La connaissance des perturbations naturelles qui touchent les régions forestières est essentielle à la compréhension de la dynamique des peuplements qui les caractérisent. Les épidémies cycliques de la tordeuse des bourgeons de l’épinette (Choristoneura fumiferana (Ciem.)) sont une des principales perturbations écologiques affectant le sapin baumier (Abies balsamea (L.) Mill.) (Morin et Laprise 1990), l’espèce la plus vulnérable aux dommages causés par cet insecte (Greenbank. 1963). Les insectes défoliateurs du genre Choristoneura sont les ravageurs les plus destructifs en Amérique du Nord (Fellin, Shearer et Carlson 1983).
L’intensité de la défoliation au cours d’une épidémie est déterminée par le nombre d’insectes qui fluctue d’une année à l’autre (Blais 1985a). Il existe plusieurs facteurs qui influencent les populations d’Insectes. Quelques-uns sont Imprévisibles comme la température, les facteurs de contrôle naturels (parasites, prédateurs), l’immigration de populations (Greenbank, Schaefer et Rainey 1980) et peuvent changer sur de courtes périodes. Certains autres sont prévisibles comme la composition de la forêt, l’âge et les caractéristiques des peuplements et des sites et le climat régional (Blais et Archambault 1982).
Les épidémies de la tordeuse des bourgeons de l’épinette se caractérisent par une absence de périodicité, c’est-à-dire une irrégularité dans leur récurrence, ce qui empêche de les prévoir avec exactitude (Blais 1964). Ces invasions sont cependant directement reliées à la dynamique de la forêt, laquelle s’exprime en termes de variations périodiques de sa composition et de son âge (Maclean 1980). La dynamique d’une épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette (Hardy, Mainville et Schmitt 1983) et les patrons de dommages qui sont observés (Blais 1983a; Maclean 1985) présentent la plupart du temps des différences d’une région à l’autre.
L’interaction qui existe entre la forêt et les populations de la tordeuse des bourgeons de l’épinette s’exprime généralement à l’aide du concept de vulnérabilité qui est la probabilité de dommages en termes de mortalité et de croissance résultant (d’une attaque de la tordeuse des bourgeons de l’épinette) (Morris 1958; Maclean 1980; Witter 1983). Lorsque l’on veut mesurer le degré de vulnérabilité relatif des sapins d’une forêt donné·e. la prise en considération des facteurs prévisibles est moins complexe que l’analyse des facteurs imprévisibles (Blais et Archambault 1982). Au cours des années, les systèmes proposés d’évaluation de la vulnérabilité du sapin baumier aux attaques de la tordeuse ont intégré ces éléments. Des études ont souligné l’importance de variables comme le niveau de représentation des espèceshôtes (composition) (Swaine et Craighead 1924; Westveld 1954; Blais 1958, 1965, 1968, 1981, 1983b; Balch 1959; Batzer 1969; Van Raalte 1972; Baskerville 1975; Brown, Knight et Dimond 1976; Maclean 1979, 1980, 1982; Mott 1980; Blais et Archambault 1982; Raske et Alvo 1986; Maclean et Ostaff 1989) et la densité et la vigueur des peuplements (Craighead 1925; Balch 1946, 1959; McLintock 1948; Morris et Bishop 1951; Crook, Vézina et Hardy 1979; Turner 1952; Bean et Batzer 1956; Maclean 1980; Batzer et Hastings 1981; Lynch, Witter et Oison 1983; Carlson et al. 1985; Hadley et Veblen 1993). D’autres auteurs ont insisté sur les caractéristiques écologiques des stations (Seymour 1980; Witter, Ostaff et Montgomery 1984; Lynch et Witter 1985; Hix et al. 1987; Archambault et al. 1990; Dupont, Bélanger et Bousquet 1991).
Ces travaux ont été pour la plupart conduits dans des sapinières pures ou des peuplements constitués presque entièrement d’espèces-hôtes. Le sapin baumier et l’épinette blanche (Picea glauca (Moench) Voss.) sont les deux principaux hôtes de la tordeuse des bourgeons de l’épinette (Brown 1970; Kettela 1983).
La particularité de notre étude réside dans le fait que les forêts de la région du Lac Duparquet en Abitibi, au sud-ouest de la forêt boréale, ont été fortement affectées par les feux (Bergeron 1991; Bergeron et Dansereau 1993) qui ont engendré une mosaïque de peuplements d’âges et de compositions diverses (Bergeron et Dubuc 1989).
L’impact de la dernière épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette au début des années 70 (Morin, Laprise et Bergeron 1993), l’une des trois majeures à être survenue au 20è siècle (Blais 1985), a été évalué en fonction de la composition et de l’âge des peuplements après feu. Les peuplements issus de la dynamique naturelle de cet écosystème ont été comparés pour mesurer leur degré de vulnérabilité aux attaques de la tordeuse des bourgeons de l’épinette.
