger-maraicher est présenté en Figure A-3.
Association de cultures et Agroforesterie, au coeur de ces systèmes
Si le maraichage (AFAF, n.d.; Agroof, n.d.; Léger et al., 2018) et l’arboriculture (Forey, 2016; Lauri et al., 2016, 2019; Lauri and Simon, 2019) possèdent leurs caractéristiques et leurs comportements propres lorsqu’ils sont en inter-culture, c’est bien l’association spécifique de ces deux productions qui nous intéresse ici et qui soulève de nouvelles problématiques. Principalement conçus pour optimiser l’utilisation spatiale et temporelle des ressources, en minimisant les interactions négatives tout en maximisant les interactions positives entre les composantes du système (Jose et al., 2004), les vergers-maraichers multiplient néanmoins les sources d’interactions biologiques possibles. Dans les mélanges plurispécifiques, Justes et al. (2014) distinguent ainsi trois types d’interactions entre espèces :
(i) la compétition qui se produit lorsqu’une ressource partagée devient limitante ou qu’une espèce génère un environnement défavorable pour l’autre ;
(ii) la facilitation qui s’opère lorsque l’environnement généré par une espèce est positif pour la seconde ;
(iii) la complémentarité de niche qui a lieu quand les différentes espèces utilisent une même ressource de manière décalée dans le temps ou dans l’espace. Nous allons voir ici comment ces trois processus majeurs peuvent se produire dans les systèmes agroforestiers maraichers.
(i) Compétition Le premier processus que l’on peut discerner quand on parle d’agroforesterie est la compétition : le fait d’associer deux espèces dans un même espace va quasi systématiquement engendrer des concurrences pour un certain nombre de ressources identiques que ces espèces utilisant au même endroit et au même moment. Les exemples d’associations sont nombreux (Dupraz et al., 2005; Dupraz and Liagre, 2008; Fagerholm et al., 2016; Lawson et al., 2019; Lovell et al., 2017b; Shiferaw et al., 2018) et mettent en évidence (à de rares exceptions près) qu’une espèce en association produit moins qu’en monoculture. Cette perte de rendement peut s’expliquer, d’une part, par une densité moins importante des cultures en association par rapport à leur équivalent en monoculture, mais aussi par des compétitions pour les ressources en eau, lumière et les minéraux (García-Barrios and Ong, 2004; Jose et al., 2004; Vandermeer, 1989). Néanmoins, la productivité globale d’une association est généralement supérieure aux cultures pures (Graves et al., 2007; Raseduzzaman and Jensen, 2017; Vandermeer, 1984; Yu et al., 2016), il semblerait donc que certains phénomènes de facilitation et de complémentarités participent à l’élaboration d’un meilleur rendement à l’hectare.
(ii) Facilitation Une hypothèse centrale dans les systèmes agroforestiers est que la productivité est plus élevée que dans les systèmes de cultures pures en raison d’interactions positives, en surface ou sous terre, pour la capture des ressources (Smith et al., 2013). La présence d’arbres peut modifier l’interception de la lumière et son spectre pour la culture associée, mais aussi son microclimat : température, hygrométrie et vent (Jose et al., 2004; Smith et al., 2013). Cependant, les conséquences de ces modifications diffèrent selon les cycles de développement et les caractéristiques des deux strates. D’une part, les arbres limitent la vitesse du vent et augmentent l’humidité autour d’eux par leur propre transpiration. Elle contribue ainsi à limiter les pics de température et à protéger les cultures sous-jacentes du stress thermique ou du séchage en réduisant leur évapotranspiration (AFAF, n.d.). D’autre part, l’ombre créée par les arbres peut aussi être identifiée comme un facteur de réduction du rendement (Jose et al., 2004). Cette, réponse négative à l’ombrage dépend toutefois de la voie de fixation du carbone de la culture associée.
Contrairement aux espèces C4 comme le maïs ou le sorgho, les espèces C3, comme la plupart des légumes cultivés en climat tempéré, maintiennent un taux constant de photosynthèse entre 50% et 100% d’ensoleillement (Jose et al., 2004). C’est le cas par exemple de certaines variétés de salades qui, en condition d’ombrage à 50%, peuvent conserver un rendement équivalent en raison de sa plasticité physiologique (Marrou et al., 2013). Ainsi, dans les systèmes de vergers-maraichers, les espèces de légumes en C3 profiteront principalement de cette modification microclimatique créée par les arbres. En optimisant l’utilisation des nutriments et en favorisant un bouclage interne des cycles biogéochimiques (les racines des arbres accèdent aux nutriments des couches inférieures du sol et les retournent au sol par la chute des feuilles et les racines mortes), les systèmes mixtes arboricoles semblent également en mesure d’améliorer les niveaux de matière organique et les propriétés physiques du sol et réduisent leur dépendance envers des apports extérieurs. Ainsi, plusieurs études ont enregistré une plus grande diversité microbienne et une activité enzymatique et mycorhizienne accrue dans les systèmes mixtes arboricoles, attribuables à une meilleure qualité et quantité de litière que dans les systèmes de monoculture (Borek and Księżniak, 2011; Cannell et al., 1996; Smith et al., 2013; Wartman, 2015).
Complémentarité de niches
Une autre hypothèse centrale sur le fonctionnement des systèmes mixtes agroforestiers est que l’occupation de différentes strates du sol avec leurs systèmes racinaires respectifs peut conduire à une plus grande efficacité dans l’utilisation des ressources abiotiques (Schroth, 1998). Ce partage de la ressource entre les espèces associées a lieu lorsqu’elles utilisent des formes biogéochimiques différentes d’une même ressource (Bedoussac et al., 2015) ou lorsqu’elles utilisent le même pool de façon différée dans le temps ou dans l’espace (Fridley, 2001). On parle alors de complémentarités temporelles ou spatiales. Si les arbres et les cultures se développent à différents moments de l’année, il s’agit de complémentarités temporelles qui peuvent se traduire par exemple par une efficacité accrue de la photosynthèse à l’échelle du système (Cannell et al., 1996; Eichhorn et al., 2006; Yu et al., 2015). En verger-maraicher particulièrement, les cycles courts des cultures maraichères offrent un niveau de flexibilité supplémentaire pour tirer profit d’un décalage phénologique avec les arbres fruitiers. Elles pourront pousser pendant l’hiver, le printemps ou l’automne, avant ou après le cycle de cultures des arbres, profitant ainsi de tout le rayonnement. Enfin, les complémentarités peuvent aussi être d’ordre spatial. Bien que de nombreux travaux aient signalé la plus forte densité de racines d’arbres dans les 30 cm supérieurs du sol, soulignant la concurrence potentielle entre les arbres et les cultures associées, Schroth (1998) suggère que les plantes elles-mêmes ont tendance à éviter une compétition racinaire excessive par une ségrégation spatiale.
Partie A. Introduction générale 3.2.1. Characteristics of fruits and/or vegetables intercropping systems in the literature |