Les modèles explicatifs de l’engagement sociétal des entreprises

La RSE : une traduction concrète et volontariste de la théorie des parties prenantes?

Les questions liées à la RSE sont, aujourd’hui, des questions prioritaires dans les milieux académiques et scientifiques (Allouche, Huault, et Schmidt, 2004). Ce concept a fait l’objet de plusieurs recherches et études portant sur une diversité de disciplines, et d’acteurs du monde socio-économique tels que les entreprises, ONG, institutions… ; etc. Ce qui a été traduit par une multiplication d’outils d’évaluation de la RSE, à savoir, les rapports de développement durable, normes et reporting sociétal managérial (Acquier et Aggeri, 2008). Depuis une cinquantaine d’années, la RSE a suscité un grand intérêt de la part des chercheurs (Bowen, 1953 ; Davis, 1960 ; Mc Guire, 1963 ; Jones, 1980 ; Friedman, 1962 ; Manne, 1972 ; Preston et Post, 1975 ; Carroll, 1979 ; Watrick et Cochran, 1985 ; Wood, 1991 ; Swanson, 1995 ; Clarkson, 1995 ; Husted, 2000). Pour Acquier et Gond (2007, p.8) : « Les premiers ouvrages traitant explicitement de RSE datent des années 1950 et constituent les fondements du champ académique « Business and Society ».

Par contraste, les travaux historiques montrent que l’idée de responsabilité sociale se diffuse dans la société et les milieux d’affaires dès la fin du 19eme siècle ». Dans les années soixante-dix, la question de la légitimité a été traitée par des auteurs américains, sous l’appellation de « stratégie sociétale », (Martinet, 1983). Aujourd’hui, l’engagement sociétal de l’entreprise se traduit par la prise en compte des enjeux à la fois financiers et extra-financiers dans la gestion. Ce qui suppose l’élargissement du concept de performance en intégrant des composantes extra-financières, vers une performance plus globale, étant donné que le rôle de l’entreprise, ainsi que sa responsabilité sociale relèvent de différentes visions et approches managériales. Dans cette optique, le nom de la responsabilité sociétale de l’entreprise a constitué une préoccupation stratégique d’un nombre d’entreprises (Capron et Quairel-Lanoizelee, 2007). Dans cette perspective, la théorie des parties prenantes joue un rôle important pour la recherche sur la RSE en traitant le rôle de l’entreprise dans la société et en suggèrant que le dirigeant a des obligations éthiques envers ses parties prenantes. L’objectif de ce chapitre est, ainsi, de présenter, d’une part, le concept de la RSE, sa définition, ses origines, et ses fondements théoriques (Section 1), et d’autre part, les modèles explicatifs de l’engagement sociétal (Section 2).

Développement durable et Responsabilité

Sociale de l’Entreprise Nouvelle dimension intégrée à la gestion des organisations, le développement durable6 est considéré comme un nouveau paradigme économique, social et écologique qui a été mis en oeuvre dans un environnement géopolitique de l’économie et des relations internationales (Igalens et Joras, 2002). Dans les réflexions menées par les milieux écologistes dans les années soixante-dix sur le thème de l’éco-développement, la conférence de Stockholm est à l’origine de l’émergence de ce concept. Cette notion vise une gestion raisonnable du patrimoine naturel tout en préservant les ressources à long terme et en assurant une croissance durable. A l’issue du sommet de l’Union Européenne en 2001, s’est esquissée une politique communautaire pour les collectivités et entreprises visant un engagement communautaire et reposant sur trois piliers à savoir mondialisation et globalisation, responsabilité et gouvernance, et éthique et solidarité. Comme le confirme la déclaration de laecken7 : « le moment est venu pour l’Europe de prendre ses responsabilités dans « la gouvernance de la globalisation », d’être une puissance qui veut encadrer la mondialisation selon les principes de l’éthique, c’est- à -dire l’ancrer dans la solidarité et le développement durable ». Une vaste littérature économique a proposé des définitions du développement durable. Selon le rapport Brundltland (1987, p.51), cette notion peut être définie comme « la capacité des générations présentes à satisfaire leurs besoins sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins ».

