Changements de forme liés à la maturation sexuelle chez C. mutica
Chez les caprelles en général, les sexes sont difficilement ou pas du tout différenciables par examen externe lors de la phase juvén ile, mais les différences entre les sexes s’accentuent avec la croissance. Deux critères externes principaux sont utilisés pour déterminer le sexe des individus de C. mutica. Le premier critère est la position et l’angle d’inseliion du deuxième gnathopode sur le deuxième segment du péréion (Figure 1). Chez le mâle, le deuxième gnathopode est inséré dans la pm1ie postérieure du deuxième péréionite et il fonne, à son point d’ insertion, un angle d’environ 90 degrés par rapport à [‘axe long du péréionite. Chez la femelle, le deuxième gnathopode est inséré dans la partie antérieure du deuxième péréionite avec lequel il forme plutôt un angle d’environ 45 degrés. Le deuxième critère pour déterminer le sexe est la présence chez les femelles d’oostégites sur le troisième et quatri ème péréionite ou leur absence chez les mâles. Les oostégites pleinement développés forment une poche dans laquelle les oeufs sont pondus et incubés et 16 où la progéniture de la femelle est protégée après l’éclosion.
La détermination du sexe est d’autant plus difficile que la caprelle est petite, car les oostégites apparaissent d’abord comme de minuscules bourgeons très difficilement détectables et la différence entre les sexes dans le point et l’angle d’insertion du gnathopode II est peu perceptible. Chez les femelles, la maturité sexuelle est facilement révélée par la présence d’oostégites pleinement développés (Figure 2) et d’oeufs ou de juvéniles dans la poche incubatrice formée par les oostégites. Les oostégites des femelles vivantes de C. mutica sont marquées de taches circulaires rouges très évidentes, mais un séjour prolongé dans le formol ou l’éthanol les fait disparaître. Chez les mâles, le processus graduel de maturation sexuelle se reflète dans le changement de plusieurs caractères sexuels secondaires: l’allongement du premier et du deuxième péréionite, l’apparition, suivie de l’accentuation, des encoches et des épines sur le bord palmaire du deuxième gnathopode et un agrandissement démesuré du deuxième gnathopode. Il est également possible d’observer le développement d’une pilosité importante sur les gnathopodes ainsi que sur le premier et le deuxième péréionite (Platvoet et al., 1995). Cependant, dans la baie de Cascapédia (est du Québec), la pilosité est assez rarement observée, seulement chez les plus grands mâles, et surtout dans les échantillons récoltés à l’automne (c. Turcotte, obs. pers.). Les mâles ne peuvent, dans l’état actuel de nos connaissances, être séparés en catégories immature et mature sur la base de critères morphologiques ou morphométriques externes. Au terme du développement et de la maturation sexuelle, les deux sexes de C. rnutica sont caractérisés par un dimorphisme de forme et de taille très marqués. Les mâles sont élancés et jusqu’à trois fois plus longs que les femelles.
Les espèces semblables à C. mutica
Le Canada compte plusieurs espèces de c-aprelles. Il y aurait au moins 23 espèces indigènes dent 16 du genre Caprella dans les eaux côtières canadiennes de l’ océan Pacifique, contre 25 espèces dont 15 du genre Caprella le long des côtes canadiennes des océans Atlantique et Arctique (Laubitz, 1970, 1972). Une seule espèce indigène est commune aux trois océans et il s’agit de C. equilibra. Quelques espèces du genre Caprella présentes en Amérique du Nord peuvent être confondues avec C. mutica. Du côté Pacifique, C. laeviuscula est l’espèce la plus répandue (Laubitz, 1970) et elle possède une morphologie générale se rapprochant de celle de C. mutica. Caprella laeviuscula se distingue principalement de C. mutica par l’absence d’épines et de tubercules sur le corps et la taille énorme (chez le mâle adulte) de l’épine médiane sur le gnathopode II. Caprella acanthogaster est une espèce indigène des côtes asiatiques du Pacifique, que l’on retrouverait maintenant aussi sur la côte ouest américaine (Hines et Ruiz, 2000), et qui ressemble encore plus à C. mutica (Buschbaum et Gutow, 2005). Il semble que les deux espèces soient fréquemment confondues, même par des taxonomistes, en partie parce que les représentations graphiques originales de Schurin (1935) sont mauvaises (à cet effet, voir les remarques dans: Marelli, 1981 ; Vassilenko, 2006). Lorsqu’elle fut découverte en Californie par Martin (1977), C. mutica a d’abord été identifiée comme une sous-espèce de C. acanthogaster, C. a. humboldtiensis (voir l’ analyse de Marelli, 1981).
Cependant, des différences dans la forme du bord palmaire du gnathopode II, dans la localisation, la disposition et la densité des tubercules ou épines sur le péréion permettent de séparer les spécimens adultes de C. mutica et C. acanthogaster (Arimoto, 1976; Marelli, 1981; Vassilenko, 2006). De plus, les mâles de C. acanthogaster peuven t avoir une petite protubérance sur la tête et n’ont généralement aucune pilosité sur l’avant-corps (Arimoto, 1976; Marelli , 1981; Platvoet et al., 1995). Sur la côte Atlantique de l’Amérique du Nord, C linearis (voir Laubitz, 1972) est probablement l’espèce qui s’approche le plus en apparence de C mutica. Les deux espèces partagent plusieurs caractéristiques générales dont des encoches et des épines assez semblables sur le bord palmaire du gnathopode II chez les mâles. Cependant, l’épine médiane sur le gnathopode II des mâles est plus petite chez C linearis que chez C mutica et les péréionites III et IV des mâles et des femelles de C linearis sont généralement dépourvus de tubercules et d’épines, ou la densité et la taille de ces structures sont nettement moindres. De plus, la taille maximale des mâles de C linearis serait d’environ 22 mm de longueur totale (Laubitz, 1972), ce qui est de beaucoup inférieur à C mutica dont les mâles matures peuvent approcher ou dépasser 50 mm de longueur totale (Takeuchi, 1995 ; Ashton, 2006). Il est à noter que la longueur totale des caprelles est mesurée de l’extrémité antérieure de la tête jusqu’à l’extrémité postérieure de l’abdomen.