Le territoire à l’étude est lo_calisé sur les berges du Lac Ouparquet dans le nordouest québécois, en Abitibi, à proximité de la frontière ontarienne . Le Lac Ouparquet est drainé vers le nord par le Lac Abitibi jusqu’à la Baie de James. La région environnante de l’aire d’étude correspond à la portion nord de la ceinture d’argile du Québec et de l’Ontario, une vaste région physiographique qui a été créée par des dépôts glacio-lacustres laissés après l’extension post-Wisconsinienne maximale des lacs glaciaires Barlow et Ojibway (Vincent et Hardy 1977). Les dépôts de till lavés et érodés sont caractéristiques des sommets et flancs des collines de faible élévation (400 rn maximum) qui sont intercalés à l’intérieur d’un paysage généralement uniforme et plat (Bergeron et al. 1982; Bergeron et Dansereau 1993).
La station météorologique la plus proche est située à Lasarre, à 35 km au nord du Lac Duparquet. Elle indique une température annuelle moyenne de 0,6°C et des précipitations annuelles totales basses avec une moyenne de 822,7 mm. Les précipitations en eau sont distribuées inégalement et surviennent principalement pendant l’été. La période sans gel est de 64 jours en moyenne quoique des gelées puissent se produire à n’importe quel moment pendant la saison de croissance (Environment Canada 1982).
La région fait partie de la limite sud de la forêt boréale, dans la section forestière Missinaibi-Cabonga (B. 7) (Rowe 1972). Selon la classification écoclimatique décrite par Thibault en 1987, elle correspond à la région écologique des Basses-terres d’Amos (Bc1) laquelle appartient au domaine de la sapinière à bouleau blanc.
L’ensemble du territoire est relativement vierge. Le feu et les épidémies de la tordeuse des bourgeons de l’épinette seraient les deux perturbations majeures responsables de la composition de la végétation (Bergeron 1991). Les feux, adjacents les uns aux autres, sont inclus dans un territoire d’environ 1 00 km2 et ont couvert un territoire d’au moins 100 ha. Leur présence dans la région remonte à la fin de la dernière glaciation (8000 B. P.) (Terasmae et Weeks 1979). La reconstitution historique des régimes de feux au cours des 300 dernières années a été réalisée par Bergeron (1991) et Dansereau et Bergeron (1993). Les perturbations associées à la coupe forestière n’auraient pas affecté la région jusqu’à l’arrivée des colons dans le milieu des années 1940 (Dansereau et Bergeron 1993) et c’est seulement en 1978 que de vastes coupes à blanc ont affecté la partie ouest de la région étudiée (Harvey et Bergeron 1989). La végétation de la région étudiée se caractérise par la présence du sapin baumier, l’espèce dominante, et également par une proportion importante d’épinette noire (Picea mariana Mill. BSP), d’épinette blanche et de bouleau blanc (Betula papyrifera (Marsh.)). Des peuplements d’espèces pionnières telles que le pin gris (Pinus banksiana (Lamb.)) et le peuplier faux-tremble (Populus tremuloides (Michx.)) occupent de larges superficies suite aux perturbations par le feu (Bergeron et Bouchard 1984). La composition en essence des différents peuplements montre une transition claire des peuplements feuillus dominants dans les jeunes sites après feu à des peuplements de conifères mixtes et conifères dominants dans les vieux sites après feu (Bergeron et Dansereau 1993). Ces patterns de succession sont principalement associés au remplacement d’espèces de feuillus intolérants à l’ombre comme le peuplier faux-tremble et le bouleau blanc par des conifères plus tolérants à l’ombre tels que le sapin baumier, l’épinette noire, l’épinette blanche et le cèdre blanc (Thuya occidentalis L.).
Au cours du 20è siècle, trois périodes épidémiques ont affecté les forêts du Lac Du parquet: de 1970 à 1987, de 1930 à 1950 et de 1919 à 1929. Ces épidémies ont eu un effet marquant sur les populations de sapins baumiers dans la région. Les cohortes de sapins présentes lors de la dernière épidémie étaient issues des survivants et de la banque de semis présente suivant l’épidémie qui est survenue entre 1930 et 1950 (Morin, laprise et Bergeron 1993). Les conditions abiotiques rencontrées dans chacun des sites étaient grandement comparables. Très peu de variations ont été observées au niveau de l’épaisseur de la matière organique, de la topographie ou de la pente entre les stations (De Grandpré, Gagnon et Bergeron 1993). Les différents sites étudiés étaient caractérisés par des conditions mésiques sur des dépôts argileux (Béland et al. 1992).
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