Management dans les organisations publiques
L’image de l’administration française est donc originellement associée au bien-fondé de la régulation et de l’équilibre collectifs. Plus générale- ment, le rôle de l’État va se trouver défini comme une figure centrale de pouvoir, selon des conceptions diverses et parfois contradictoires : de l’approche démocratique de Locke1 à celle parfois qualifiée de despotique de Hobbes2, venant après les approches contrastées de Machiavel3.
Au fil du temps, cette représentation d’un pouvoir central fort a pu évoluer, notamment lorsque des pays voisins ont vu se développer des idéologies différentes. Ainsi au xviii e siècle, certains économistes libéraux (notamment britanniques) contribuent à faire perdre à l’État un peu de son aura, en le qualifiant de « mal nécessaire ». Échappant aux régulations naturelles du marché, l’administration est en effet suspectée d’abus de pouvoir. Adam Smith4 en particulier, souvent considéré comme le « père » du libéralisme économique, estime que ses missions doivent être avant tout celles « qu’un particulier ou un petit groupe de particuliers n’aurait pas intérêt à faire ou à soutenir, ou dont le profit ne couvrirait pas pour eux la dépense ».
Signalons cependant que cet économiste attribue plus largement trois « devoirs » au souverain : la défense, la justice, et « les travaux publics et les institutions publiques » (dont ceux qui facilitent le commerce, mais aussi d’autres tels que l’éducation).
Quoi qu’il en soit, la France semble avoir été moins atteinte par le courant du libéralisme économique, compte tenu de ses spécificités historiques et de son fonctionnement. Il convient toutefois de signaler que jusqu’à la Révolution et même au-delà, il existait fort peu de règles générales concernant le personnel administratif français. L’Empire ne donna de statuts qu’à certains grands corps de l’État (comme le statut du corps des Affaires étrangères élaboré par Talleyrand) et la monarchie conféra par une loi, en 1834, un statut assorti de garanties aux officiers « de terre et de mer ». Il s’agissait alors de protéger spécialement l’encadrement de l’armée contre le risque de l’arbitraire politique, et d’assurer à l’État qu’il pouvait disposer durablement d’agents spécialisés dans un métier spécifique, qu’il fallait former avec rigueur et intensité.
En outre, après la Révolution française, se développe la notion d’intérêt général au nom des principes de liberté et d’égalité. L’État porte ainsi en lui- même des valeurs jugées fondamentales et trouve sa légitimité dans l’intervention permettant de corriger les abus individuels pour le bien-être collectif.
Sous Napoléon notamment, l’État centralisateur se structure et se décline en ministères afin d’assurer une concentration des savoirs nécessaires à la réalisation des différentes missions d’intérêt général. Les « corps » se constituent par la création des Écoles (telles que Ponts & Chaussées ou Polytech- nique) conçues pour dispenser les savoirs en question. Aux échelons inférieurs de l’administration, les règles et procédures mises en place sont supposées créer le lien entre ceux qui savent (les « grands corps ») et ceux qui exécutent, tout en préservant l’égalité de réalisation des prestations sur l’ensemble du territoire. Ainsi, la création des écoles d’État relève d’un double objectif : mettre à disposition de la nation des compétences rares et spécifiques d’une part, et éviter d’exposer ces agents qualifiés aux pressions du pouvoir politique d’autre part1.