L’UNION EUROPÉENNE
Tout d’abord, il semble important de noter que l’Union européenne respecte la Convention européenne des droits de l’homme comme précisé à l’article 6 du Traité sur l’Union européenne. Cet article mentionne également la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. L’article 48 de cette Charte concerne la présomption d’innocence et les droits de la défense. Cependant, la disposition ne mentionne pas le droit au silence en tant que tel. Depuis quelques années déjà, l’Union européenne désire inciter les états à prévoir des garanties procédurales dans les affaires pénales et notamment, à garantir le droit au silence. Divers documents laissent transparaître cette volonté comme une résolution de 200355 ou encore une communication de 201356. Le but de la Commission est de garantir aux citoyens un procès équitable dans l’ensemble de l’espace juridique européen. La Commission avait constaté que les droits au silence, à ne pas s’auto-incriminer ainsi qu’à ne pas devoir collaborer étaient insuffisamment protégés. En effet, dans certaines situations, garder le silence peut s’avérer incriminant. De plus, le droit d’appel est un recours insuffisant puisqu’il n’exclut pas les preuves obtenues illégalement57. Actuellement, la matière est réglée par la directive 2016/34358.
Les considérants 24 à 30 apportent des précisions concernant le droit au silence et le droit de ne pas s’autoincriminer. L’article 7 de la directive garantit ces droits59, il convient de l’examiner. L’Union européenne considère que le droit au silence et le privilège contre l’autoincrimination doivent être interprétés à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme60. Mais elle regrette aussi leur insuffisance. Au regard de ces considérations, est-ce que le champ d’application qui leur est reconnu est le même que celui reconnu par le Cour européenne des droits de l’homme? Tout d’abord, la directive s’appliquera, en principe, uniquement aux procédures pénales. Les procédures civiles et administratives seront exclues bien qu’il faille tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme61. Tandis que la Cour européenne considère que des procédures administratives peuvent être qualifiées de pénales62. De plus, le champ d’application personnel de la directive inclut uniquement les personnes physiques63. Alors que les personnes morales ne sont pas exclues par la jurisprudence strasbourgeoise64. L’article 7.3 de la directive confirme la jurisprudence de la Cour européenne65. Il est également précisé que l’attitude coopérative du suspect peut être prise en considération66, la Cour européenne des droits de l’homme ne semble pas donner une telle indication mais rien ne l’empêcherait de prendre cet élément en considération dans son analyse.
En effet, dans tous les arrêts, elle examine toutes les circonstances de l’espèce67. L’article 7 précise encore que rien ne s’oppose à ce qu’une partie de la procédure soit menée par écrit ou sans interrogatoire en veillant toutefois à respecter le droit au procès équitable68. Cela est conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme lorsqu’elle affirme qu’il faudra analyser l’existence de garanties dans la procédure et de l’utilisation faite des pièces69. Toutefois, l’Union européenne ne se contente pas de répéter la jurisprudence strasbourgeoise. En effet, il existe une volonté de renforcer les droits au silence et à ne pas s’incriminer soi-même, la Commission reprochait que les Etats membres puissent tirer des preuves à charge, du silence de l’accusé70. L’article 7.5 de la directive se montre strict, l’exercice de ces droits par le suspect ne pourra pas se retourner contre lui, les autorités ne pourront pas en tirer des conclusions défavorables71. Il convient également d’ajouter que le droit de l’Union européenne est contraignant pour les Etats membres qui ont accepté d’abandonner une partie de leur souveraineté72. Les Etats membres doivent se conformer à la directive et la transposer73. A présent, il s’agira d’appréhender les droits au silence et à ne pas s’incriminer soimême au niveau de la Belgique.
SANCTIONS
Tout d’abord, la Cour européenne des droits de l’homme considère que c’est le rôle des Etats de réglementer l’admissibilité des preuves92. En principe, il conviendrait d’écarter les preuves obtenues en contrariété au droit au silence. Dans le cas contraire, il existe une violation du droit au procès équitable. Cependant, il faudra avoir égard à tous les éléments propres au cas d’espèce93 et regarder si la procédure était équitable dans son ensemble94. L’appréciation faite par la Cour est, par conséquent, très nuancée. Ensuite, l’Union européenne apporte des précisions dans sa directive de 2016. L’article 10 de la même directive requiert des Etats membres qu’ils veillent à l’appréciation des éléments de preuve obtenus en violation du droit au silence et celui de ne pas s’autoincriminer95. L’Union semble se montrer plus stricte en ce qui concerne les éléments de preuves car elle n’autorise pas les Etats à tirer des conséquences négatives de l’utilisation du droit au silence96. Du côté belge, l’article 47bis, §6, 9) du Code d’instruction criminelle exclut qu’une condamnation puisse se fonder sur des déclarations qui ont été faites en violation de certains paragraphes du même article, notamment, le droit à l’assistance d’un avocat. La Cour européenne se montre donc plus nuancée puisqu’elle regardera si la violation a vidé le droit au silence de sa substance . Et la directive de l’Union européenne 97 permet également leur utilisation98. Pendant plusieurs années, toutes les preuves obtenues illégalement étaient exclues99.