RÉPARTITION ET DISPERSION
Aire de répartition indigène et tolérances physiologiques Caprella mutica est naturellement distribuée dans les eaux côtières des régions sousboréales du nord-est du continent asiatique (Arimoto, 1976; Fedotov, 1992; Vassilenko, 2006). Dans son milieu d’origine, les températures annuelles enregistrées entre . 1996 et 1998 variaient entre – 1,8 oC l’hiver et 25 oC l’été (15- 25 oC pour juillet- août) et la salinité variait de Il à 35 à l’ intérieur de l’année (Schevchenko et al., 2004). La survie de C mutica à des températures aussi basses que – 1,8 oC est également confim1ée par la persistance de l’espèce dans la baie des Chaleurs (Gaspésie, Québec) au cours de l’hiver, alors que la baie est couverte par les glaces et que l’eau y est tout aussi ou même plus froide (B. Sainte-Marie, obs. pers.) La température et la salinité sont les pnncIpaux facteurs limitant la distribution spatiale des caprelles (McCain, 1968; Laubitz, 1970). Caprella mutica ne fait pas exception, tel que démontré par une série d’expériences effectuées par Ashton et al. (2007b) établissant la température et la salinité létales ou invalidantes pour les adultes de C. mutica récoltés sur les structures d’élevage piscicole à Dunstaffnage en Écosse. Les résultats obtenus indiquent une forte augmentation de la mortalité après une exposition de 48 h à des températures supérieures à 26 oC, avec 100 % de mortalité à 30 oC.
Les caprelles étaient dans un état léthargique à 2 oC, ce qui laisse à penser que la croissance, la reproduction et l’évitement des prédateurs étaient compromis. Une exposition de 48 h à une eau à salinité de 18 induisait un état léthargique alors qu’à une salinité inférieure à 15 toutes les caprelles mouraient. La tolérance de C. mutica à une gamme étendue de températures et de salinités en fait une candidate idéale pour l’introduction et la survie aux latitudes tempérées à subarctiques, où seuls les milieux saumâtres (par exemple, les têtes d’estuaires) lui seraient inhospitaliers (Ashton, 2006; Ashton et al., 2007b). D’autres facteurs, abiotiques et biotiques, peuvent être déterminants pour la répartition et la survie des espèces du genre Caprella. Ce sont: le degré d’exposition aux vagues (Takeuchi et al., 1987; Guerra-Garcia, 2001 ; Vassilenko, 2006), les propriétés du substrat (Caine, 1978), la compétition interspécifique (Caine, 1980) et la prédation (Guerra- Garcia, 2001). L’importance de ces facteurs pour C. mutica devrait faire l’objet d’études spécifiques.
Aire de répartition exotique
Au cours des quatre dernières décennies, C. mutica a été trouvée sur trois continents (Tableau 1; Figure 3) en sus de son continent d’origine. La liste fournie dans le Tableau 1 n’est pas exhaustive; nous visons seulement à baliser quelques événements saillants dans l’introduction et l’expansion d’aire de C. mutica et à signaler l’étendue de sa distribution connue au Canada. Des chronologies plus détaillées jusqu’en 2006 peuvent être trouvées ailleurs (Ashton, 2006; Ashton et al., 2007a; Cook et al., 2007a). À partir de son aire de distribution d’origine, C. mutica semble d’abord avoir colonisé la côte ouest du continent nord-américain, puisqu’elle a été découverte dans les années 1970 en Californie et dans Puget Sound, dans le nord de l’état de Washington près de la frontière avec le Canada (Carlton, 1979; Marelli, 1981). L’espèce a ensuite été trouvée en Europe, d’abord aux Pays-Bas en 1994 (rapportée sous le nom de C. macho par Platvoet et al., 1995), puis sur la côte ouest de l’Écosse en association avec des opérations d’aquaculture en 2000 (Willis et al., 2004). Entretemps, C. mutica avait commencé à s’étendre sur la côte ouest du Canada (Frey et al., 2009) et sur la côte est de l’Amérique du Nord, où on signalait sa présence à l’Île du Prince-Édouard dès 1998 (Locke et al., 2007). Caprella mutica semble s’être propagée grandement sur les côtes ouest et est de l’Amérique du Nord autour des années 2000-2003, sa présence étant signalée en Alaska (Ashton et al., 2008a), au Québec, au Maine, au Massachusetts, au Rhode Island et au Connecticut (Pederson et al., 2003; Tableau 1). Une seule introduction dans l’hémisphère sud a été rapportée jusqu’à présent, pour la Nouvelle-Zélande en 2002 (Inglis et al., 2006). Cette introduction récente laisse à penser que C. mutica pourrait maintenant s’étendre aux mêmes latitudes en Amérique du Sud et possiblement dans le sud de l’Afrique, là où l’eau n’est pas trop chaude.
REMERCIEMENTS |