Les aspects sociaux des transferts sous autorité de justice

En 2017, 696 entreprises ont demandé et bénéficié de la protection vis-à-vis de leurs créanciers au travers du sursis . On notera que 96 % de ces sursis s’appliquaient à de petites ou moyennes entreprises . Des transferts d’entreprises peuvent avoir lieu dans le cadre d’une procédure de réorganisation judiciaire prenant la forme d’un transfert sous autorité de justice, mais également lorsque la réorganisation prend la forme d’un accord amiable ou collectif. La réorganisation par accord amiable est l’hypothèse où le débiteur conclut un accord avec ses créanciers. Il s’agit d’un contrat de droit commun et il ne lie donc que les parties . Un transfert d’entreprise est envisageable dans ce cadre et la protection des travailleurs ne soulève pas de réglementation particulière si ce n’est le respect des règles encadrant le transfert d’entreprise en général . Le transfert d’entreprise peut avoir lieu dans le cadre d’une procédure de réorganisation judiciaire par accord collectif puisque l’article XX.75 du Code de droit économique dispose que « la cession volontaire de tout ou partie des actifs ou des activités peut être prévue au plan de réorganisation ». Selon certains auteurs, cette possibilité offerte par la loi est inutile et il faut lui préférer le transfert sous autorité de justice . Si un transfert d’entreprise a lieu dans le cadre d’une procédure par accord collectif, les aspects sociaux de ce transfert seront réglés par la convention collective de travail n° 32bis .

Le transfert sous autorité de justice peut, quant à lui, être réalisé de manière volontaire, lorsque l’entreprise débitrice sollicite elle-même le transfert, ou forcée, à la demande du procureur du roi, d’un créancier ou de toute personne ayant un intérêt à acquérir tout ou partie de l’entreprise . Des procédures analogues à la procédure de réorganisation judiciaire existent dans les autres États membres de l’Union européenne. La procédure de sauvegarde organisée par le droit français est réglée aux articles L. 620-1 et suivant du Code de commerce français, le droit anglais connaît la procédure « of administration » et le droit allemand met en place quatre procédures pour réorganiser une entreprise . Les aspects sociaux de tels transferts ont retenu l’attention du législateur européen qui a mis en place un cadre juridique commun aux États membres. Un régime dérogatoire, moins généreux pour les travailleurs, est organisé lorsque l’entreprise est en difficulté. Notre étude sera orientée sur le régime de protection des travailleurs lorsque le transfert s’opère dans le cadre d’une procédure de réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice. Des comparaisons ponctuelles avec les régimes mis en place dans d’autres ordres juridiques seront réalisées. Le système français sera analysé car il est intéressant de voir comment, alors que le droit belge est similaire au droit français en de nombreux points, il s’en distingue quelque peu dans le cadre du sujet qui nous occupe. Le droit allemand retiendra notre attention parce qu’il ne prévoit pas de régime de protection spécifique lorsque l’entreprise est en difficulté. Le dernier droit étudié sera le droit anglais. Compte tenu du Brexit, on peut s’interroger sur la pertinence de la référence à l’application du droit européen en Angleterre. Il reste cependant intéressant de voir comment un pays libéral, centré sur le développement de l’entreprise, parvient à mettre en place un tel système de protection des travailleurs. Après avoir exposé le cadre juridique, nous examinerons les obligations d’information et de consultation qui doivent être respectées dans le cadre d’un transfert sous autorité de justice. Il sera ensuite question des droits des travailleurs. Nous terminerons l’examen de ce régime par la question du sort des dettes. Enfin, nous nous interrogerons sur la conformité du droit belge par rapport au droit européen.

Droit national

La procédure de réorganisation judiciaire (ci-après « P.R.J. ») était, jusqu’il y a peu, organisée par la loi relative à la continuité des entreprises. La loi avait pour objectif le redressement de l’entreprise et prévoyait, outre des procédures amiables de redressement, trois procédures de réorganisation judiciaire. Cette loi se trouve désormais dans le Livre XX du Code de droit économique (ci-après « C.D.E. »), qui est entré en vigueur le 1er mai 2018. Notons que, avant 2009, la procédure en place était le concordat judiciaire. La procédure de réorganisation judiciaire en est la version améliorée. Les aspects sociaux des transferts d’entreprises sont organisés en très grande partie par deux conventions collectives de travail (ci-après « CCT »). Alors que la CCT n° 32bis prévoit le maintien des droits des travailleurs en cas de changement d’employeur du fait d’un transfert conventionnel, la CCT n° 102 règle le cas particulier du maintien de ces droits en cas de réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice.

