L’introspection des structures sociales, culturelles et linguistiques, d’une part, édifie l’imaginaire des peuples du Gabon et, d’autre part, traduit le mode de production des savoirs influant les faits (besoins vitaux primaires et aspirations) de la vie quotidienne. Ce qui revient à construire en trois points une représentation simplifiée de la réalité socio-anthropologique qui caractérise l’imaginaire des peuples du Gabon et leur mode de production des savoirs. Ces points sont :
▸ la structure culturelle de l’imaginaire des peuples du Gabon ;
▸ la structure sociale des peuples du Gabon ;
▸ la structure linguistique et savante des peuples du Gabon.
De la structure culturelle de l’imaginaire des peuples du Gabon
La structure culturelle de l’imaginaire des peuples du Gabon examine les facteurs culturels qui dynamisent la population gabonaise sur le plan de leur imaginaire et de la production des savoirs. De quels facteurs culturels s’agit-il ? Il s’agit des facteurs culturels qui permettent aux populations du Gabon d’affirmer leur droit à la différence comme peuple du monde. Nous nous intéressons, entre autres, à deux facteurs fondamentaux que sont l’ethnie et la langue. Les deux facteurs conduisent à l’identification des communautés ethnolinguistiques (nous abordons l’explication du mot ethnolinguistique un peu plus loin) qui forgent le sentiment d’appartenance à un groupe culturellement situé. Et le sentiment d’appartenance est le plus souvent une adhésion volontaire à la conscience collective de cette communauté culturellement située. La conscience collective s’exprime, entre autres, dans la pensée macrosociale, culturelle que chaque langue-culture véhicule. Ainsi, l’ethnie comme facteur culturel contribue par ses différentes acceptions à indiquer une trajectoire favorisant la production des savoirs. La langue comme facteur culturel participe à l’intercompréhension entre les membres d’une communauté ethnique culturellement située.
L’ethnie facteur culturel de l’imaginaire des peuples du Gabon
L’option de retenir l’ethnie comme une des voies qui conduit à l’identification des facteurs culturels caractérisant les populations sur le territoire du Gabon, implique un choix délibéré et orienté. Ce choix, à ce niveau, conçoit l’ethnie comme un thème d’une grande importance pour l’anthropologie sociale touchant, en effet, divers aspects de la vie culturelle des individus. Il s’agit, alors, sur la base des documents consultés, de rendre évident un positionnement dans la composition et la mise en relation des éléments discursifs de la nature et des fonctions de l’ethnie. Ce positionnement que nous développons dans les lignes suivantes offre une analyse sur deux axes. Un axe qui s’intéresse à la structuration de la notion d’ethnie (étymologie) en prenant appui sur des travaux empiriques relatifs aux études ethniques. Un autre axe qui valide sa trajectoire définitionnelle pour affiner la production des savoirs.
L’axe sur la formation de la notion d’ethnie
En ce qui concerne, l’axe sur la structuration de la notion de l’ethnie, nous partons de d’abord de la propagation du terme ethnie ensuite nous abordons les différentes acceptions de cette notion établie par certains chercheurs.
Pour comprendre les jeux et enjeux du premier axe, il faut avant tout retenir ceci : selon certains chercheurs (Barth, 1999 ; Costey, 2006 ; Thériault, 1994) le mot ethnie dans sa propagation a connu des difficultés pour diverses raisons. Par exemple, sa tendance à réifier les groupements humains fait de l’ethnie un terme qui manque d’attrait. Ou encore le fait de l’usage à scinder les humains en groupuscules à travers certains promoteurs à l’égard de ce qui est analysé pour la mise en valeur des faits ethniques, À cet effet, une définition idéal-typique du terme ethnie, selon Barth (1999, p.206) « n’est pas si éloignée dans son contenu de la proposition traditionnelle selon laquelle une race = une culture = une langue. […] Néanmoins le terme race est caduque dans la constitution de l’humanité ». Aussi, son étude plus portée en Afrique, en Amérique et sa difficulté liée à un effort de précision, induisent l’absence de son existence en Europe. En Amérique, notamment aux Canada et aux États-Unis, les études ethniques proposent le plus souvent d’étudier, selon Thériault (1994, p. 21) « la communauté d’histoire et de culture […] à laquelle les populations se référaient en tant que communauté de destin d’origine pré-immigration. Par exemple, au Canada le fait ethnique repose sur un appareil administratif de statistique ». En Afrique, cette notion s’est imposée comme un fait ethnolinguistique (nous reviendrons sur ce terme un peu plus loin) ne possédant pas une complétude institutionnelle au niveau politique, c’est-à-dire qu’elle ne se substitue pas à la nation (Thériault, 1994). En suivant Thériault (1994, p. 20) nous disons que « c’est le niveau d’historicité […] et leur impact sur un territoire qui différencient les communautés de destin que sont les ethnies et les nations, ainsi que les analyses des