LES AUTORITÉS COMPÉTENTES
a) Les autorités judiciaires Au sein du monde judiciaire, deux acteurs sont compétents pour autoriser le recours aux écoutes téléphoniques. Le principe veut que celles-ci soient ordonnées par un juge d’instruction et l’exception donne compétence au procureur du Roi en cas de flagrant crime de prise d’otage ou d’extorsion avec violence5. Il s’ensuit que si les écoutes portent sur des infractions terroristes, seul le juge d’instruction sera compétent. Le fait de réserver, dans la plupart des cas, la compétence relative aux écoutes au juge d’instruction témoigne de la volonté du législateur d’entourer cette mesure d’enquête de davantage de garanties. En effet, la fonction du ministère public est de diligenter la phase d’information. Il pose « l’ensemble des actes destinés à rechercher les infractions, leurs auteurs et les preuves, et à rassembler les éléments utiles à l’action publique6». La finalité de sa fonction est donc de mener à l’application de la loi pénale afin de sanctionner les comportements y contrevenant. Bien que le ministère public soit soumis à une obligation de loyauté dans le rassemblement des preuves qui implique de soumettre au juge les éléments à décharge dont il dispose, ni ce dernier ni le prévenu ne pourront réellement contrôler le respect de celle-ci7. L’impact du non-respect de cette obligation sur les droits de la défense est donc tout autre que celui des obligations qui incombent au juge d’instruction, pour lequel la nécessité d’enquêter à charge et à décharge est une condition de son impartialité et du droit au procès équitable8.
D’emblée, l’intervention d’un véritable organe judiciaire en matière d’écoutes sera donc davantage garante des droits des suspects. Cet aspect est de plus renforcé par l’indépendance relative du ministère public. Le parquet représente en effet le pouvoir exécutif et est placé sous l’autorité du ministre de la Justice. Cette relation est concrétisée par la possibilité pour le ministre de la Justice de donner des directives de politique criminelle contraignantes aux parquets et d’ordonner de poursuivre9. Dans le contexte sensible du terrorisme, la Cour européenne des droits de l’homme a souligné l’importance d’empêcher les interférences entre le pouvoir exécutif et judiciaire ainsi qu’insisté sur le fait qu’il était préférable d’opter pour un contrôle judiciaire des mesures intrusives pour la vie privée, ce qui semble dès lors être respecté par l’article 90ter du Code d’instruction criminelle (CICr) où le juge d’instruction tient un rôle prédominant10. De manière plus marquée que pour le ministère public, la mission du juge d’instruction est avant tout d’aboutir à la manifestation de la vérité et il dispose à cet effet d’une totale indépendance à l’égard du Gouvernement, garantie par la Constitution11.
b) La Sureté de l’État Les services de renseignement et de sécurité sont organisés en Belgique par la loi organique du 30 novembre 1998. Le rôle des services de renseignement est de rechercher, analyser et traiter tout renseignement relatif aux activités susceptibles de porter atteintes aux intérêts fondamentaux de l’État belge16. Nous nous focaliserons dans ce travail sur le rôle joué par la Sureté de l’État en matière de sécurité intérieure. A la différence du juge d’instruction qui agit de manière réactive, l’action des services de renseignement est essentiellement préventive afin d’éviter la concrétisation de la menace, ce qui se révèle particulièrement important à l’égard du terrorisme17. Elle ne suppose donc pas l’existence d’une éventuelle infraction mais d’une menace, définie plus largement, ce qui leur confère une compétence beaucoup plus vaste. Cela leur permettra d’agir de manière anticipative et de devancer les autorités judiciaires18. Leur rôle est dès lors foncièrement différent de celui de ces dernières puisque leur but n’est pas de manifester la vérité mais de protéger la société, en attirant l’attention des autorités politiques et éventuellement du parquet sur certains phénomènes19. Le fait d’agir dans une optique de protection ressemble aux fonctions du ministère public, mais à la différence de celui-ci, la Sureté de l’État ne va pas requérir l’application de la loi pénale ni rechercher des infractions en tant que telles.
Néanmoins, nous verrons que les données recueillies par la Sureté pourront lui être communiquées pour qu’il puisse exécuter les missions qui lui incombent (voy. infra)20. La Sureté de l’État est placée sous l’égide de l’exécutif et plus précisément sous l’autorité du ministre de la Justice, à l’instar du ministère public21. Elle ne dispose donc pas d’une indépendance comme celle qui caractérise le juge d’instruction. Nous avons vu que la Cour européenne des droits de l’homme a insisté sur le fait qu’il était préférable que les mesures intrusives dans la vie privée comme les écoutes téléphoniques soient contrôlées par un organe judiciaire22. A défaut pour la Sureté de l’État d’en être un comme le juge d’instruction où cette condition est d’emblée respectée, son action est supervisée par le Comité R et les écoutes sont mises en oeuvre moyennant une autorisation d’une commission particulière, chacun de ces organes étant composé de magistrats (voy. infra)23.
Respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité
1. Le principe de subsidiarité Les incursions de la Sureté de l’État et des autorités judiciaires dans la vie privée des citoyens doivent se faire dans le respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité. Cette exigence est présente dans les dispositions régissant les écoutes téléphoniques et se trouve confirmée par l’article 8 de la CEDH. La Cour européenne des droits de l’homme laisse une large marge de manoeuvre aux états quant aux moyens choisis pour sauvegarder l’intégrité nationale, pour autant qu’ils soient strictement nécessaires dans une société démocratique à l’obtention de renseignements vitaux dans une opération individuelle46. L’appréciation de cette nécessité dépend donc des circonstances de faits et des modalités de chaque législation étatique, eu égard à la nature de la mesure, de sa durée, etc. et exclurait d’emblée les écoutes de masse47. En droit belge, le principe de subsidiarité n’est pas un principe général de droit. Toutefois, des mentions à ce principe se retrouvent dans les bases légales déterminant les techniques spéciales d’enquête les plus attentatoires48. Les écoutes judiciaires ne peuvent être mise en oeuvre que si les nécessités de l’enquête l’exigent et si les autres moyens d’investigation ne suffisent pas à la manifestation de la vérité49. Cependant, force est de constater qu’il n’existe aucune hiérarchie entre les techniques spéciales d’enquête, ce qui ne permet pas d’en préférer une à l’autre sur la base de critères prédéfinis50. Procéder pour chacune d’entre elles à un examen du degré d’atteinte à la vie qu’elles supposent peut se révéler assez difficile51.
De plus, le respect du principe de subsidiarité est fortement remis en question depuis l’entrée en vigueur de la loi Pot-pourri II puisque l’absence de mention des motifs indiquant en quoi la mesure d’écoute est indispensable à la manifestation de la vérité n’est plus sanctionnée à peine de nullité52. Une preuve obtenue en violation de ce principe pourra donc fonder une condamnation pénale si elle passe le test présent à l’article 32 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale (TPCPP), ce qui suppose un examen davantage sujet à la subjectivité et qui aboutit à des résultats variables selon les tribunaux chargés de le réaliser53. La volonté du législateur est d’éviter d’écarter d’emblée les données récupérées en violation d’une règle de forme alors que le contenu, touchant souvent à des affaires de criminalité grave et organisée, n’aurait pas forcément souffert du non-respect de celle-ci, ne portant ainsi pas atteinte à sa fiabilité54. Si cette justification semble correcte en matière de terrorisme, elle peut aussi paraitre pour un non-sens, puisque régulièrement, la liste des infractions visées à l’article 90ter est allongée, intégrant davantage d’infractions et réduisant ainsi le minimum de gravité à atteindre pour mettre en oeuvre les écoutes55.
2. Le principe de proportionnalité Le principe de proportionnalité implique quant à lui que la mise en oeuvre de la méthode soit proportionnelle à l’objectif visé et à la gravité de l’infraction. Cela suppose donc qu’il existe d’emblée un certain nombre de données objectives permettant de penser que l’infraction est imminente ou déjà existante60. Le respect de ce principe est matérialisé par le fait que le Code d’instruction criminelle limite l’utilisation des méthodes d’enquête intrusives à un nombre restreint d’infractions (voy. supra)61. Ainsi, pour mettre en oeuvre une écoute téléphonique, cela suppose qu’il existe des indices sérieux que les personnes écoutées ont commis des infractions terroristes ou d’autres infractions visées à l’article 90ter. La prohibition d’écoutes exploratoires est ainsi confirmée62. Pour le respect de ce principe par les autorités judiciaires, nous renvoyons donc aux points précédents. La situation est similaire pour les méthodes de recueil de données des services de renseignement dans la mesure où l’existence d’une menace terroriste est de nature à justifier la mise en oeuvre de l’ensemble des méthodes dont ils disposent. Le principe de proportionnalité est précisé car la loi impose à la Sureté de l’État de choisir la méthode exceptionnelle « en fonction du degré de gravité que représente la menace potentielle et des risques que comporte l’exécution de la mission de renseignement pour la sécurité des agents des services et des tiers »63. Aucune exigence en matière d’indices n’est requise dans le chef des services de renseignement puisqu’on ne se réfère pas à une infraction, mais les motifs justifiant le recours aux écoutes seront cependant pris en compte par la commission chargée de contrôler le projet d’autorisation du dirigeant du service (voy. infra). L’exigence de proportionnalité présente dans les dispositions susvisées rend celles-ci conformes à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Cette dernière apprécie de manière large l’existence d’un but légitime et la nécessité de la mesure dans une société démocratique lorsque la sécurité nationale est en jeu comme en matière de terrorisme.
INTRODUCTION |