Cette définition peut être complétée par la définition de Capron et Quairel-Lanoizelée (2007, p.15) qui considère ce concept comme étant « un objectif qui a pour enjeu de subvenir aux besoins de l’ensemble de l’humanité (rôle de l’économie), en préservant les conditions de reproduction de la nature (préoccupation écologique), dans des relations sociales d’équité permettant d’assurer la paix et la cohésion sociale (attentes sociales et sociétales). Ce qui se traduit également par la formule : oeuvrer à un monde vivable, sur une planète viable, avec une société équitable ». Cette démarche s’appuie sur trois objectifs, à savoir, la performance économique à long terme, la performance sociétale et la performance environnementale. Elle est fondée sur le respect d’un certain nombre de valeurs ou de principes dont le principe de précaution, le souci de la prévention, la recherche d’une gestion sobre et économe, le principe de responsabilité, l’importance accordée à la participation, et l’esprit de solidarité. Cette approche est prise en compte dans de nombreux domaines de la gestion tels que la gestion des ressources humaines, le marketing, la comptabilité « verte », le contrôle de gestion, etc.

Dans une vision managériale, les entreprises répondent aux problématiques du développement durable par plusieurs moyens en utilisant, par exemple, la communication financière externe. Leur prise de conscience de la nécessité d’avoir des orientations stratégiques dans ce sens se traduit par des actions managériales internes concrètes, connus sous le nom du management durable. Ce concept regroupe l’ensemble des pratiques managériales destinées aux politiques environnementales et sociétales des entreprises (éco-conception8, éco-marketing, politique de santé, de sécurité, etc). La littérature définit le management durable comme étant « l’évocation d’un mode de gestion accompagnant une orientation stratégique intégrant le principe de responsabilité sociale. Le management durable repose sur un équilibre profitable, pour la structure organisationnelle mais aussi pour ses parties prenantes, construit sur des choix combinés économiquement viables, socialement équitables, soutenables du point de vue environnemental et ce, dans l’optique d’un mode de gouvernance efficace et transparent9».

RSE : Un concept multidimensionnel

La RSE est traduite parfois par responsabilité sociale, ou bien responsabilité sociale et environnementale ou encore responsabilité sociétale des entreprises. En anglais le mot « Social » recouvre une signification beaucoup plus large qu’en français. En s’appuyant sur la définition proposée par la commission européenne : « Etre socialement responsable signifie non seulement satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables mais aussi aller au-delà et investir davantage dans le capital humain, l’environnement et les relations avec les parties prenantes » (Livre vert, 2001, p.4), nous utiliserons le terme RSE pour exprimer la contribution des entreprises au développement durable, que le S signifie « Social » ou « Sociétal15 ». Le problème sémantique évoqué ci-dessus, traduit également des compréhensions différentes du champ de la responsabilité des entreprises. Depuis une cinquantaine d’années, nombreux sont les chercheurs qui ont tenté de fournir des définitions du concept sans aboutir à un consensus (Bowen, 1953 ; Davis, 1960 ; McGuire, 1963 ; Jones, 1980 ; Friedman, 1962 ; Manne, 1972 ; Preston et Post, 1975 ; Carrol, 1979 ; Watrick et Cochran, 1985 ; Wood, 1991 ; Clarkson, 1995 ; Husted, 2000) en général et dans un contexte social (Granovetter, 1985 ; Suchman, 1995). Diverses approches et définitions ont été proposées pour définir cette notion de RSE. Nous citons, par exemple, la définition donnée par Capron et Quairel-Lanoizelee (2007, p.16 ) où la RSE signifie « les modalités de réponse de l’entreprise aux interpellations sociétales en produisant des stratégies, des dispositifs de management, de conduite de changement et des méthodes de pilotage, de contrôle, d’évaluation et de reddition ».