phénomènes dits ethniques et des phénomènes dits nationaux ». Aussi, malgré la proposition traditionnelle de Barth (1999) qui implique une égalité entre une ethnie, une culture et une langue, d’autres définitions empiriques du terme ethnie existent mais sont assez peu nombreuses. Et ces définitions appartiennent au lexique de l’anthropologie sociale (Costey, 2006). Pour Costey (2006, p.105) « […] l’anthropologie sociale s’est appropriée ce terme pour désigner les unités d’observation qu’elle se proposait d’étudier. Le travail d’enquête se décompose encore aujourd’hui en ‘’ethnographie’’, observation des pratiques indigènes, et en ‘’ethno-logie’’ qui stigmatise les enseignements tirés de l’observation ». Néanmoins, cette projection du terme ethnie en ethnographie et en ethnologie, nous amène à reconnaitre que la notion d’ethnie est l’objet de traitements scientifiques et politiques. Et les deux traitements admettent, au plan étymologique, que ce terme est issu du grec « ethnos » signifiant peuple, nation. Alors, les traitements scientifiques ont permis de fonder une origine en fonction des buts que l’emploi de la notion d’ethnie veut atteindre, bien que son usage pour la première fois remonte à l’an 1896 au travers de l’ouvrage de Georges Vacher de Lapouge « les sélections sociales » (Benbassa, Attias, Laithier & Vilmain, 2010 ; Breton, 1981 ; Thériault, 1984). Par contre les traitements politiques, en suivant Benbasse et al., se sont servis de la notion à d’autres fins. Ainsi, selon Benbasse et al. (2010, p.333), au niveau des traitements politiques, l’ethnie « […] a souvent été utilisée arbitrairement pour désigner ou classer les populations des anciennes colonies. Elle va évoluer entre les deux guerres mondiales comme synonyme des termes tel que race, tribu… ». Entre ces deux traitements, pour Le Breton (1981, p. 5) « la faveur rencontrée par le mot ethnie est récente. […] elle émerge à la fin de la deuxième guerre mondiale ». Il faut signaler en suivant Le Breton (op.cit.) que ce néologisme « plus simple que les expressions ‘’groupe ethnique’’ ou ‘’unité ethnique’’ était en compétition dans les milieux scientifiques ». Mais dans les milieux politiques, l’usage de la notion d’ethnie sert à justifier des procédures de domination politique, économique et idéologique d’un groupe sur l’autre, ce qui va en effet, susciter de vifs débats parmi des sociologues et anthropologues (Benbassa et al., 2010 ; Le Breton, 1981). Ces débats s’accordent pour dire que la vision que dégageaient les orientations scientifiques et politiques d’antan de la notion d’ethnie était en inadéquation avec les réalités du terrain. Ainsi, quelle est l’acception qui donne un sens réaliste aujourd’hui à la notion d’ethnie ? Pour Amselle et Elikia M’bokolo (1999, p.16) « […] les quelques définitions actuelles du terme ‘’ethnie’’ varient en fonction de la position géographique et sociale occupée par l’observateur ».
Ainsi, nous déclinons sous une forme chronologique quelques définitions. Nous débutons par celle de M. Fortes (1906-1983), anthropologue très connu pour son travail parmi les Tallensi et Ashanti au Ghana, dans son ouvrage « The dynamics of clanship among the tallensi » , publié en 1945 à Londres. Ce dernier (Fortes, 1945, p.16) indiquait que « l’ethnie ne représente que l’horizon le plus lointain que les groupes humains connaissent, au-delà duquel les rapports de coopération et d’opposition ne sont plus significatifs ou ne le sont qu’exceptionnellement ». Pour Mercier (1961, p.65) l’ethnie est un « groupe fermé descendant d’un ancêtre commun ou plus généralement ayant une même origine, possédant une culture homogène et parlant une langue commune, c’est également une unité d’ordre politique ». Selon Nicolas (1973, p.103) « une ethnie, à l’origine, c’est avant tout un ensemble social relativement clos et durable, enraciné dans un passé de caractère plus ou moins mythique. Ce groupe à un nom, des coutumes, des valeurs, généralement une langue propre ». Nicolas (op.cit.) va plus loin en précisant que l’ethnie « s’affirme comme […] un groupe différent de ses voisins. Et l’univers ethnique est constitué d’une mosaïque de lignages étayée par une déclinaison familiale, clanique et tribale ». Le Breton (1981, pp. 7-8) propose une définition de l’ethnie à double sens : un sens strict où « […] l’ethnie désigne un groupe d’individus partageant la même langue maternelle. Un sens large où l’ethnie est définie comme un groupe d’individus liés par un complexe de caractères communs (anthropologiques, linguistiques, politico-historiques, etc.) dont l’association constitue une structure essentiellement culturelle ». Pour Mba (1987, p.62) « l’ethnie est l’ensemble de propriétés historiques, linguistiques, culturelles […] d’une population, soit à la forme d’une structure à la fois dynamique, temporelle et polyvalente ». En ce sens, pour Le Breton (op.cit.) « l’ethnie est alors la collectivité, ou mieux la communauté, soudée par une culture particulière [et circonscrite dans un territoire]».
INTRODUCTION. |