Droit européen

La première directive sur les aspects sociaux des transferts d’entreprises a été adoptée en 1977. Contrairement à d’autres États membres de l’Union européenne, la Belgique n’avait alors aucune réglementation en la matière si ce n’est une disposition qui prévoyait le maintien des conventions collectives de travail en cas de transfert. Pour le reste, il fallait s’en référer au Code civil.

La Cour de Justice de l’Union européenne (ci-après « C.J.U.E. » ou « la Cour ») a très tôt enseigné que les modes de transfert forcés ayant comme objectif la liquidation de l’entreprise étaient exclus du champ d’application de la directive sauf si les États en disposaient autrement. Les directives 98/50/CE et 2001/23/CE ont transposé cette jurisprudence. L’article 5 de la directive 2001/23/CE prévoit deux régimes différents. Le premier paragraphe exclut l’application des articles 3 et 4 de la directive lorsque « le cédant fait l’objet d’une procédure de faillite ou d’une procédure d’insolvabilité analogue ouverte en vue de la liquidation des biens du cédant et se trouvant sous le contrôle d’une autorité publique compétente ». Le second paragraphe vise la situation des entreprises qui sont soumises à une procédure d’insolvabilité qui n’a pas été engagée en vue de la liquidation des biens du cédant ainsi que les entreprises en faillite ou en liquidation d’un État membre qui n’aurait pas fait application du premier paragraphe de l’article. Dans les deux cas, les articles 3 et 4 de la directive s’appliquent, mais les États membres peuvent prévoir qu’il n’y aura pas de transfert des dettes du cédant à l’égard du salarié qui sont antérieures au transfert s’il existe une protection des salariés contre l’insolvabilité du cédant. L’article permet, en outre, la modification des conditions de travail par convention entre le cédant et les représentants du personnel. C’est dans ce cadre que l’article 8bis de la CCT n° 32bis avait été adopté. Il prévoyait deux particularités quand le transfert était organisé dans le cadre d’un concordat judiciaire. D’une part, que les dettes existantes n’étaient pas transmises au cessionnaire si leur paiement était garanti par le Fonds d’indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture des entreprises. D’autre part, l’article prévoyait la possibilité pour le cédant ou le cessionnaire de négocier de nouvelles conditions de travail avec les représentations syndicales, et ce, afin d’assurer la survie de l’entreprise ou d’une partie de celle-ci. En 2009, la procédure de réorganisation judiciaire a remplacé le concordat judiciaire. En 2012, un nouveau régime légal a été mis en place en ce qui concerne le transfert sous autorité de justice. Il s’agit de dispositions de compromis qui permettent de préserver les droits des travailleurs tout en accordant des dérogations au cessionnaire par rapport au régime classique.

La loi sur la continuité des entreprises restait le cadre de référence puisque son article 61 réglait les aspects sociaux du transfert sous autorité de justice. La convention collective règle, quant à elle, les droits des travailleurs, l’information qu’ils reçoivent quand il n’y a pas de représentant des travailleurs et l’information du repreneur. En septembre 2017, le Livre XX du C.D.E. a été adopté et la loi sur la continuité des entreprises y a été intégrée. L’article 61 de la loi a été remplacé par l’article XX.86 C.D.E., sans modification substantielle, le 1er mai 2018 lors de l’entrée en vigueur du Livre XX.

Table des matières

Introduction
I. Cadre légal
A. Droit national
B. Droit européen
II. Information et consultation
A. Information et consultation des travailleurs
B. Information du candidat repreneur
III. Les droits des travailleurs
A. Quels sont les travailleurs repris ?
a) Principe
b) Nuance
c) Régime spécifique dans le cadre d’un transfert sous autorité de justice
d) La possibilité du travailleur de s’opposer à son transfert
B. Les droits des travailleurs transférés
IV. Le sort des dettes
A. Les dettes à l’égard des travailleurs
a) Travailleurs non transférés
b) Travailleurs transférés
B. Les autres dettes
V. Conformité du droit belge au droit européen
A. La doctrine
a) La position des auteurs
b) Les dispositions problématiques
B. La jurisprudence de la Cour de Justice
C. Les alternatives
Conclusion

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