L’enregistrement d’une marque, principes généraux
Le droit des marques prévoit la « condition de disponibilité » de la marque c’est-à-dire qu’il est exigé que la marque ne porte pas atteinte à des droits antérieurs. Deux principes doivent être appliqués afin d’opérer la recherche d’antériorité en matière de marque: le principe de territorialité et le principe de spécialité. Seules les marques antérieures produisant leurs effets sur le même territoire que la marque que l’on souhaite enregistrer devront être prises en compte en vertu du principe de territorialité. Une fois le territoire délimité, il faudra identifier les marques antérieures pertinentes. Ainsi un signe ne sera considéré comme indisponible que s’il est déjà réservé dans le secteur économique que l’on souhaite investir avec la nouvelle marque. A l’inverse, réservé uniquement pour d’autres activités, il reste disponible : il s’agit du principe de spécialité. Aucun risque de confusion ne peut en effet exister, dans l’esprit des consommateurs, entre des produits de nature tout à fait différente. Ainsi, la marque « Mont-Blanc » pour les stylos peut tout à fait exister et être valide alors même qu’existe à ses côtés une marque « Mont-Blanc » destinée à des desserts, tout comme la marque « Mazda » pour des voitures et pour des piles électriques.
Il existe toutefois une exception à ce principe de spécialité : il s’agit de la marque notoire et de la marque renommée qui peuvent constituer une antériorité susceptible d’invalider une marque et ce même si les produits et services concernés sont différents. On notera ici qu’avec le « paquet marques », la volonté de l’Europe était de pousser encore l’harmonisation du droit des marques. Ainsi, le considérant 10 de la Directive 2015/2436, précise « Il est essentiel de faire en sorte que les marques enregistrées jouissent de la même protection dans les systèmes juridiques de tous les Etats membres. A l’instar de la protection étendue accordée aux marques de l’Union européenne qui jouissent d’une renommée dans l’Union, une protection étendue devrait également être accordée, au niveau national, à toutes les marques enregistrées qui jouissent d’une renommée dans l’Etat membre concerné. » 1. La réforme assure donc une meilleure prise en compte, en Europe, de la marque renommée dans la mesure où, lorsque chaque Etat membre aura intégré cette nouvelle disposition dans sa législation nationale, l’usurpation d’une marque renommée au niveau national pourra constituer une atteinte au droit des marques et non plus seulement, comme en France actuellement par exemple, une simple action délictuelle de droit commun. La Belgique, avec la Convention Benelux, a sans nul doute joué un rôle précurseur en la matière. Cette réforme du « Paquet marques » correspond aux conclusions de maître Wahl dans l’arrêt Iron & Smith2, qui insistait sur l’importance de laisser les marques nationales exister parallèlement aux marques de l’Union européenne. Ainsi, si les arrêts de la Cour européenne ont une définition de plus en plus large de la renommée, l’accent est mis de façon de plus en plus pointue sur l’importance de l’addition des critères pour reconnaître une atteinte. Cette balance est, selon nous globalement atteinte avec cette nouvelle harmonisation. Une certaine marge de manoeuvre est laissée aux juges nationaux pour interpréter les décisions de la Cour européenne dans la mesure où ces derniers sont sans doute plus à même de saisir l’opportunité d’une marque nationale selon le cas d’espèce.
Décisions de la Cour européenne
Affaire ADIDAS1 En octobre 2003, à propos de la contestation d’un signe, en l’occurrence les 2 bandes par rapport aux 3 bandes d’Adidas, la Cour européenne précise, sur question préjudicielle des juges néerlandais, que « la protection conférée aux marques de renommée n’est pas subordonnée à la constatation d’un degré de similitude tel entre la marque renommée et le signe (postérieur) qu’il existe, dans l’esprit du public concerné, un risque de confusion entre ceux-ci. Il suffit que le degré de similitude entre la marque renommée et le signe ait pour effet que le public concerné établit un lien entre le signe et la marque”. Ainsi, si le public ne considère le signe contesté que comme une décoration, il n’établit pas de lien entre le signe et la marque de renommée et, dès lors, il n’y a pas atteinte. La Cour européenne estime donc qu’il y a une appréciation de fait à mener par les juges nationaux et laisse le public juge entre motif décoratif ou marque. Il est à souligner que l’avocat général, dans ses conclusions, explique que l’article 5§2 de la directive sur les marques protège le titulaire d’une marque renommée contre l’usage d’un signe identique ou similaire lorsque « l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice ». Quatre types d’usage sont donc susceptibles d’être couverts : l’usage qui tire indûment profit du caractère distinctif de la marque, l’usage qui tire indûment profit de sa renommée, l’usage qui porte préjudice au caractère distinctif de la marque et, ce qui nous intéresse plus particulièrement ici, l’usage qui porte préjudice à sa renommée.