Il était reconnu qu’ « est illégale la preuve obtenue par un acte qui est inconciliable avec les principes généraux du droit régissant la procédure pénale, notamment le respect des droits de la défense, même si cet acte n’est pas expressément interdit par la loi »100. Comme il l’a été expliqué précédemment, le droit au silence fait partie des droits de la défense101. Petit à petit, la Cour de cassation a revu sa position concernant ces preuves et a accepté leur utilisation en justice102 jusqu’à changer complètement sa vision dans l’arrêt Antigone103. Cependant, il conviendra d’exclure la preuve contraire au droit au procès équitable104. Cela sera le cas d’une preuve obtenue en violation du droit du prévenu à garder le silence. Cette jurisprudence Antigone a été intégrée dans le droit belge par le biais de l’article 32 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale105. Dans les faits, le juge aura un pouvoir d’appréciation pour déterminer s’il y a eu une atteinte au droit au procès équitable en prenant en considération les circonstances106. Il appréciera le caractère intentionnel ou non de l’irrégularité, mettra en balance la gravité de l’infraction et la gravité de l’irrégularité, l’incidence de l’irrégularité sur le droit protégé ainsi que le caractère formel de l’irrégularité, …107
La Cour va même plus loin car elle ne fait pas d’obligation au juge de stipuler si la preuve a violé le droit au silence ou celui interdisant l’auto-incrimination108. Il ne faut cependant pas négliger la question de la purge des nullités dans cette approche. Ce mécanisme trouve son assise dans l’article 235bis du Code d’instruction criminelle, plus précisément au paragraphe 6. La chambre des mises en accusation statue sur les pièces irrégulières et autorise ou non qu’elles soient utilisées en justice. Dans ce cas, les preuves irrégulières pourront être utilisées en justice. En effet, il pourrait notamment y avoir un intérêt pour les droits de la défense que ces pièces ne soient pas écartées. Au regard des éléments précédents, la Cour de cassation belge laisse transparaître une jurisprudence plutôt souple. Cette jurisprudence, analysant tous les éléments propres à la situation, a été jugée conforme à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme109. Cependant, le juge belge peut tirer des conséquences du silence de l’inculpé110, c’est ce que reproche l’Union européenne111, la jurisprudence belge y semble donc contraire.
CONSEIL DE L’EUROPE
Déjà en 1995, le Conseil de l’Europe faisait état du caractère ambivalent du chiffrement. Selon lui, il fallait réduire ses effets négatifs dans le cadre des enquêtes pénales sans toutefois le rendre inefficace135. En 2001, le Conseil de l’Europe a adopté la Convention de Budapest sur la cybercriminalité. Le souhait du Conseil est de protéger le cyber-espace et de faire en sorte qu’il ne serve pas à commettre ou stocker des infractions . L’utilisation 136 du cryptage sera nécessaire dans ce cadre. Il convient, dans un premier temps, de définir la notion de fournisseur de service: « i. toute entité publique ou privée qui offre aux utilisateurs de ses services la possibilité de communiquer au moyen d’un système informatique; ii. toute autre entité traitant ou stockant des données informatiques pour ce service de communication ou ses utilisateurs »137 Il est possible de recourir à des pouvoirs coercitifs pour faciliter l’accès à des preuves situées sur un support informatique. Dans ce cadre, des obligations pèseront sur les fournisseurs de services. La Convention autorise que les fournisseurs de services puissent être contraints à collaborer et à fournir des informations en vue, notamment de contourner le problème du cryptage138. La Belgique a été dans ce sens, comme nous le verrons ultérieurement139. Ensuite, il convient d’analyser les articles 4 et 25 de la Convention de Budapest. L’article 4 vise l’atteinte à l’intégrité des données140. Comme il l’a été montré précédemment, le cryptage est un outil qui permet de garder les données intègres. Cet article ne pénalise pas l’altération des données lorsqu’il existe un but commercial, afin notamment d’assurer la protection des communications comme c’est le cas du cryptage. Porter atteinte à l’intégrité des données peut être légitimé par un but supérieur, à savoir le respect de la vie privée141. Le cryptage est intimement lié à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et son but est justement de protéger l’intégrité des données et d’empêcher à autrui d’y porter atteinte. L’article 25, quant à lui, concerne l’entraide entre les Etats dans le cadre de la cybercriminalité142. Dans ce cas, les Etats seront amenés à devoir communiquer rapidement. Et généralement, des moyens de communication électroniques sont utilisés « pour autant que ces moyens offrent des conditions suffisantes de sécurité et d’authentification (y compris le cryptage si nécessaire) »143. Le cryptage est donc un outil essentiel pour les Etats eux-mêmes. Le Conseil de l’Europe a publié une stratégie pour les années 2016 à 2019 concernant l’utilisation d’internet. Cette stratégie insiste sur le respect des droits de l’homme également au niveau virtuel. L’utilisation du cryptage est reconnue, elle permet d’assurer une protection sur internet, notamment contre les atteintes à la vie privée. Cependant, il ne faudrait pas aboutir à un résultat qui empêcherait les états membres à poursuivre les actes criminels144. Par conséquent, il existe un besoin contradictoire. D’une part, il faut maintenir le cryptage qui est une forme de sécurité et de protection contre la cyber-criminalité et d’autres ingérences. Alors que, d’autre part, pour l’efficacité des enquêtes pénales, il faudrait contourner le cryptage145.
1. Introduction |