La vision européenne de la RSE se réfère à la définition de la commission européenne qui stipule que « la RSE est un concept qui désigne l’intégration volontaire, par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes » (Livre Vert, juillet 2001, p.8). Selon cette commission, les entreprises responsables socialement sont celles qui répondent aux besoins sociétaux tout en ayant des exigences minimales et des obligations imposées par les conventions collectives, contrairement à la vision américaine de la RSE qui la définit en termes d’actions philanthropiques étrangères aux activités économiques de l’entreprise. Pour l’Organisation Internationale du Travail (OIT) la RSE « traduit la façon dont les entreprises prennent en considération les effets de leurs activités sur la société et affirment leurs principes et leurs valeurs tant dans l’application de leurs méthodes et procédés internes que dans leurs relations avec d’autres acteurs. La RSE est une initiative volontaire dont les entreprises sont le moteur et se rapporte à des activités dont on considère qu’elles vont plus loin que le simple respect de la loi16». Dans les travaux préparatoires du standard 26 000, cette notion de RSE renvoie à « des actions d’un organisme pour assumer la responsabilité de l’impact de ses actions sur la société et l’environnement pour autant que ses actions soient cohérentes avec les intérêts de la société et du développement durable, fondées sur un comportement éthique17, le respect de la loi en vigueur et les instruments gouvernementaux, et intégrées aux activités habituelles de l’organisme ”(Capron, Quarel- Lanoizelée, 2007, p.23). Il faut noter également que ce concept de RSE se trouve associé à plusieurs notions comme l’éthique des affaires.

Ce dernier a un rôle important dans la communication de l’entreprise, au niveau externe et interne. Il s’agit d’un paramètre qui valorise l’image de l’entreprise et influence la perception des différents publics. Le respect des règles du jeu économique et la référence à des valeurs comme l’intégrité des comportements, le respect des autres ou la solidarité sont considérés comme des facteurs de réussite à long terme d’une entreprise. D’où les exigences éthiques sont devenues une nécessité économique et, aujourd’hui, l’évaluation des entreprises par les parties prenantes est en fonction des critères d’ordre éthique liés à la responsabilité sociale de celles-ci. Depuis une cinquantaine d’années, plusieurs recherches ont tenté de définir le concept de RSE sans pour autant aboutir à un consensus. Afin de cerner le concept, plusieurs auteurs l’ont abordé en se référant à une discipline. Dans cet objectif, il apparaît pertinent de privilégier une typologie de la RSE, fondée sur une catégorisation des définitions par approches de gestion. D’où l’intérêt du tableau N°1 est de présenter les différentes approches existantes de la RSE en tenant compte de l’évolution du concept et de la « diversité sémantique » relative à cette notion.

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PARTIE I : Approche théorique de l’engagement sociétal des entreprises
Chapitre I : La RSE : une traduction concrète et volontariste de la théorie des parties prenantes
Section 1 : Les fondements théoriques de la RSE
Section 2 : Les modèles explicatifs de l’engagement sociétal des entreprises
Chapitre II : Analyse des déterminants institutionnels, organisationnels et individuels de l’engagement sociétal des entreprises
Section 1 : Les bénéfices attendus de l’engagement sociétal et les freins au développement
des pratiques responsables
Section 2 : RSE et performance financière : un débat non tranché
PARTIE II : Etude empirique des motivations et freins à l’engagement sociétal des entreprises labellisées au Maroc
Chapitre III : Méthodologie et questionnements de recherche
Section 1 : Posture épistémologique et méthodologique
Section 2 : Echantillon et questionnements de recherche
Chapitre IV : Analyse et discussion des résultats de l’étude empirique
Section 1 : Analyse des résultats de l’enquête
Section 2 : Analyse des résultats des interviews
CONCLUSION GENERALE

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