Affaire INTEL1
Fin 2008, la Cour de justice européenne s’est prononcée sur l’étendue de la protection des marques renommées à la suite d’une question préjudicielle posée par la Court of Appeal (England &Wales, civil division). Cette question préjudicielle s’insérait dans un litige opposant d’une part la société Intel Corporation Inc., titulaire de la marque renommée “Intel”, enregistrée au Royaume-Uni pour désigner essentiellement des ordinateurs et produits ou services informatiques, et d’autre part la société CPM United Kingdom Ltd., titulaire de la marque “Intelmark”, enregistrée au Royaume-Uni pour des services de mercatique et de télémercatique. La marque contestée “Intelmark” incluait la marque renommée “Intel” mais ne désignait pas les mêmes services et n’était pas déposée dans une classe identique. La société Intel Corporation a introduit devant le United Kingdom Trade Mark Registry une demande d’annulation de l’enregistrement de la marque “Intelmark”, en faisant valoir que “l’usage de cette marque tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de sa marque antérieure Intel ou lui porterait préjudice”. Les premières instances anglaises ayant rejeté les différentes demandes2, la juridiction de renvoi s’est interrogée sur les conditions et l’étendue de la protection aux marques de renommée. La CJCE a reçu pour mission de déterminer l’étendue de la protection conférée par la directive aux marques de renommée et de préciser la notion de lien entre les marques en question. En ce qui concerne la protection de la marque renommée, l’avocat général, dans ses conclusions1, souligne qu’il existe un intérêt public non seulement à protéger les marques renommées qui sont, paradoxalement vulnérables, mais aussi à empêcher les entreprises dominantes qui, dans l’ensemble, en sont propriétaires, d’abuser de cette protection au détriment des autres acteurs du marché, plus faibles. Il précise que ce travail d’interprétation de la Cour européenne doit donc, autant que possible, chercher à réaliser un équilibre équitable entre ces différents intérêts.
La CJCE va distinguer ce qu’elle appelle deux types de dilution des marques, à savoir le «brouillage » et le « ternissement » qu’elle définit comme « la notion d’usage portant atteinte à la renommée de la marque antérieure2 ». On soulignera qu’à cette époque, la Cour européenne, s’alignant sur l’approche américaine, estime que le ternissement est une des deux formes que peut prendre la dilution. Si l’on a vu qu’aujourd’hui, ternissement et dilution sont deux préjudices bien distincts que peuvent connaitre une marque, l’approche de l’époque a, selon nous, certainement empêcher le développement plus rapide et concis d’une argumentation basée sur la notion de ternissement. Dans notre proposition de typologie, nous verrons d’ailleurs que, dans certaines affaires, il y a, selon nous, ternissement même s’il n’y est pas fait explicitement référence. A propos de l’existence du lien entre la marque antérieure renommée et la marque postérieure dont l’annulation est demandée, la Cour européenne a estimé qu’elle doit être appréciée de façon globale “en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce”, tels que : le degré de similitude entre les marques en conflit, le degré de proximité des produits et services en question, ainsi que le public pertinent concerné, l’intensité de la renommée de la marque antérieure, le degré du caractère distinctif de la marque antérieure, l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public.
Si, au vu de l’ensemble des éléments factuels pertinents, un lien peut être établi entre les marques en cause, il n’en résultera pas pour autant que le titulaire de la marque antérieure verra sa position gagner. En effet, il convient également que le titulaire de la marque renommée menacée démontre que l’usage de la marque postérieure tire ou tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou leur porte ou leur porterait préjudice1. Mais, la Cour européenne, dans son arrêt du 27 novembre 2008, interprète cette exigence de façon extrêmement rigoureuse, puisqu’elle exige “que soit démontré une modification du comportement économique du consommateur moyen des produits ou des services pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, consécutive à l’usage de la marque postérieure, ou un risque sérieux qu’une telle modification se produise dans le futur”. Dès lors, il appartient à la société Intel Corporation de démontrer que, du fait de l’usage de la marque “Intelmark” pour des produits qui sont très éloignés de l’informatique, le consommateur habituel de produits et services informatiques commercialisés sous la marque “Intel” s’en détournerait. Une telle preuve semble extrêmement difficile à apporter, voire impossible.
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